Accueil      Comment les femmes handicapées sont discriminées au Tadjikistan

Comment les femmes handicapées sont discriminées au Tadjikistan

Au sein des familles tadjikes, les soins à l’égard des femmes handicapées se limitent souvent à la nourriture et aux habits. Elles subissent parfois jusqu'à dix fois plus de violences physiques ou sexuelles que les femmes en bonne santé, et très souvent la médecine et l’éducation leurs sont inaccessibles.

Rédigé par :

Asia Plus 

Edité par : lmartin

Traduit par : Abdullaev Alan

Asia-Plus

Tadjikistan femmes handicap discrimination
Des femmes handicapées manifestant. Photo : Asia-Plus / Pexels.

Au sein des familles tadjikes, les soins à l’égard des femmes handicapées se limitent souvent à la nourriture et aux habits. Elles subissent parfois jusqu’à dix fois plus de violences physiques ou sexuelles que les femmes en bonne santé, et très souvent la médecine et l’éducation leurs sont inaccessibles.

La Convention sur l’élimination de toutes formes de violences à l’égard des femmes, signée par le Tadjikistan en 1993, stipule que l’inégalité des genres et la discrimination sont les premières causes des violences contre les femmes.

Au Tadjikistan, la plupart des femmes handicapées sont confrontées aux discriminations depuis leur naissance, lorsque leur famille décide de ne pas leur donner une éducation, mais aussi de les enfermer à la maison et les cacher du voisinage. De telles décisions sont prises tout au long leur vie.

En l’honneur du mouvement international des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, le média tadjik Asia-Plus a publié les témoignages de femmes handicapées confrontées à ces discriminations.

Des structures médicales mal équipées pour l’accès aux handicapés

Il y a quelques années, Sitora Kourbanova, activiste et gérante de l’organisme public Safoï Konibodom qui gère la question des personnes en situation de handicap, s’est rendue dans un cabinet d’échographie d’une maternité de la capitale. Malheureusement, elle n’a pas pu y entrer sans aide.

Comme la plupart des édifices à Douchanbé, les rampes en marbre mal positionnées ont empêché sa montée en chaise roulante. Elle a dû demander de l’aide : quatre hommes l’ont portée jusqu’au cabinet.

Je fais un don à Novastan

« Lorsque j’ai demandé au personnel médical à quelle fréquence des femmes en chaise roulante visitaient le cabinet, on m’a répondu qu’en deux ans, il y en avait eu seulement une. Ce n’est pas surprenant, les femmes invalides n’ont pas accès à la plupart des établissements du pays », explique Sitora Kourbanova.

Cette histoire lui est arrivée cinq ans auparavant lorsqu’elle participait à l’enquête « Personnes handicapées au Tadjikistan : obstacles à la participation de la vie en société ». Depuis, peu de choses ont changé.

Le rejet des femmes handicapées dans la vie sociale

Les personnes invalides au Tadjikistan sont exclues de plusieurs aspects importants de la vie sociale. Cela concerne toute personne en situation de handicap, que ce soit une femme ou un homme. Cependant, les femmes sont souvent privées du droit à la santé sexuelle et reproductive, et sont victimes d’abus sexuels et de stérilisation forcée.

Selon les statistiques de l’ONU Femmes, le pourcentage de femmes handicapées est de 19,2 % : c’est une femme ou fille sur cinq qui vit avec un handicap ou autre problème de santé. Chez les hommes, le niveau est de 12 %.

Lire aussi sur Novastan : Contaminer son épouse puis l’accuser : ces femmes tadjikes séropositives face aux discriminations sociales

« Les femmes invalides subissent des discriminations depuis leur enfance, d’abord sur le genre, ensuite sur le physique. C’est principalement cette catégorie qui est plus souvent victime de violences domestiques, qui n’a pas accès à l’éducation ni aux droits basiques, par exemple en ce qui concerne la reproduction et la sexualité », raconte Saïda Inoïatova, dirigeante de la ligue des femmes invalides Ichtirok.

Une approche complètement différente pour les garçons invalides

Sitora Kourbanova confirme que la femme invalide subit des discriminations avant tout de la part de sa propre famille. En effet, « lorsque les proches comprennent que la situation ne changera jamais, ils cessent de dépenser leur énergie et leurs ressources pour les femmes invalides. On s’occupe d’elles seulement en les nourrissant et en les habillant. »

Elles ne reçoivent aucune éducation et vivent dans la maison de leurs parents. Après la mort de leurs parents, elles sont souvent envoyées dans des internats spécialisés, où elles finissent leurs jours.

Envie de participer à Novastan ? Nous sommes toujours à la recherche de personnes motivées pour nous aider à la rédaction, l’organisation d’événements ou pour notre association. Et si c’était toi ?

L’approche est différente pour les garçons invalides : la société s’efforce de les former à un métier, de leur donner une éducation et de leur trouver une fiancée. Sitora Kourbanova explique que « souvent, la fiancée peut même être une jeune fille en bonne santé, mais issue d’une famille pauvre. Et après, le soin du mari repose sur les épaules de sa femme. »

Un manque d’estime de soi

Les statistiques globales confirment ses dires. D’après les données de l’ONU, 19,6 % des femmes invalides ont une occupation, contre 52,8 % chez les hommes invalides. Cet écart d’emploi entre hommes et femmes est influencé, entre autres, par le manque d’éducation classique et professionnelle. En plus, la discrimination constante dont sont victimes les femmes handicapées détruit leur estime de soi.

« Tous les jours, on fait face à des femmes invalides qui n’ont aucune compétence en communication avec d’autres personnes. Elles ne savent pas se présenter, elles se sous-estiment à tel point qu’elles arrêtent de faire des choix importants dans leurs vies, même si on leur en offre la possibilité. Tout ça, c’est la conséquence de la discrimination que les femmes subissent depuis des années », selon Saïda Inoïatova.

Lire aussi sur Novastan : Comment l’appareil judiciaire discrimine les femmes au Tadjikistan

Elle énumère les services basiques auxquels les femmes handicapées ne peuvent pas accéder. Dans cette liste, ce ne sont pas seulement les institutions médicales mais aussi les salons de beauté ou les lieux pour personnes ayant subi des violences domestiques.

La solitude chez les femmes en situation de handicap

Les centres de santé reproductive offrent la possibilité aux femmes invalides de demander de l’aide à un médecin pour une consultation urgente, mais elles ignorent leurs droits et en font très peu la demande. Dans une grande majorité des cas, les familles interdisent à leurs filles handicapées de consulter un gynécologue. Selon eux, cela n’est pas nécessaire car elles ne doivent pas devenir mères.

Envie d'Asie centrale dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire en cliquant ici.

Sitora Kourbanova raconte que « lors d’une formation sur les droits reproductifs, une des participantes m’a prise à part et a fondu en larmes. Elle m’a raconté qu’un jeune homme, dont elle était amoureuse, était venu la demander en mariage. Mais sa famille a refusé le mariage en arguant que le mari pouvait à tout moment la laisser tomber à cause de son handicap. Elle serait obligée de revenir auprès de sa famille, peut-être même avec un enfant. Et l’idée qu’une femme handicapée donnera naissance à des enfants handicapés est très présente. »

La solitude chez les femmes invalides est une tendance et non un fait isolé. En 2020, International Alert a mené une étude au Tadjikistan révélant que les femmes invalides restent très souvent seules contrairement aux hommes. Elles ont moins de chance de se marier avec un homme en bonne santé, alors que les hommes invalides se marient souvent avec des femmes en bonne santé.

La rédaction d’Asia-Plus

Traduit du russe par Alan Abdullaev

Édité par Lisa Martin

Relu par Charlotte Bonin

Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !

Commentaires

Votre commentaire pourra être soumis à modération.