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La qualité des nouvelles constructions suscite l’inquiétude des habitants de Douchanbé

Au Tadjikistan, il semblerait que la confiance générale pour les bâtiments récemment construits soit au plus bas, à tel point que certains habitants craignent pour leur vie. Cela pose la question de savoir comment renouveler le parc immobilier et l'adapter aux problématiques actuelles.

Rédigé par :

lmorvan 

Traduit par : Thibaut Bacquaert

Asia-Plus

Bâtiment Douchanbé
Les nouvelles constructions à Douchanbé inquiètent les habitants. Photo : page Facebook de Gafour Chermatov.

Au Tadjikistan, il semblerait que la confiance générale pour les bâtiments récemment construits soit au plus bas, à tel point que certains habitants craignent pour leur vie. Cela pose la question de savoir comment renouveler le parc immobilier et l’adapter aux problématiques actuelles.

Gafour Chermatov, historien et membre de l’union des architectes du Tadjikistan, a publié un texte sur sa page Facebook à propos des nouvelles constructions de la capitale. Il rappelle que plus de 80 % du territoire national se trouve sur une zone sismique de catégorie 8-9, sur un maximum de 12 sur l’échelle Medvedev-Sponheuer-Karnik. La publication a suscité de nombreux commentaires, parmi lesquels la rédaction d’Asia-Plus a choisi les plus pertinents.

Avant toute chose, voici la publication de Gafour Chermatov :

« J’ai peur. Nous ne tirons aucune leçon du tremblement de terre en Turquie. Même à l’époque de l’Union soviétique, nous prenions plus en compte le fait que le territoire du Tadjikistan est une des zones sismiques les plus à risque. Selon la carte sismique du Tadjikistan, plus de 80 % du territoire est à un risque élevé. Le haut-plateau forestier sur la rive gauche de Douchanbé, où sont construits la plupart des hauts immeubles aujourd’hui, est une zone très peu sûre pour les constructions à hauts étages. Aujourd’hui, il faut que nous pensions au futur. »

Sacrifiés pour des bénéfices

Dans les commentaires, de nombreux internautes font référence aux constructions du temps de l’Union soviétique. 

« Sous le pouvoir de l’Union soviétique, à Khorog (ville dans le Sud-Est du pays, ndlr) par exemple, il était interdit de construire des bâtiments de plus de quatre étages. Sous le pouvoir actuel, on construit des bâtiments de neuf à douze étages, et cela rien que pour le profit. Heureusement, il n’y a qu’un seul de ces bâtiments qui soit habité actuellement, les autres sont encore en cours de construction », écrit Abazbek Ibraguimov.

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« Qui se souvient des constructions d’un étage avec des pans de mur inclinés ? Cela était fait pour résister aux tremblements de terre. Même dans les années 1950, on veillait à ne pas construire des bâtiments de plus de trois étages à Douchanbé. Le monde a changé », ajoute Sergueï Karpov.

L’infraction aux normes de sécurité

Certains internautes sont fortement préoccupés par le non-respect des normes de sécurité lors de la construction des immeubles.

« Il y a peu, j’ai lu que l’espace entre les bâtiments devait être d’au moins 20-25 mètres. Il faut voir ce que l’on construit aujourd’hui », partage Ossouda Nasroudinova. Dans son commentaire, Ira Salieva joint la photographie d’une de ces nouvelles constructions où deux bâtiments sont construits littéralement l’un contre l’autre.

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Malgré un contrôle progressif de la fiabilité des constructions face au risque sismique – que le Comité pour l’architecture et la construction au Tadjikistan a annoncé récemment – les habitants ne sont pas rassurés.

« Quand bien même des expertises prouveraient (ce qui risque déjà peu d’arriver !) que telle ou telle construction n’est pas sûre, où seraient relogées les personnes qui habitent depuis moins d’un an dans ces nouveaux immeubles ? C’est pour cela que je pense que, malheureusement, on ne peut plus revenir en arrière ! On ne peut que s’en remettre au Tout-Puissant », estime Machoura Ousmanova.

La dégradation de l’image de la ville

Certaines personnes ne sont pas seulement insatisfaites de la qualité des bâtiments, mais aussi de la nouvelle image de la ville, gâchée selon eux par les nouveaux bâtiments.

« Les immeubles ne sont beaux que sur les affiches. Dans la réalité, ils sont tordus, faits de pans monolithiques en proie au vent. On a l’impression qu’ils peuvent nous tomber dessus. Un quartier entier avec de tels bâtiments a été construit, une vraie jungle. C’était autrefois le quartier le plus calme et le plus agréable de la ville. Comme si nos architectes et ceux qui valident leurs projets n’avaient aucune capacité de projection et aucun goût. S’ajoute à cela la question de la solidité et du risque sismique : on verra bien avec le temps. Il ne nous reste plus qu’à espérer », écrit Mavlouda Mirzoïeva.

Les internautes expliquent la mauvaise qualité des constructions par « l’avidité des pouvoirs publics ». « Ils n’ont plus de temps pour réfléchir ! Il leur faut trouver de l’argent coûte que coûte, même au prix de victimes », écrit Amal Khanoum Gadjieva. 

Des maçons qui travaillent nuit et jour

Certains internautes disent ne pas vouloir vivre dans ces nouvelles constructions à cause de leur manque de fiabilité.

« Les murs sont construits avec des demi-briques, c’est pour cela qu’ils ne sont pas droits. Allez sur n’importe quel chantier et voyez les méthodes de construction. Je ne veux pas vivre dans ces nouveaux bâtiments. En plus, ils ont l’air d’avoir déjà 50 ans, ce qui en dit long sur la qualité des matériaux », raconte Djek Rok.

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Mariam Radjabzade évoque quant à elle les conditions de travail des maçons, qui œuvrent même la nuit :

« Ce qui m’inquiète le plus, c’est que les maçons travaillent de nuit. Par exemple en face du centre commercial Saodat. La nuit, tout le monde ressent le besoin de dormir. Et comment travaille un maçon sur le chantier d’un immeuble de 18 heures à 7 heures du matin alors même qu’il est épuisé ? Il fait son travail car les promoteurs pressent avec le calendrier, mais c’est la qualité des constructions à Douchanbé qui en pâtit. En plus de cela, les habitants ne peuvent pas dormir à cause des bruits de chantier, particulièrement à la mi-saison. Comment le chirurgien peut-il opérer le jour s’il n’a pas dormi correctement la nuit, et l’enseignant, le comptable, le sportif ? Et les autres personnes, comment peuvent-elles travailler ou étudier normalement ? De cela, ni les citoyens ni les médias ne parlent. Il y a pourtant une loi qui interdit les nuisances sonores nocturnes », écrit-elle.

La crainte d’un séisme

Dans un autre commentaire sous la publication de Gafour Chermatov, l’internaute s’adresse directement aux responsables des constructions :

« Il y a un autre danger dont nous devons nous préoccuper : suite à la privatisation, beaucoup de personnes ont fait des travaux dans leurs appartements et ont abattu des murs pour gagner de l’espace. Cela a été fait sans l’accord du voisinage, sans l’autorisation des pouvoirs publics et à l’encontre des normes. Beaucoup de caves ont été transformées en salles de sport privatives, particulièrement dans le quartier de Sino. Compte tenu des catastrophes liées au tremblement de terre en Turquie, il nous est indispensable de penser chacune de nos actions en sachant que nous vivons également dans une zone à risque sismique élevé. Que cela soit pris en compte par les architectes, les ingénieurs, les constructeurs et les promoteurs. »

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« Je ne sais pas quelles normes ils appliquent, et je n’y connais d’ailleurs rien à la construction, mais je suis allée faire un tour sur les chantiers. Là, les briques sont espacées entre elles à tel point que l’on voit la rue à travers le mur. Les piliers à l’intérieur des bâtiments sont eux aussi très espacés », partage Olia Poulatova.

Une problématique mieux gérée à l’époque soviétique

Dans les commentaires, certains écrivent avoir davantage confiance dans les constructions datant de la période soviétique :

« J’ai très peur des nouveaux immeubles. Je sais qu’ils ont été bâtis sans prendre en compte le risque sismique. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de construire vite et de faire des économies. C’est devenu un principe ici. On a peur depuis ce qu’il s’est passé en Turquie. Il n’y a plus que les constructions soviétiques qui demeurent fiables », écrit Janna Soubkhakoulova-Younousova.

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Elena Minko, en réponse à son commentaire, exprime son désaccord :

« Malheureusement, les anciennes constructions sont de moins en moins sûres. En faisant des travaux, par ailleurs illégaux, les gens démolissent les murs et font trembler le bâtiment tout entier », répond-elle.

Des immeubles-champignons

Certains abonnés au compte de Gafour Chermatov partagent leurs expériences personnelles :

« Ma mère est géologue et a écrit sa thèse sur la sismologie. L’été, je l’accompagnais dans ses expéditions où elle faisait des expériences. Elle a ensuite défendu son travail de recherche à Novossibirsk, sans aucun moyen financier… Tandis que maintenant, il suffit de payer pour défendre son travail et devenir soi-disant spécialiste ! Elle disait toujours qu’il ne fallait pas construire d’immeubles à hauts étages dans les zones à risque sismique. On a construit aujourd’hui des cages à lapins partout. Douchanbé est défiguré. C’est l’argent qui dirige le monde, ils font grimper les prix. Et ensuite ? Les tremblements de terre à Tachkent et en Arménie ne nous ont donc donné aucune leçon ? Visiblement non. Personne n’assumera la responsabilité de quelque catastrophe que ce soit », partage Elena Bakaïeva.

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Zamira Karimova s’inquiète quant à elle de la hausse fulgurante des constructions dans la ville. 

« Je suis aussi préoccupée au quotidien. Nous avons emménagé en 1977 dans le quartier 61. Avant sa construction, les ouvriers avaient creusé une fosse pour les fondations : cela avait duré très longtemps, même s’ils travaillaient du matin au soir. Depuis la chute de l’Union soviétique, j’observe les chantiers des immeubles. Ces bâtiments poussent comme des champignons », écrit-elle.

Choisir le bon modèle

Les internautes font le rapprochement entre la catastrophe qui a eu lieu en Turquie et la qualité de construction des immeubles de Douchanbé.

« Je pense que les bâtiments n’ont pas tenu en Turquie non seulement parce qu’ils étaient récents, mais surtout parce que leur qualité était mauvaise. J’espère que, chez nous, on accordera plus d’importance à la résistance des constructions face aux tremblements de terre », écrit Goultchera Yousoupova.

Pourtant, certains exemples prouvent qu’il est possible de construire des immeubles hauts dans des zones avec un risque sismique plus élevé qu’au Tadjikistan : c’est le cas notamment du Japon.

Chirine Rakhmanov
Journaliste pour Asia-Plus

Traduit du russe par Thibaut Bacquaert

Édité par Lucas Morvan

Relu par Véronique Tapponnier

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