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Duo Falak, ou comment infuser la tradition tadjike dans la musique expérimentale

Dans la capitale tadjike, un duo de musiciens revisite la musique populaire traditionnelle du falak. Ce répertoire, déjà sujet à diverses redéfinitions ces dernières années, met un pied dans la musique expérimentale contemporaine avec ce nouveau projet.

Duo Falak Concert
Le Duo Falak en concert. Source : muza_dushanbe / Instagram.

Dans la capitale tadjike, un duo de musiciens revisite la musique populaire traditionnelle du falak. Ce répertoire, déjà sujet à diverses redéfinitions ces dernières années, met un pied dans la musique expérimentale contemporaine avec ce nouveau projet.

Le 6 décembre dernier, au musée des instruments de musique Gourmindj, le Duo Falak a donné son premier concert officiel chez lui, à Douchanbé. L’évènement est assez confidentiel : la musique expérimentale n’est pas vraiment un genre couru au Tadjikistan. Aussi, lorsque ces musiciens se produisent à Douchanbé, c’est devant un public principalement constitué d’amis et grossi grâce au bouche-à-oreille.

Le duo a pourtant du succès à l’étranger, jusqu’à Berlin, et est plus particulièrement habitué des scènes ouzbèkes. Son premier album, Tira-Tira, sorti en octobre dernier, a été enregistré lors d’un concert à Tachkent et est disponible sur différentes plateformes.

Chohine Qourbonov est DJ et mixe un peu partout en Asie centrale, mais il joue aussi de la doïra, un instrument de percussion tadjik. Il est accompagné de Denis Sorokine et de sa guitare électrique, accordée comme il l’entend – c’est-à-dire prête à rappeler les accords sacrés du roubab pamiri.

Ils proposent leur programme habituel : une quarantaine de minutes d’improvisation à la doïra et à la guitare électrique, quelque part entre la tradition du falak et la musique expérimentale contemporaine.

Genre, style ou répertoire ?

Le falak n’a de toute façon pas de définition précise. L’anthropologue et ethnomusicologue Ariane Zevaco explique que les musiciens le définissent souvent sobrement comme une façon de « dire sa souffrance à Dieu », ou encore par la « puissance émotionnelle et spirituelle du répertoire ». Ainsi, les frontières entre le falak et d’autres musiques populaires traditionnelles tadjikes sont pour le moins ténues.

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Le duo propose lui aussi une définition qui ne donne pas réellement d’éléments musicaux. Pour lui, « cette musique vient des sommets du Pamir et des temps pré-islamiques. C’est pourquoi bon nombre de ses chanteurs s’adressent au ciel avec ces questions éternelles : qui sommes-nous, où sommes-nous, pourquoi vivons-nous? »

Si les institutions se sont finalement accordées pour en préciser les contours et en définir les normes, c’est avant tout en raison d’une décision politique visant à promouvoir certains aspects de cet héritage, et non le fruit d’un consensus. Une réponse à la question est impossible, étant donnée la diversité des pratiques dans les régions dont ce genre est originaire – de Khatlon, dans le Sud du Tadjikistan, et du Badakhchan, à cheval sur l’Est du pays et l’Afghanistan.

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Pour sa part, Chohine Qourbonov raconte à Novastan que le duo a compris qu’il faisait du falak comme on découvre qu’on fait de la prose : « Le projet a pris forme après qu’on ait joué plusieurs fois ensemble sur scène en improvisation et compris qu’en l’essence, il s’agissait de faire un bœuf. Puis nous avons commencé à ajouter plus d’éléments issus du falak et à nous rapprocher un peu plus de la tradition. »

De nombreuses influences

Cependant, le duo incorpore de nombreux genres et reste très influencé par le free jazz. « Nous avons de nombreuses influences musicales, du jazz d’avant-garde à la musique expérimentale en passant par les musiques dansantes, les rythmes africains et la musique académique contemporaine », détaille le percussionniste.

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Chohine Qourbonov et Denis Sorokine enrichissent petit à petit leurs performances de nouvelles expérimentations instrumentales. L’un laisse un temps sa doïra pour jouer de la guimbarde ou improviser un chant sans paroles, tandis que l’autre explore les possibilités physiques de son instrument pour en extraire tantôt les notes futuristes de la musique électronique microtonale, tantôt des sons piqués par l’utilisation de médiators incongrus – une baguette de bois, puis même, pourquoi pas, un peigne.

Mais l’instrumentation importe moins que l’intention finale de provoquer chez l’auditeur des sensations nouvelles, voire de toucher à une forme de spiritualité – un héritage, encore une fois, du falak.

« Comme dans notre musique il n’y a ni composition ni linéarité, l’auditeur est constamment plongé dans une confusion de sons et d’enchainements dynamiques. Cela donne une sensation d’immersion totale dans la musique, une sensation de transe », explique le musicien.

Transgresser la tradition en gardant son essence

Dans le même temps, le duo s’affranchit d’un certain nombre de conventions, n’incorporant pas de paroles au chant alors que le falak repose traditionnellement sur l’interprétation d’un poème. De même, le choix des instruments et de jouer en duo tranche avec la tradition la plus répandue, celle de chanter seul en s’accompagnant d’un dotar ou d’un roubab.

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Ni tout à fait genre, ni vraiment style, plutôt répertoire : c’est suffisamment flou pour que les esprits libres en fassent ce qu’ils veulent et se l’approprient dès qu’ils peuvent s’identifier à certains de ses codes, à sa tradition ou à sa dimension spirituelle. Alors que ni le percussionniste ni le guitariste ne sont originaires de ses régions historiques, le falak semble devenir réellement la propriété de tous les Tadjiks.

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Le projet ne bénéficie d’aucun soutien extérieur – « sauf celui des amis, ce qui est peut-être le principal », remarque Chohine Qourbonov. C’était aussi le cas des chanteurs de musique traditionnelle populaire, avant qu’ils n’éveillent l’intérêt des politiques culturelles.

En attendant, le duo compte bien poursuivre sur cette voie avec l’enregistrement d’un deuxième album et une nouvelle tournée à l’étranger.

Paulinon Vanackère
Rédactrice pour Novastan

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