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La liberté de la presse à l’épreuve du coronavirus au Tadjikistan

En 2020, la journée internationale pour la liberté de la presse a été célébrée en pleine pandémie du coronavirus au Tadjikistan. L’occasion de faire le point sur l’évolution de cette liberté dans le pays, et notamment ses lacunes.

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La liberté de la presse au Tadjikistan, ou plutôt ses lacunes, ont été mises en lumière par le coronavirus.

En 2020, la journée internationale pour la liberté de la presse a été célébrée en pleine pandémie du coronavirus au Tadjikistan. L’occasion de faire le point sur l’évolution de cette liberté dans le pays, et notamment ses lacunes.

Novastan reprend ici et traduit un article publié le 3 mai 2020 par le média tadjik Asia-Plus.

Célébrée chaque année le 3 mai, la journée internationale de la liberté de la presse agit comme un rappel à la communauté mondiale sur le fait que la liberté de la presse et la liberté d’expression constituent des droits fondamentaux fixés par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette année, en pleine pandémie de coronavirus, les médias tadjiks sont confrontés à la fois au problème de l’impossible accès à une information fiable, et à celui des menaces qui leur ont été adressées.

Le 30 avril dernier, soit le début officiel de l’épidémie dans le pays, le ministère tadjik de la Santé a officiellement commencé à communiquer sur le dépistage du coronavirus. Cependant, aucune information précise n’étant donnée, les journalistes ont tenté d’en savoir plus. Résultat : l’accès à l’information leur a été complètement fermé, les demandes officielles refusées.

Asia-Plus a interrogé les journalistes et les experts tadjiks : qu’a dévoilé la crise actuelle due au coronavirus sur la situation de la liberté des médias dans le pays ? « Ils ont essayé une fois de plus de nous faire taire » ont-ils répondu.

La mauvaise volonté des fonctionnaires

Selon Marat Mamatchoïev, journaliste et expert, la crise a révélé que le pays est privé d’accès aux sources d’information. « Les organes autorisés à lutter contre la propagation du coronavirus occultent les informations les plus importantes pour la société, refusent de commenter le niveau de préparation du système de santé à l’arrivée du Covid-19 », décrit-il. « De plus, les fonctionnaires cherchent à renforcer l’autocensure en menaçant de punir les journalistes insistants. La crise montre une fois de plus que les problèmes ne sont pas liés à ce que les journalistes « incitent », mais au fait que les fonctionnaires ne sont pas compétents et incapables de réagir de manière adéquate à de nouveaux défis » souligne Marat Mamatchoïev.

(ci-dessous, Marat Mamatchoev)

L’expert des médias Abdoumalik Kadirov, affirme à son tour que la crise sanitaire a montré à quel point les autorités tadjikes ne sont pas prêtes à dialoguer avec la presse. « Les journalistes, surtout ceux des médias indépendants, avaient du mal à obtenir des informations officielles fiables. Cela est dû à l’incompétence des fonctionnaires ou bien au fait qu’ils soient commandés d’en haut, et qu’ils ont interdit aux journalistes et aux bloggeurs l’accès aux informations socialement significatives. Non seulement ils ont dissimulé les nouvelles, mais sont également la cause de la contamination massive de la population ignorante » rapporte Abdoumalik Kadirov.

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Le président de l’association nationale des médias indépendants du Tadjikistan Nouriddine Karchiboïev estime que l’état critique actuel est devenu un révélateur du problème d’accès à l’information au Tadjikistan. « Bien que l’information concernant la santé publique ne soit pas du tout confidentielle, le ministère de Santé et d’autres hauts fonctionnaires, (y compris ceux venant de structures internationales) ont de toute manière restreint les droits de la population à l’information fiable. Il y a même eu des menaces de poursuites judiciaires contre des journalistes » assure Nouriddine Karchiboev.

Les journalistes menacés

Nouriddine Karchiboïev a constaté que des menaces, en provenance du porte-parole du ministère de la Santé, ont été adressées aux journalistes ainsi qu’à des employés de l’édition « SSSR », lorsqu’ils ont filmé la panique dans le marché « Mekhrgon ».

 « En ce moment, la société tadjike a besoin de cohésion afin de résister au risque de propagation du coronavirus. Cependant, sans un journalisme de haute qualité qui, quelle que soit l’attitude des autorités, accomplit ses obligations envers la société, il est peu probable que nous obtenions le succès », décrit Nouriddine Karchiboïev. « C’est la lutte pour la vie qui dicte aux structures gouvernementales de changer leur attitude par rapport à la presse en créant les conditions pour son fonctionnement normal » affirme le président de l’association.

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Zebo Tadjibaïeva, fondatrice et directrice du média tadjik Your.tj ne cache pas qu’elle était « choquée de ce qui se passait autour des médias ces derniers temps ». « Les autorités, en principe, n’ont jamais vraiment respecté la liberté d’expression au Tadjikistan, mais cette fois-ci, il est arrivé qu’un certain nombre de rédactions et même des journalistes indépendants reçoivent des menaces. Ceux-ci ont également dû affronter une vague entière de trolls et de fausses informations », décrit Zebo Tadjibaïeva. « La réaction de mes collègues Ce qui m’a pourtant le plus troublé reste que certains de mes collègues n’avaient aucune honte à écrire de purs mensonges et des insultes à l’encontre de leurs confrères. Cependant, je suis convaincue que c’est grâce au courage et à la persévérance des médias indépendants que la vérité est parvenue à la société » déclare-t-elle.

Selon Zebo Tadjibaïeva, les médias ont démontré une fois de plus qu’ils sont le quatrième pouvoir, même s’ils ont dû déployer des efforts énormes pour y parvenir. Cependant, elle note que les perspectives des médias indépendants tadjiks ne sont malheureusement pas si encourageantes.

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« On a fait taire les journalistes et on ne les a pas laissé effectuer leur devoir professionnel qui est d’informer la population sur les questions vitales : la vie et la santé », affirme de son côté Goulnora Amirchoeva, rédactrice en chef du média Vetcherka.tj. « En ce moment difficile pour tous où l’épidémie se répand, et où les journalistes ne peuvent tout simplement pas publier l’information officielle et véridique, j’ai l’impression qu’on est les otages de ce manque de liberté, c’est horrible », estime-t-elle, troublée. « Encore une fois, sous le prétexte de, soi-disant, diffuser des informations mensongères et de semer le chaos, on nous met la pression », affirme Goulnora Amirchoïeva.

Une « victoire du quatrième pouvoir »

Abdoumalik Kadirov ajoute également que la pandémie a prouvé à quel point les journalistes et les bloggeurs sont patriotes, bien qu’ils aient été stigmatisés à outrance. « Ils ont risqué de « tomber en disgrâce » aux yeux de ceux qui ont le pouvoir, de se trouver sous des mécanismes punitifs des autorités pour « propagation de fausses informations », de perdre leur travail, etc. Toutefois, ils ont diffusé de l’information avérée, ont raconté ce qu’est le coronavirus et comment le surmonter, comment s’en protéger et protéger ses proches, et que faire en cas, malgré tout, de contamination », décrit l’expert des médias. « C’était une information fiable, qui a contribué au fait que, lorsque les autorités ont néanmoins annoncé l’existence du virus, la population n’a plus paniqué et les gens ont appréhendé la situation calmement » estime Abdoumalik Kadirov.

Abdoumalik Kadirov a souligné que des conditions satisfaisantes ont pu être mises en place pour ceux qui avaient été mis en quarantaine, grâce aux journalistes. Les médecins et infirmières ont également enfin pu cesser d’acheter les combinaisons de protection à leurs frais.  « La pandémie a divisé les journalistes et les bloggeurs, ceux qui « combattaient à mort », en permettant aux gens de connaître la pure vérité, et ceux qui ont pris la position du gouvernement « au prétexte de garder le calme et de prévenir la panique » en dissimulant la présence du Covid-19 au Tadjikistan » a-t-il poursuivi.

« La vérité a finalement triomphé et c’est sous la pression des médias que l’OMS a été forcée d’envoyer des représentants dans le pays, et les autorités obligées d’admettre la présence du virus sur le territoire. Ceci, bien sûr, est la victoire du « quatrième pouvoir» sur l’exécutif », a-t-il conclu.

Bakhmanor Nadirov
Journaliste pour Asia-Plus

Traduit du russe par Yuldoshbek Saidov

Edité par Christine Wystup

Relu par Anne Marvau

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