Cinq lettres, baptisées les « anciennes lettres » et datant de la période sogdienne, ont été retrouvées dans l’ouest de la Chine. Rachid Alimov, docteur en sciences politiques au Tadjikistan, revient sur leur importance en tant que source historique sur la Sogdiane, sur le rôle de celle-ci pour la route de la Soie et sur les relations sociales et la culture au Turkestan oriental.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 25 février 2020 par le média tadjik Asia-Plus.
Dans la capitale tadjike Douchanbé, les visiteurs du centre d’échanges culturels du Tadjikistan et de la Chine sont accueillis par un guide-robot. Avec calme et assurance, il présente en trois langues, tadjik, chinois et russe, les anciennes lettres sogdiennes, dont des copies sont exposées au centre de la pièce. La Sogdiane représentait autrefois l’Asie centrale, du premier millénaire avant notre ère jusqu’au XVIème siècle, où elle est renommée Transoxiane.
Ces lettres ont été découvertes par le voyageur britannique Aurel Stein en 1907 dans les ruines d’une tour de guet de la Grande Muraille de Chine. À l’époque des routes de la Soie, la garnison qui s’y trouvait protégeait la section de la route entre Dunhuang, dans le nord-ouest de la Chine, et Lawliang.
Lettres en lingua franca de l’Asie centrale
Les lettres, vieilles de XVIème siècle, ont été retrouvées dans le sac d’un facteur inconnu, épargné par les dégâts du temps. Chacune était soigneusement pliée, avec les noms de l’expéditeur et du destinataire inscrits à l’extérieur. À en juger par leur conservation jusqu’à nos jours, le service postal des routes de la Soie, au début du IVème siècle de notre ère (les experts les datent de 312-313), était fiable et performant.
Jusqu’au XIème siècle, la langue sogdienne était largement répandue sur le territoire de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan actuels et servait de lingua franca dans toute l’Asie centrale.
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Les anciennes lettres ne sont pas seulement les premiers textes manuscrits en langue sogdienne. Plus important encore, elles nous rappellent, avec d’autres documents en sogdien dont les manuscrits originaux sont conservés à la British Library de Londres, les liens étroits qui existaient entre les peuples de Chine et d’Asie centrale.
Dunhuang, poste-clé des routes de la Soie
Le commerce en Sogdiane a joué un rôle essentiel dans l’établissement et le renforcement de liens commerciaux entre la Chine et les pays occidentaux, éloignés à l’époque des routes de la Soie. Dunhuang occupait une localisation-clé, car cet éclatant avant-poste servait de porte d’entrée vers la Chine pour les caravanes commerciales.
Le président chinois Xi Jinping a qualifié Dunhuang de joyau étincelant sur le long fleuve de la civilisation, un lieu où l’esprit de la route de la Soie prenait véritablement corps. « La culture de Dunhuang appartient à la Chine, mais les recherches à Dunhuang concernent le monde entier », a-t-il souligné dans une allocution à l’Académie de Dunhuang, le 19 août 2019.
Xi Jinping a invité les scientifiques britanniques, français, russes, allemands, japonais, américains et asiatiques à poursuivre les recherches sur le site de Dunhuang, inscrit au patrimoine culturel mondial de l’Unesco. Il est en effet un héritage de toutes les cultures impliquées dans les routes de la Soie.
Le bouddhisme en héritage
La culture bouddhiste est particulièrement représentée à Dunhuang. On sait que les marchands d’Asie centrale qui négociaient le long de la route de la Soie comptaient parmi les premiers propagateurs du bouddhisme en Chine. Cette culture s’est ainsi répandue par l’actuel Tadjikistan, où la plus grande sculpture de Bouddha en argile du monde a été découverte en 1966 dans les ruines d’un monastère bouddhiste des IVème et VIIème siècles dans le sud du pays.
Cette statue géante de 13 mètres de long et 2,70 mètres de haut a retrouvé son intégrité en mars 2001 et sa position allongée, au grand émerveillement des visiteurs du musée national des antiquités du Tadjikistan.
Les routes de la Soie, patrimoine de l’Asie centrale
Les anciennes lettres, le Bouddha et d’autres monuments construits lors de l’apogée des routes de la Soie sont autant de traces d’un passé légendaire et de relations entre les peuples. Les gouvernements et les universités d’Asie centrale et de Chine ont coopéré de manière toujours plus étroite pour relayer et préserver l’histoire de la route de la Soie et son riche patrimoine culturel.
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Plusieurs sites et villes d’Asie centrale situés le long des routes de la Soie ont soumis des demandes d’inscription à la liste représentative de l’Unesco. Certains font déjà partie du patrimoine culturel mondial de l’organisation. Ces mesures devraient renforcer les politiques de préservation, favoriser le développement durable et le dialogue interculturel, encourager le respect mutuel et la compréhension entre les peuples et permettre aux générations futures d’en savoir davantage sur l’histoire et la culture des peuples d’Asie centrale et leurs liens historiques avec la Chine. L’initiative chinoise lancée en 2013 des Nouvelles routes de la Soie, aussi appelée « la Ceinture et la Route », va aussi bien dans le même sens.
Plus largement, la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel fait partie des priorités des gouvernements des États d’Asie centrale. En effet, de nombreux travaux ont été réalisés avec l’Unesco au cours des 20 dernières années. Pas moins de 53 sites, dont beaucoup directement liés aux routes de la Soie, sont inscrits sur la liste du patrimoine culturel mondial. Samarcande, en Ouzbékistan, est l’un des joyaux de cette collection de trésors historiques.
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Bien sûr, les 53 sites précités n’englobent pas de manière exhaustive le rôle important qu’a joué l’Asie centrale dans le développement culturel et spirituel de l’humanité. Les commissions de l’Unesco s’évertuent à analyser et étudier les sites candidats en tâchant d’équilibrer les représentations.
Un marqueur des relations avec la Chine
Sarazm, le plus ancien village sédentaire d’Asie centrale, figure depuis 2010 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. La conférence générale de l’Unesco a décidé de célébrer les 5500 ans de ce foyer de la culture tadjike en septembre 2020, dans la ville tadjike de Pendjikent. Selon les archéologues, la route du lapis-lazuli a traversé l’antique cité, pour ensuite devenir l’un des itinéraires sûrs des routes de la Soie, qui reliait l’Europe à la Chine et à l’Inde.
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Depuis l’époque des routes de la Soie, aucune montagne ni aucune rivière, pas même l’immensité des steppes et l’aridité des déserts n’a empêché les peuples d’Asie centrale de communiquer avec la Chine. Ces liens étaient marqués à la fois par l’intérêt mutuel de développer des relations commerciales et économiques et par le désir de se connaître et de s’enrichir. Depuis l’aube de la civilisation, cette tradition de dialogue et d’échange se perpétue et la route de la Soie n’a pas fini de rapprocher les peuples.
Rachid Alimov
Docteur en sciences politiques
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Edité par Nazira Zhukabayeva
Relu par Guilhem Sarraute
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