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Les entreprises peu scrupuleuses de la Chine au Tadjikistan

Les compagnies chinoises exploitent de larges ressources minérales au Tadjikistan, polluant significativement l’environnement. Les villages les plus proches subissent des problèmes de santé et des déficits d’eau.

Rédigé par :

La rédaction 

Traduit par : Judith Robert

Radio Ozodi

Emomali Rahmon Xi Jinping
Le président tadjik Emomali Rahmon avec son homologue Xi Jinping. Douchanbé, 5 juillet 2024. Photo : Radio Ozodi.

Les compagnies chinoises exploitent de larges ressources minérales au Tadjikistan, polluant significativement l’environnement. Les villages les plus proches subissent des problèmes de santé et des déficits d’eau.

Une enquête de Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe, a montré que Douchanbé fermait les yeux sur des violations écologiques parce que le gouvernement a besoin des investissements chinois.

Dans le kichlak (village, ndlr) tadjik de Khoumgaron vivent 150 personnes. Lorsqu’une compagnie chinoise a commencé à extraire de l’or à proximité du village, les habitants s’attendaient à tout sauf à ce qu’il se passe actuellement : il est devenu impossible d’y vivre. « Comment pouvons-nous vivre ici si l’air et l’eau sont empoisonnés ? » demande un des habitants. « A quoi bon vivre si on perd ainsi la santé ? »

En 2023, la forte pollution de l’eau et de l’air à cause du gisement d’or Zarafchon a poussé un groupe de femmes du village à se rendre dans la ville la plus proche, Pendjikent, pour porter plainte officiellement au nom du kichlak. Cependant, plutôt que de promettre d’y mettre bon ordre, les décideurs locaux ont conduit ces femmes au poste de police et les ont prévenues qu’elles devaient arrêter de critiquer l’entreprise chinoise d’extraction.

Ces femmes racontent que désormais, de nombreux habitants craignent d’exprimer ouvertement leur mécontentement à propos du gisement d’or.

Une augmentation de la pollution

La Chine a commencé à exploiter l’or dans l’Ouest du Tadjikistan en 2007. Les habitants à proximité disent que depuis, les fonctionnaires ferment les yeux sur l’augmentation de la pollution de l’air, de l’eau et des sols dans cette région, tandis que leurs terres sont exploitées sans leur autorisation.

Cette situation, près de la frontière avec l’Ouzbékistan, permet de voir de près comment la dépendance économique croissante de Douchanbé par rapport aux investissements chinois se manifeste localement : les entreprises chinoises s’approprient largement les ressources du pays en toute impunité et en bénéficiant de privilèges accordés par le gouvernement tadjik.

Une habitante du village le plus proche du gisement, qui a accepté de parler sous couvert d’anonymat, a montré des documents à son nom qui confirment que des terres agraires sur lesquelles les entreprises chinoises ont construit une usine d’affinage lui appartiennent. Selon elle, cela a été fait sans son autorisation et elle n’a reçu ni compensation, ni réponse officielle, malgré le fait qu’elle se soit adressée à plusieurs reprises aux fonctionnaires de la ville de Pendjikent. C’est ce qu’affirment également d’autres habitants du kichlak.

Une terre volée ?

Ceux qui vivent près de ces investissements massifs luttent contre la dégradation de l’environnement et les problèmes de santé causés par les éléments chimiques, tandis que les fonctionnaires tadjiks protègent les compagnies chinoises des critiques de la société. Ceci pour une raison évidente : la Chine est l’investisseur principal au Tadjikistan.

Dans le cas du gisement de Zarafchon, d’où provient 70 % de l’or extrait au Tadjikistan, les fonctionnaires de différents niveaux qui ont parlé avec Radio Ozodi, dont un employé haut placé du Comité pour la protection de l’environnement, ont maintenu leur position de soutien aux compagnies chinoises.

Tadjikistan Zarafchon Mines
La joint-venture Zarafchon et l’usine d’affinage située non loin jouent sur la récolte et sur l’environnement en général. Les habitants se plaignent d’une poussière sombre dans les cours d’eau et les champs. Photo : Radio Ozodi.

Ils ont insisté sur l’importance économique de cette compagnie pour le pays, qui manque d’investissements, et réfuté les plaintes sur la pollution de l’environnement. Le président du Tadjikistan, Emomali Rahmon, a aussi apporté son accord au projet Zarafchon lorsqu’il a visité le gisement en juillet 2023.

« Il ne faut pas qu’ils partent »

Un haut fonctionnaire du Comité pour la protection de l’environnement du Tadjikistan, la principale instance de protection de la nature dans le pays, a communiqué anonymement que cet organe d’Etat avait pour ordre de fermer les yeux sur tous les problèmes écologiques et médicaux liés au gisement Zarafchon.

« Nous avons aussi reçu des plaintes sur la pollution de l’environnement, mais si nous portons une pression trop élevée sur Zarafchon ou augmentons le nombre de contrôles et d’amendes, l’investisseur chinois peut quitter le Tadjikistan », explique-t-il. « Ce serait très mauvais pour notre économie parce que [la compagnie chinoise] a extrait [de l’or] pour 2,2 milliards de somonis (196 millions d’euros) en six mois en 2023. »

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Il ajoute que le PIB du Tadjikistan lors de cette période était de 54 milliards de somonis (4,8 milliards d’euros). Selon ce fonctionnaire, les impôts provenant de ce gisement constituent une grande part du budget de l’oblast de Soghd où se trouve le gisement, et les fonctionnaires ne veulent pas mettre en péril cette source capitale de revenus en infligeant des amendes ou en laissant la population la critiquer.

« Si nous cessons l’extraction de ressources minérales, le budget se creusera de millions de dollars », ajoute-t-il. Pour lui, une dynamique similaire se retrouve dans d’autres projets chinois, dont le gisement d’or Pokrouz, les mines d’extraction de plomb, de zinc et de cuivre à Zarnisor et une entreprise de culture de coton dans l’Ouest du Tadjikistan. « Pour l’instant, nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter la situation », conclut-il.

Une nouvelle dépendance

L’économie du Tadjikistan, le pays le plus pauvre d’Asie centrale, a subi de nombreuses difficultés pendant de nombreuses années, luttant contre les conséquences de la dévastatrice guerre civile des années 1990 et se reposant sur la Russie pour les questions de commerce, d’investissements et de crédits. Alors que le travail manque, les migrants tadjiks partent massivement en Russie : les transferts de fonds constituent plus de 40 % du PIB tadjik selon la Banque mondiale.

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Mais le président autoritaire a rapproché le pays de Pékin et participe avec enthousiasme à l’initiative des Nouvelles routes de la Soie. Depuis 2010, la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial, investisseur étranger et créditeur du pays. Plus de la moitié de la dette extérieure de Douchanbé est due à Pékin.

Alors que Douchanbé est de plus en plus tourné vers l’Est, la Chine occupe une position gagnante. Elle construit de nouvelles routes et investit dans des secteurs tels que les télécommunications, l’agriculture et l’extraction. Le Tadjikistan a un besoin criant d’aide financière dans ces secteurs pour développer une infrastructure coûteuse et indispensable pour exploiter ses richesses naturelles.

Des bâtiments officiels tadjiks construits par la Chine

Les compagnies de construction chinoises ont également construit quelques bâtiments gouvernementaux d’importance dans le centre de Douchanbé, dont le nouveau Parlement. Le 5 juillet dernier, lors d’une visite officielle du chef d’Etat Xi Jinping à Douchanbé, Emomali Rahmon a déclaré que de 2007 à 2023, la Chine avait investi plus de 4 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros) au Tadjikistan et que plus de 700 compagnies avec un capital chinois y travaillaient.

Parlement Tadjikistan
Le nouveau bâtiment du Parlement tadjik, construit grâce à une bourse chinoise. 6 juillet 2024. Photo : Radio Ozodi.

Le président du Tadjikistan a ajouté que le travail de Zarafchon était « un exemple concret de la coopération d’investissements efficace entre les deux pays. »

La forte présence économique de Pékin a pris la forme d’une influence politique : la Chine est devenue un important lieu de pèlerinage pour Emomali Rahmon et les membres de son influente famille. Pékin joue aussi un rôle de plus en plus important pour garantir la sécurité du pays, en menant des formations conjointes de lutte contre le terrorisme, échangeant des données du ministère de l’Intérieur et obtenant les autorisations pour exploiter différents postes sur le territoire tadjik près de sa frontière avec l’Afghanistan.

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La dépendance croissante du Tadjikistan envers son voisin oriental soulève des dangers et une certaine inquiétude : une grande partie des investissements chinois au Tadjikistan sont sous forme de crédits que Douchanbé peut être amené à ne pas pouvoir rembourser. Le Tadjikistan en a déjà payé le prix fort. En 2011, le pays a cédé à la Chine plus de 1 000 kilomètres carrés de son territoire en échange d’une diminution de sa dette, pour une somme qui reste inconnue.

Des sommes d’argent souvent opaques

Une dynamique similaire est observée dans le secteur de l’extraction, alors que deux gisements chinois – Zarafchon et Pokroud – produisent annuellement 84 % de l’or du pays. Dans le cas de Zarafchon, une de ces mines a rapporté 40 millions de dollars (39 millions d’euros) d’impôts en 2021, alors que le budget total du pays est de presque 3,9 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros).

En 2016, le gouvernement tadjik a interdit de publier des statistiques officielles sur l’extraction de l’or dans le pays. Cependant, selon les déclarations des ministres en 2019 et en 2023, celle-ci augmente de plus de 10 % annuellement et la compagnie chinoise Zijin continue d’étendre son activité à Zarafchon. Le revenu que perçoivent les compagnies d’extraction chinoises au Tadjikistan est aussi inconnu.

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Les autorités tadjikes continuent également de donner le feu vert aux investissements chinois dans l’industrie d’extraction sans pratiquement aucun dialogue avec la société. Par exemple, le Parlement a adopté en 2019 un accord avec la compagnie d’investissements Kashgar Xinyi Dadi Mining Investment Company pour l’exploitation de la mine d’argent Yaktchilva dans la région de Mourghab après moins de 30 minutes de débats.

Le gouvernement du Tadjikistan protège les positions expansives de la Chine dans le secteur de l’extraction, soutenant que ces entreprises se distinguent des autres en ce qu’elles sont les seules compagnies étrangères prêtes à s’engager dans des projets aussi conséquents. « Seuls les Chinois sont prêts à investir et exploiter les mines [dans le pays] », a déclaré en 2019 le ministre de l’Industrie et des Nouvelles Technologies d’alors, Zarobiddine Faïzoullozoda.

Des tomates vertes

Asadoullo Rahmonov, fermier de 62 ans à Khoumgaron, explique que la qualité de ce qu’il y fait pousser, y compris sur sa nouvelle parcelle de 30 hectares cédée par le gouvernement, a empiré ces dernières années à mesure que s’agrandissait le site de Zarafchon.

« Les tomates ne murissent déjà pas très bien, et je plante des concombres depuis trois ans. Ils fleurissent, puis les fleurs se fanent mais les fruits ne poussent pas », raconte-t-il. « Les pêches aussi ne murissent pas tout à fait puis tombent des arbres. Ce n’était pas comme ça il y a quelques années. »

Route Poussière Tadjikistan
La route à Chingui non loin de Zarafchon. Cette route est souvent suivie par des camions de la mine et, selon les habitants, elle en devient impraticable. Photo : Radio Ozodi.

Cinq autres fermiers soutiennent aussi que l’usine d’affinage non loin influe sur la récolte et l’environnement en général. Ils citent notamment une poussière sombre qui se trouve dans les ruisseaux et dans les champs.

L’utilisation du cyanure

Le site de Zarafchon est en fonction depuis 1994. Le gisement se trouvait sous la direction de la compagnie britannique Commonwealth and British Mineral avant que la compagnie chinoise Zijin ne recouvre 70 % des actions en 2007. Les 30 % restants appartiennent au gouvernement tadjik.

En ce moment, environ 2 800 personnes travaillent sur le gisement. Bobokhon Bobokhonov, le vice-directeur de Zarafchon, affirme que 98 % des travailleurs sont des citoyens du Tadjikistan. Il ajoute que la compagnie Zijin a récemment prolongé ses droits sur la terre de 20 ans, ce qui laisse penser que la population a des garanties d’être employée encore longtemps.

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L’or extrait est affiné non loin de là, mais aussi dans des usines près de Pendjikent, soit à environ 20 kilomètres à l’Est, et les habitants se plaignent de ce processus précisément. La méthode d’affinage de l’or la plus répandue dans le monde comporte l’utilisation de cyanure, un composé chimique très toxique, qui implique un danger de mort pour l’homme.

Flaviano Bianchini, directeur de Source International, une ONG qui se concentre sur la pollution de l’environnement, explique que le cyanure doit être utilisé dans des quantités strictement contrôlées et que même en petite quantité, il peut polluer un territoire entier une fois lâché dans l’environnement.

Des déchets en surnombre

« Si un kilo de cyanure se retrouve dans une conduite d’eau, cela peut facilement tuer 200 personnes ou détruire complètement le milieu environnant », explique-t-il.

Le minerai broyé est apporté à l’usine d’affinage, où il est traité avec du cyanure qui sépare l’or du reste. Malgré son efficacité économique, cette méthode est considérée comme très néfaste pour l’environnement. L’utilisation du cyanure dans l’industrie de l’extraction a mené au déplacement contraint de nombreuses populations dans le monde entier.

La plupart des scientifiques s’accordent à dire que le cyanure se décompose sous l’action de la lumière et n’est pas dangereux quand il est dilué fortement. Cependant, son utilisation peut aussi amener à libérer des métaux dangereux. De nombreuses études ont montré que le cyanure peut prendre d’autres formes toxiques et se conserver, surtout dans les climats froids.

L’extraction de l’or est en soi un processus polluant. Selon certaines estimations, il y a entre 10 et 15 grammes d’or pour une tonne de matière : ainsi, il y a 999 kilos de déchets qui peuvent prendre la forme de poussière.

Des mort-nés

Des habitants du kichlak de Khoumgaron racontent que selon eux, le cyanure est utilisé en grandes quantités et s’incruste dans les sols, polluant l’environnement et causant des dommages aux récoltes de fruits et de légumes ainsi que des problèmes de santé.

En 2022, les habitants ont écrit une lettre pour se plaindre de l’aggravation de leur santé, qu’ils lient aux travaux des entreprises d’extraction, et l’ont envoyée à l’administration du président tadjik. « [Les habitants du village] sont de plus en plus malades, il y a de plus en plus de jeunes familles sans enfants à cause du grand nombre de mort-nés », explique la lettre.

Khoumgaron Tadjikistan Femme
Une habitante du kichlak de Khoumgaron près de Pendjikent est assise dans son jardin. Sa maison se trouve non loin de la station d’affinage de la compagnie Zarafchon. Les habitants demandent à Zarafchon une compensation pour la pollution de l’environnement. Photo : Radio Ozodi.

Les habitants se plaignent aussi du fait que des déchets nocifs ressortent de Zarafchon et de son usine, ce qui rend l’air du village très pollué. Le vent apporte une odeur désagréable depuis l’usine. Les habitants du village de Chingui dans la région de Pendjikent ont communiqué à Radio Ozodi que le nombre de personnes souffrant de problèmes respiratoires a augmenté.

A Pendjikent, le ministère de la Santé a informé Radio Ozodi qu’il ne prenait pas en compte les statistiques non officielles sur les problèmes de santé de la population de Khoumgaron, et a suggéré de contacter la direction générale du ministère de la Santé à Douchanbé. C’est ce qu’ont répondu également l’hôpital central et la direction sanitaro-épidémiologique de Pendjikent.

Des amendes symboliques

Le ministère de la Santé n’a présenté aucune information à la rédaction malgré une demande officielle et des négociations directes avec un représentant du ministère. Les représentants du gisement Zarafchon n’ont pas donné suite aux demandes de commentaires.

Malgré le refus de reconnaître les critiques à l’égard de Zarafchon et les plaintes sur la pollution ainsi que son influence néfaste sur la santé, les autorités tadjikes ont infligé à la compagnie chinoise quelques amendes symboliques.

En 2019, l’entreprise a reçu une amende pour avoir relâché des déchets dans la rivière depuis son usine de production de chaux près de la mine de Chingui. Les autorités tadjikes ont annoncé que le rejet de déchets avait été la raison de la mort massive de poissons dans la rivière. Cependant, la compagnie n’a payé qu’une amende de l’équivalent de 1 075 euros.

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Une amende plus sérieuse a été infligée lorsque le procureur général du Tadjikistan, Youssouf Rahmon, a annoncé en avril 2023 que les opérateurs du gisement Zarafchon payeraient une amende équivalente à 1,7 millions de dollars (1,66 millions d’euros) pour avoir porté atteinte à l’environnement pour une valeur de 14,6 millions de dollars (14,3 millions d’euros). Les détails quant à ces dommages n’ont pas été dévoilés, mais le chef de la direction écologique de Pendjikent affirme que l’amende a été infligée parce que l’usine d’affinage avait été construite sans que les documents nécessaires ne soient déposés.

Des promesses rompues

Les plaintes des habitants de Khoumgaron, répétées pendant des années, ont abouti en 2021 à un travail de la compagnie auprès de la population, promettant de construire quatre kilomètres de nouvelles routes, de réparer une école pour environ 90 000 dollars (88 000 euros) et d’installer des conduites pour alimenter en eau potable les maisons du village.

La compagnie a aussi accepté de payer aux villageois une somme de 13 700 dollars (13 400 euros) par mois – environ 90 dollars (88 euros) par habitant. Les représentants de la compagnie ont déclaré que l’argent serait versé « tant que le gouvernement du Tadjikistan ne proposerait pas des parcelles de terre à 47 fermiers et à leurs familles. »

Mais à part les versements d’argent, les promesses n’ont pas été exécutées, selon les habitants. Dans le cadre des exigences de l’Etat envers les compagnies pour qu’elles conservent leur licence d’extraction de métaux, les entreprises doivent s’impliquer dans l’amélioration du cadre de vie des habitants, par exemple en construisant des écoles, des hôpitaux ou des routes.

Ecole Zarnisor
Le bâtiment à moitié abandonné du jardin d’enfants à Zarnisor. Photo : Radio Ozodi.

Dans l’un des rarissimes cas de critique publique, en 2018, le ministre de l’Industrie et des Nouvelles technologies d’alors, Chavkat Bobozoda, avait annoncé lors d’une conférence de presse que la compagnie d’extraction Zijin n’avait pas rempli une seule de ses obligations. « Ils ont déjà extrait 20 tonnes d’or, mais ils peuvent partir demain, et alors que restera-t-il là-bas ? » s’était-il exclamé, s’adressant aux journalistes.

« L’écologie et l’industrialisation ne vont pas main dans la main »

En 2023, lorsque le correspondant de Radio Ozodi a visité le kichlak, il s’est avéré qu’aucun projet de construction n’avait débuté. La route principale était, comme auparavant, en mauvais état, et, selon les habitants, elle souffrait encore davantage des allées et venues des camions chargés de pierres.

Le chef du service du contrôle étatique pour la sécurité des travaux dans l’industrie a déclaré lors d’une conférence de presse que l’un des « buts stratégiques » du gouvernement était « l’industrialisation rapide ».

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« L’écologie et l’industrialisation ne vont pas main dans la main mais […] nous, les spécialistes, devons minimaliser le plus possible les dommages portés à l’environnement par l’industrialisation », a déclaré le fonctionnaire.

« Cela peut tuer des gens »

A environ 350 kilomètres de Khoumgaron et du gisement d’or Zarafchon se trouve la mine d’or Pokroud. Là, la compagnie China Nonferrous Gold (CNG) possède 100 % des concessions sur l’extraction de l’or. Les comptes internes de la CNG pour 2021, auxquels Radio Ozodi a pu accéder, mentionnent que la compagnie « a des relations solides avec le gouvernement du Tadjikistan ». Dans ce même rapport, la compagnie se félicite quant à ses standards écologiques et soutient qu’elle a de bons rapports avec la population locale.

Les habitants des villages situés près des gorges de Romit rapportent que le seul avantage qu’ils ont ressenti depuis le début de l’extraction de l’or est que la CNG a construit une route vers ses gisements, route que peuvent emprunter les habitants des régions montagneuses isolées. Cependant, ils affirment que la pollution venant de la mine augmente.

Romit Rivière Tadjikistan
La rivière Romit aux abords de la ville de Vahdat. Photo : Radio Ozodi.

Les habitants de plusieurs villages situés en amont du courant ont raconté que la compagnie déversait les eaux usées de son usine d’affinage directement dans la rivière Romit. Ils disent avoir arrêté d’utiliser l’eau de la rivière après que plusieurs personnes sont tombées malades. Lors de sa visite des abords de la rivière Romit dans la région du gisement Pokroud en 2023, le correspondant de Radio Ozodi a aperçu une conduite provenant directement de l’usine d’affinage et relâchant des flux non traités dans la rivière.

Des déversements d’eaux usées

Flaviano Bianchini explique que de telles pratiques sont très dangereuses : « L’eau qui ressort de ce processus de traitement est empoisonnée. On ne peut pas relâcher l’eau ainsi. Cela ne pollue pas seulement la rivière. Cela peut aussi tuer des gens. »

Malgré ces sérieuses inquiétudes, la compagnie chinoise n’est soumise à pratiquement aucun contrôle des autorités tadjikes. Dans le même temps, son activité bénéficie d’un soutien politique au plus haut niveau. Lorsqu’en 2016 l’or a commencé à être extrait de ce gisement, Emomali Rahmon s’est rendu sur place et, lors d’une scène montrée à la télévision d’Etat, s’est enthousiasmé des investissements chinois à hauteur de 256 millions de dollars (250 millions d’euros), tenant fièrement deux lingots d’or dans ses mains.

Rivière Pokroud Tadjikistan
Les déchets de la mine d’or à Pokroud sont rejetés dans la rivière sous forme de liquide blanc. Juin 2023. Photo : Radio Ozodi.

Le Comité pour la protection de l’environnement du Tadjikistan affirme avoir inspecté l’usine d’affinage de la CNG durant l’été 2023, quelques semaines après que le correspondant de presse ait vu le déversement des eaux usées dans la rivière, et a annoncé qu’il avait découvert « une série de défauts, dont des normes de traitement des déchets non respectées et un rejet excessif de déchets dans l’atmosphère. »

Le Comité n’a pas commenté la vidéo de déversement des eaux usées.

Des promesses sur fond de pénurie d’eau

A Zarnisor, une petite ville du Nord du Tadjikistan d’une population d’environ 5 000 personnes, à 60 kilomètres au Nord de Khoudjand à la frontière avec l’Ouzbékistan, se trouve un autre projet chinois d’extraction.

Fondée en 2007 en tant que filière de la compagnie d’Etat chinoise Tibet Everest Resources, la Compagnie tadjiko-chinoise d’extraction (TCMIC) extrait dans cette région du plomb, du zinc et du cuivre. Le processus d’extraction exige de grandes quantités d’eau, ce qui cause des pénuries selon la population locale.

Idiboï Fozilov, retraité à Zarnisor, raconte qu’à l’époque soviétique, les habitants avaient construit une conduite d’eau pour apporter l’eau potable au village. Mais depuis le début de l’exploitation, l’eau potable n’est devenue disponible pour les habitants qu’une heure par jour, en soirée, et les gens doivent en faire des réserves.

En plus des pénuries d’eau, certains habitants racontent que la compagnie n’a pas tenu ses promesses d’investir dans l’infrastructure locale. La TCMIC a accepté de rénover le jardin d’enfants, les routes, et d’installer un éclairage public dans les rues. Mais à part celles menant au bureau central de la compagnie, les autres routes de la région restent en mauvais état et le jardin d’enfant demeure vétuste.

Des chiffres qui ne concordent pas

Comme d’autres compagnies chinoises d’extraction au Tadjikistan, la TCMIC joue un rôle économique particulièrement important dans le pays. En juillet 2022, la compagnie mère Tibet Everest Resources a promis de construire au Tadjikistan un parc industriel qui créerait 10 000 emplois. Mais il s’est écoulé deux ans et ce projet semble à l’arrêt.

Les chiffres publiés par Tibet Everest Resources sur son activité économique ne concordent pas. Dans une interview et des annonces publiques émises au long de nombreuses années, la direction de TCMIC a affirmé que plus de 4 000 personnes travaillaient pour elle au Tadjikistan, mais dans d’autres cas, elle donne le nombre de 3 000.

Dortoirs Zarnisor
Le bâtiment des dortoirs de la compagnie tadjiko-chinoise dans la ville de Zarnisor, dans le Nord du Tadjikistan. Des travailleurs chinois y vivent. Photo : Radio Ozodi.

Des dissonances similaires ont lieu concernant les sommes versées aux impôts et aux taxes. En 2022, l’agence de presse indépendante tadjike Asia-Plus a cité le chef de la TCMIC, Lee Yaohui, qui annonçait que depuis le début de son activité dans le pays en 2009, la compagnie avait payé en impôts et taxes 33 milliards de somonis (2,9 milliards d’euros). Cependant, Lee Yaohui a annoncé en 2021 que la compagnie avait payé à l’Etat depuis le début de son activité une somme bien moins élevée : 4,2 milliards de somonis (376 millions d’euros).

Dans ses commentaires pour Radio Ozodi, la compagnie TCMIC a défendu son expérience avec la population locale et la construction d’infrastructures, soutenant qu’elle avait fait réparer des écoles à Zarnisor, construit le bâtiment de la mairie et rénové l’hôpital à Gouliston, la ville la plus proche, d’une population de 50 000 personnes. La compagnie a aussi financé la reconstruction de 38 kilomètres de routes isolées reliant les villes de Bouston et Zarnisor, ce qui est revenu à environ 100 millions de somonis (8,9 millions d’euros).

Un plan d’amélioration

Le représentant de l’administration de la ville de Gouliston a informé Radio Ozodi que la compagnie tadjiko-chinoise d’extraction développait un plan d’amélioration pour l’alimentation de la ville et de ses environs en eau potable.

Le fonctionnaire a ajouté que dans certains raïons de Gouliston, l’eau n’était accessible qu’à un certain horaire de la journée, mais que les travailleurs de la compagnie chinoise qui vivent rue Rafokat avaient accès à l’eau 24h/24. Les forces de l’ordre tadjikes n’ont pas permis au correspondant d’entrer dans les bureaux de la compagnie ni dans les dortoirs voisins où vivent les travailleurs chinois pour vérifier l’information. Il est à noter que la route menant aux bâtiments était très bien entretenue.

Après les plaintes d’autres habitants de la rue Rafokat, pour qui l’accès à l’eau était très limité, celui-ci a été augmenté à 12 heures par jour.

Les problèmes des exploitations de coton

Il faut noter également une initiative ambitieuse de plantations de coton avec la participation de fermiers chinois, qui travaillent dans les champs du raïon de Yavan, à 25 kilomètres de Douchanbé.

Mirzoali Azizov, chef de la direction agraire du raïon de Yavan, a communiqué à Radio Ozodi que la Chine y louait 960 hectares de terres agricoles. Les habitants racontent qu’à la fin des années 2000, lorsque les terres de l’Etat ont été cédées au milieu agricole, la plupart des fermiers tadjiks n’avait pas l’argent nécessaire pour acheter les grains, le matériel technique et tout le nécessaire à la production agricole. Nombre d’entre eux sont partis en Russie à la recherche de travail.

Selon les habitants locaux, la Chine a profité de cette situation et commencé à louer des terres en 2014. Les fonctionnaires du secteur agricole du raïon de Yavan ont raconté qu’au début, les Chinois exploitaient énormément de terres mais que plus tard, quelques fermiers tadjiks ont pu récupérer certaines parcelles.

Champ coton Tadjikistan
Des tracteurs traitent les sols que des Chinois louent. Les conducteurs tadjiks disent ne pas savoir de quoi est fait ce traitement. Photo : Radio Ozodi.

Selon les fonctionnaires et les habitants, les fermiers chinois ont plus de moyens et de possibilités financières, comme des crédits à la banque, et c’est pour cela qu’ils peuvent se permettre d’avoir du matériel plus cher que les Tadjiks. Ainsi, selon les fonctionnaires, les fermiers tadjiks récoltent en moyenne quatre tonnes de coton par hectare, tandis que les fermiers chinois au Tadjikistan en récoltent presque sept.

Des pesticides potentiellement dangereux

Cependant, de nombreux habitants s’inquiètent de l’utilisation extensive de certaines substances et de l’absence de règlementations sur les produits chimiques. La compagnie chinoise Développement agricole du Tadjikistan et de la Chine possède presque 1 000 hectares de terres dans le raïon de Yavan, et la Khountan-Khatlon-Sin Silu 3 365 hectares dans le Sud-Ouest du raïon Dusti de l’oblast de Khatlon.

Saïddjafar Ousmonzoda, l’ancien président du Parti démocratique du Tadjikistan, qui était membre du Parlement en 2019 lorsqu’a été discutée la cession de terres louées à des fermiers chinois, a raconté à Radio Ozodi qu’il avait posé la question des produits qui seraient utilisés mais qu’il n’avait pas reçu de réponse, bien que le gouvernement ait déjà conclu l’affaire.

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« Cette terre ne se transformera-t-elle pas en désert après de longues années d’exploitation intensive ? » avait-il alors demandé. Malgré les inquiétudes soulevées par Saïddjafar Ousmonzoda et par les fermiers locaux, les experts ont expliqué qu’aucune étude indépendante n’avait été faite sur les produits utilisés par les fermiers chinois, ni sur leur potentiel impact sur les sols. Les fonctionnaires du raïon de Yavan ont également affirmé qu’ils n’avaient pas les outils de laboratoire nécessaires pour mener de telles recherches.

Des effets négatifs sur les sols

Rouzimourod Boïmourodov, doyen de la faculté d’agrochimie et d’étude des sols de l’Université agricole tadjike à Douchanbé, explique que l’utilisation intensive de produits et de pesticides soulève de sérieuses préoccupations car une partie importante de ces produits n’est pas absorbée par la production agricole et s’incruste dans les sols, ce qui peut avoir de mauvaises conséquences sur le long terme.

Affiche Rahmon Xi Jinping
Affiche montrant les chefs d’Etat du Tadjikistan et de la Chine devant les terres de la joint-venture Développement agraire du Tadjikistan et de la Chine. Raïon de Yavan, mai 2023. Photo : Radio Ozodi.

« Il y a des effets secondaires à cause des résidus de ces produits, et ils peuvent avoir une influence négative à l’avenir sur la composition, la qualité et la fertilité des sols, et aussi sur la pousse des plantes », explique-t-il.

Rouzimourod Boïmourodov remarque également que selon ses recherches, les fermiers tadjiks utilisent habituellement entre 450 et 600 kilos de produits azotés et 200 à 260 kilos de produits phosphorés par hectare.

« Un avenir sans danger pour nos enfants »

Cependant, selon les données d’un employé de la direction agricole de Yavan, les fermiers chinois faisant pousser du coton sur ces parcelles utilisaient entre 1 500 et 1 600 kilos de produits azotés et phosphorés. L’utilisation extensive de produits chimiques constitue depuis longtemps un problème en Chine, amenant à de larges récoltes, mais réduisant avec le temps la qualité des sols. Ces dernières années, les fermiers ont commencé à moins utiliser ces produits, mais leur utilisation reste encore élevée comparée aux indicateurs mondiaux.

Malgré l’inquiétude profonde des habitants du Tadjikistan et leurs plaintes concernant la pollution de l’air, des sols et des rivières en raison des compagnies chinoises, ainsi que l’absence d’investissements auprès des populations vivant là où elles travaillent, les fonctionnaires continuent de soutenir ces compagnies.

Bon nombre d’habitants des raïons où opèrent ces projets chinois ont déclaré qu’ils n’étaient pas contre ces compagnies mais qu’ils souhaitaient seulement qu’elles se soucient de l’environnement et qu’elles s’investissent auprès de la population comme elles en avaient initialement fait la promesse. Mais en raison du mauvais état de l’économie tadjike et du faible niveau de vie de sa population, sa dépendance envers la Chine et ses ressources économiques permet aux compagnies chinoises de travailler comme elles l’entendent.

Un habitant du village de Khoumgaron a ainsi exprimé le sentiment partagé par beaucoup : « Nous n’avons pas besoin de l’argent des Chinois : nous voulons seulement un avenir sans danger pour nos enfants. »

Groupe d’investigation
Sous la rédaction de Reid Standish et Pete Baumgartner

Traduit du russe par Judith Robert

Edité par Cecilia Emirian

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