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Format C5+1 : évolution et perspectives du dialogue régional en Asie centrale

L’intérêt des grandes puissances mondiales pour les jeunes républiques d’Asie centrale n’a cessé de croître depuis l’indépendance de ces dernières en 1991. En se penchant sur l’évolution du format de rencontre C5+1, le chercheur tadjik Abdougani Mamadazimov revient sur les relations entre ces pays en tant qu’entité régionale et les leaders mondiaux.

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Les ministres des Affaires étrangères du Japon et des républiques d'Asie centrale lors de la rencontre à Douchanbé, en mai 2019.

L’intérêt des grandes puissances mondiales pour les jeunes républiques d’Asie centrale n’a cessé de croître depuis l’indépendance de ces dernières en 1991. En se penchant sur l’évolution du format de rencontre C5+1, le chercheur tadjik Abdougani Mamadazimov revient sur les relations entre ces pays en tant qu’entité régionale et les leaders mondiaux.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 14 mars 2021 par le Central Asian Analytical Network.

Le développement des cinq nouvelles républiques d’Asie centrale, entamé une décennie plus tôt, a été interrompu par les attentats du 11 septembre 2001. Le regard du monde entier s’est alors tourné vers l’Afghanistan, pays instable et limitrophe de l’Asie centrale, d’où émanait une menace peu conventionnelle.

En un rien de temps, les États-Unis ont réussi à créer une grande coalition avec leurs alliés et à obtenir le mandat de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour mener une opération armée contre les Talibans. La coalition internationale dirigée par les États-Unis devait compter non seulement sur la loyauté des jeunes républiques d’Asie centrale voisines de l’Afghanistan, mais aussi sur leurs infrastructures terrestres et leurs centres logistiques pour combattre la menace.

La nouvelle configuration géopolitique des acteurs mondiaux dans les pays d’Asie centrale a conduit non seulement à une révision des orientations de leur politique étrangère, mais aussi à l’élaboration de nouvelles approches de la communauté internationale envers eux.

Lancement d’une nouvelle approche

Le Japon, troisième économie mondiale, a traditionnellement axé sa coopération avec les pays développés du Groupe des sept (G7) et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Il a pour partenaire prioritaire les États-Unis. Cependant, l’effondrement de l’Union soviétique et l’émergence d’une nouvelle région, l’Asie centrale, à la fin du XXème siècle, ont entraîné un certain ajustement dans l’orientation traditionnelle de la politique étrangère du pays du Soleil-Levant.

La première tentative d’en repenser ses priorités a eu lieu en 1997, lorsque le Premier ministre japonais de l’époque, Ryūtarō Hashimoto, a proclamé une nouvelle politique de « diplomatie eurasiatique » lors d’un discours devant l’Association des dirigeants d’entreprises de haut niveau. Il était alors question d’un renforcement des relations du Japon avec les pays d’Asie centrale et du Caucase.

Cette approche, rebaptisée plus tard « diplomatie de la route de la Soie », comprenait trois objectifs. Il s’agissait de développer le dialogue politique dans l’objectif de renforcer la confiance mutuelle, la coopération économique afin de promouvoir la prospérité de ces régions, et la coopération pour maintenir un régime de non-prolifération nucléaire, promouvoir la démocratie et maintenir la stabilité politique.

Première rencontre interministérielle

Cette première rencontre annonçait un véritable dialogue entre le Japon et l’Asie centrale. Trois aspects interdépendants étaient abordés : l’approfondissement des relations entre le Japon et l’Asie centrale, en partant du principe que la paix et la stabilité de l’Asie centrale sont importantes non seulement pour la stabilité de l’Eurasie mais aussi pour le reste du monde ; l’importance de la coopération intrarégionale, le Japon déclarant son intérêt et son réel soutien aux pays d’Asie centrale ; la coopération entre le Japon et l’Asie centrale sur la scène internationale, comprenant des échanges d’avis dans des domaines tels que la réforme des structures de l’ONU, le changement climatique, l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la sécurité humanitaire.

Dans ce contexte, et lors de ses premières années dans la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF), le Japon a lancé un nouveau format de dialogue, « Asie centrale + Japon » ou « C5+1 ». Le 28 août 2004, la ministre japonaise des Affaires étrangères Yoriko Kawaguchi s’est entretenue pour la première fois dans la capitale kazakhe avec ses homologues des cinq républiques d’Asie centrale –  seul le Turkménistan était représenté par un ambassadeur et non par un ministre.

Une approche globale

L’Asie centrale y était envisagée dans une approche globale, et non dans une vision sélective, axée sur chaque pays. Certains grands acteurs voyaient alors ces pays comme un composant de grands ensembles, telles que la Communauté des États indépendants (CEI), l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou encore l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

Le Japon, pionnier dans sa vision holistique de l’Asie centrale, se basait sur le célèbre modèle ASEAN+, qui paraissait en effet approprié pour cette nouvelle région du monde, afin d’en améliorer le statut politique et le potentiel économique dans un dialogue avec les nouvelles grandes puissances. En octobre 2015, le Premier ministre japonais Shinzo Abe s’est rendu au Tadjikistan, au Turkménistan et au Kirghizstan, devenant ainsi le premier dirigeant japonais à visiter ces républiques. Le pays du Soleil-Levant a été la première des puissances du monde moderne à attirer l’attention sur le potentiel croissant de l’Asie centrale.

Efforts de consolidation régionale interne

Les cinq jeunes républiques cherchaient elles-mêmes déjà leur place au sein de certaines structures régionales. En 1993, les dirigeants politiques du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan ont établi un accord sur les mesures visant à renforcer l’intégration économique. L’année suivante, ils ont signé un traité sur la création d’un espace économique commun.

Avec l’adhésion du Kirghizstan a été formée la Communauté centre-asiatique (CCA), à laquelle le Tadjikistan a adhéré en 1998. Cependant, en raison des ressources limitées des pays participants, il a été décidé de se concentrer principalement sur la dimension économique de la coopération. Par conséquent, la CCA a été transformée en Communauté économique centre-asiatique (CECA). Le traité a été signé le 28 février 2002 à Almaty.

Premier élargissement de la CECA

Environ deux mois après la réunion des ministres des Affaires étrangères du Japon et des pays d’Asie centrale, le 18 octobre 2004, lors du sommet de la CECA à Douchanbé, le président russe Vladimir Poutine a signé le protocole d’adhésion de la Russie à cette organisation. Le pays avait été invité à la CECA à l’initiative du président ouzbek Islam Karimov.

Le 6 octobre 2005 à Saint-Pétersbourg, lors du sommet de la CECA, celle-ci a été fusionnée avec l’EurAsEC. Ainsi, les dures réalités de l’ère post-soviétique n’ont pas permis à la jeune région de s’engager dans la coopération intrarégionale uniquement grâce à ses propres forces et à ses capacités. Entre-temps, les acteurs mondiaux ont commencé à prendre conscience de la pertinence du format japonais C5+1.

Asie centrale et république de Corée

La Corée du Sud a fait partie des premiers pays à adopter le modèle japonais d’interaction avec l’Asie centrale. L’administration du président sud-coréen Roh Tae-woo avait développé à la fin des années 1980 le concept de « politique du Nord », grâce auquel la Corée du Sud avait noué des liens privilégiés avec la Chine et l’URSS.

Les administrations ultérieures de la république de Corée ont également accordé une attention particulière à cette politique et ont mis l’accent sur l’Asie centrale, peut-être en raison de l’importante diaspora coréenne en Ouzbékistan et au Kazakhstan. La « nouvelle politique du Nord » de la Corée du Sud, annoncée après l’arrivée de l’administration de Moon Jae-in, s’est ainsi étendue aux républiques d’Asie centrale.

Version coréenne du format C5+1

La stratégie consistait à renforcer la coopération entre les pays de l’Eurasie à travers la création d’une communauté économique du Nord dans l’intérêt de maintenir la paix et la prospérité commune. Le fait d’avoir créé une structure distincte – le Comité présidentiel pour la coopération économique du Nord – témoigne du sérieux de la stratégie.

Après le Japon, la Corée du Sud a opté pour le format C5+1, en créant une plateforme distincte : le Forum de coopération « Asie centrale + République de Corée », qui bénéficie en 2021 de plus de dix ans d’expérience dans l’interaction avec les pays d’Asie centrale. Il demeure évident que l’approche sud-coréenne, marquée par la dimension régionale, est tout de même principalement axée sur le développement de liens économiques et commerciaux avec les diasporas coréennes présentes dans la région.

Asie centrale et États-Unis

Les États-Unis, leaders de la coalition antiterroriste en Afghanistan, ont intensifié leurs contacts avec tous les pays d’Asie centrale. Déjà précédemment, ils comptaient parmi les premiers leaders mondiaux à reconnaître leur souveraineté politique. En 1992, le Congrès des États-Unis avait adopté la loi « sur le soutien à la liberté ». Son objectif était de déclencher une aide américaine à 12 nouveaux États de la CEI, y compris ceux d’Asie centrale, pour y faciliter la transition du communisme à la démocratie et à l’économie de marché.

Les États-Unis étaient également parmi les premiers pays à évaluer l’importance de l’Asie centrale sur la scène internationale après l’effondrement de l’URSS. Depuis le début, la stratégie américaine reposait sur le principe du régionalisme en Asie centrale. Son application était toutefois compliquée à mettre en place compte tenu des actions des rivaux géopolitiques et des contradictions des pays d’Asie centrale eux-mêmes.

Un intérêt grandissant

Dans son discours du 27 mars 1997 au Center for Strategic and International Studies, Sandy Berger, conseiller du président des États-Unis à la sécurité nationale, mentionnait la région de la mer Caspienne comme un « domaine d’intérêt national des États-Unis ».

Cette remarque, basée sur le dualisme géopolitique de l’époque (États-Unis/Russie), a été commentée par le célèbre politologue américain Zbigniew Brzeziński : « L’accès aux ressources et l’obtention d’une part de leur richesse potentielle sont des objectifs qui stimulent les ambitions nationales, conditionnent les intérêts d’entreprises, ravivent les revendications historiques, réaniment les aspirations impériales et attisent les rivalités entre pays. Les implications géostratégiques des États-Unis sont claires : les États-Unis sont trop éloignés pour dominer cette partie de l’Eurasie, mais trop puissants pour ne pas être impliqués… La Russie est trop faible pour rétablir sa domination impériale sur la région ou exclure une telle domination de la part d’autres puissances, mais elle est trop proche et trop forte pour ne pas être prise en compte. »

Vers la « grande Asie centrale »

En 1999, le Congrès des États-Unis a adopté la loi sur la « stratégie de la route de la Soie », visant à soutenir les projets de développement de réseaux de communication entre l’Europe et l’Asie à travers les régions du Caucase et de l’Asie centrale, en contournant la Russie. En 2005, le directeur de l’Institut d’Asie centrale-Caucase auprès de l’Université Johns-Hopkins, Stephen Frederick Starr, a mis en avant le concept de « grande Asie centrale ».

Celui-ci a été rapidement intégré à la politique américaine dans la région. Il consistait en la réunion des républiques d’Asie centrale, de l’Afghanistan et des pays d’Asie du Sud dans le cadre du « Partenariat pour la coopération et le développement de la grande Asie centrale » établi par Washington. L’objectif était de développer la coopération entre les pays inclus dans ce partenariat avec les États-Unis et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).

Le concept de « grande Asie centrale » a été évalué par certains experts comme un projet visant à séparer la région d’Asie centrale de la Russie, de la Chine et de l’Iran sur les plans politique, économique et infrastructurel.

Version américaine du format C5+1

En 2009, les États-Unis ont commencé à travailler sur la New Silk Road Initiative. L’objectif de ce projet était identique à celui de « la grande Asie centrale » : créer des conditions propices au renforcement des liens commerciaux entre les pays d’Asie centrale et d’Asie du Sud.

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Cependant, à la fin de l’administration de Barack Obama, les États-Unis ont commencé à entamer une transition vers le format japonais C5+1. Le secrétaire d’État des États-Unis, John Kerry, et les ministres des Affaires étrangères du Kazakhstan, du Kirghizstan, d’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan ont adopté la deuxième déclaration commune sur le partenariat et la coopération à l’issue de la deuxième réunion ministérielle au format C5+1, à Washington, le 3 août 2016.

Bien que l’Asie centrale n’ait pas été au centre des priorités de politique étrangère des États-Unis sous l’administration de Donald Trump, le secrétaire d’État Mike Pompeo a utilisé le format de l’administration précédente pour maintenir le dialogue avec les pays d’Asie centrale.

Prévalence de la dimension géostratégique

Symboliquement, comme l’a fait remarquer le politologue ouzbek Farkhod Tolipov, la visite du secrétaire d’État américain Mike Pompeo au Kazakhstan et en Ouzbékistan en février 2020 coïncide presque avec l’adoption de la nouvelle stratégie américaine en Asie centrale pour la période 2019-2025.

Il convient de souligner que l’Asie Centrale y est perçue par les États-Unis comme une « région à part entière ». Dans l’approche américaine du format C5+1, c’est en effet la dimension géostratégique de l’Asie centrale qui prévaut. Le rôle de cette dernière est alors de « jouxter » ses adversaires « existentiels », la Chine et la Russie, de sorte que la puissance combinée des pays de la région et leur sortie de la zone d’influence de ces deux superpuissances soient non seulement dans leur intérêt national, mais aussi dans celui des États-Unis. Cette approche s’éloigne donc des précédentes pour promouvoir un plus grand rapprochement entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud.

Asie centrale et Russie

Le passage des États-Unis au prisme C5+1 a entraîné un changement dans l’approche de la politique étrangère de leur principal concurrent dans l’espace post-soviétique, la Russie. Celle-ci considérait traditionnellement cet espace comme le terrain de ses propres intérêts nationaux, et en considérait les pays comme composants d’organisations régionales qu’elle dirigeait et coordonnait, telles que la CEI, l’OTSC ou l’Union économique centrasiatique (UEE).

En outre, après l’arrivée de Chavkat Mirzioïev à la tête de l’Ouzbékistan, État pivot de la région, il a été défini que la coopération étroite avec l’Asie centrale était l’une des priorités de la politique étrangère de la république. Cette initiative a été approuvée dans tous les autres États de la région.

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Début avril 2019 a eu lieu la première réunion du ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, avec ses cinq homologues des pays d’Asie centrale. La sécurité en était le thème principal, domaine où la Russie dispose d’un avantage indéniable.

Version russe du format C5+1

La réunion ordinaire des États membres de la CEI du 10 octobre 2019, à Achgabat, est un exemple unique de la poursuite du format C5+1. Non seulement la Russie y participait, mais également le Turkménistan qui avait traditionnellement évité les réunions multilatérales en raison de son statut de « neutralité permanente ».

Comme l’a rapporté Sergueï Lavrov, « les ministres ont abordé des questions d’actualité relatives à la coopération actuelle entre les six États dans les domaines de la stabilité et de la sécurité régionales, de la coopération économique, de la coopération sur la scène internationale, ainsi que dans la sphère culturelle et humanitaire ». Les États ont également confirmé leur intérêt commun pour la poursuite des échanges sur une base régulière.

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La troisième réunion des ministres des Affaires étrangères des pays d’Asie centrale et de la Russie s’est tenue mi-octobre 2020, lors du changement de pouvoir au Kirghizstan, par vidéoconférence. Malgré la virtualité de cette réunion, il devient évident que la Russie a fini par adopter le format de communication C5+1 initié par le Japon. Les spécialistes de l’Asie centrale appréhendent cependant que la Russie tienne à travers ce format à « entraîner » les cinq pays de la région dans une nouvelle union économique eurasiatique qu’elle dirigerait, comme 15 ans auparavant.

Qu’en est-il de l’Union européenne ?

Les États européens, occupés à renforcer leur propre nouvelle entité régionale, l’Union européenne, ne se sont dans un premier temps pas intéressés aux républiques d’Asie centrale en tant que région distincte. Ils ont davantage porté leur attention sur la nouvelle entité régionale que représentait la CEI post-soviétique, comme en témoigne le programme européen d’Assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS), destiné à accélérer les réformes économiques et la démocratisation dans les nouveaux États.

L’Union européenne s’est tournée vers l’Asie centrale pour la première fois lors de l’élaboration d’une infrastructure de transport et de logistique avec cette région éloignée. Ainsi en mai 1993, la Commission européenne lançait le programme Transport Corridor Europe-Caucase-Asie (TRACECA), avec huit pays du Caucase du Sud et d’Asie centrale.

L’approche européenne

En 2005, un an après le lancement de l’approche japonaise du C5+1, l’Union européenne a adopté une nouvelle vision de la région, concentrée exclusivement sur les cinq pays d’Asie centrale. En 2007, la stratégie intitulée « Union européenne et Asie centrale : de nouvelles perspectives pour un partenariat renforcé » a vu le jour. Dans cette stratégie, l’Union européenne n’a pas désigné de pays prioritaire pour la coopération, ce qui aurait donné aux autres républiques des rôles secondaires. Cette approche bilatérale et régionale équilibrée a été accueillie favorablement dans tous les États centrasiatiques.

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Les questions d’actualité telles que les droits de l’Homme, la primauté du droit, la gouvernance responsable et la démocratisation, la jeunesse et l’éducation, le développement économique, du commerce et des investissements, le renforcement des liens en matière d’énergie et de transport, le développement durable et les ressources en eau, le dialogue interculturel et la lutte contre des menaces communes étaient à l’ordre du jour de cette stratégie de coopération entre les deux vastes régions.

Une mise en œuvre compliquée

La mise en œuvre de cette stratégie n’a cependant pas fonctionné. D’une part, les dirigeants de l’Union européenne considéraient les transformations sociopolitiques de la région à travers leurs propres mécanismes, sans tenir compte de la culture politique de ces cinq républiques.

D’autre part, l’approche des gouvernements centrasiatiques était trop axée sur les consommateurs pour que les différents aspects de la stratégie soient correctement mis en œuvre. Le 15 mai 2019, la Commission européenne a annoncé la fin de cette stratégie et l’élaboration d’une nouvelle. Bien que la pandémie de Covid-19 n’ait pas permis d’exploiter pleinement son potentiel, sa dimension globale de la vision de l’Asie centrale, proche de l’esprit C5+1, est incontestable.

L’approche indienne

La première réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Inde et des cinq pays d’Asie centrale, avec leur homologue afghan également invité, a été organisée les 12 et 13 janvier 2019 à l’initiative de l’Inde dans la « capitale » de l’Asie centrale, Samarcande, au format « 5+1+1 ». Les questions abordées étaient diverses et variées, allant de la création du trafic trans-afghan à l’organisation intérieure de l’Afghanistan.

Cette rencontre ministérielle, suivie par les visites aux cinq républiques du Premier ministre indien Narendra Modi, témoignent du fait que l’Inde avait également opté pour le format C5+1.

Équilibre des liens interrégionaux

À l’heure actuelle, alors que toutes les superpuissances du monde lancent de grands projets en Asie centrale, l’Inde prépare elle aussi le terrain pour établir une voie commerciale vers l’Asie intérieure. En raison de la concurrence féroce avec le Pakistan situé sur la voie d’accès vers l’Asie centrale, l’Inde ne peut pas entrer dans la région directement et se voit donc obligée de contourner ce pays.

La solution trouvée consiste à établir une liaison maritime directe entre le port de Mumbai et le port iranien de Tchabahar, y transférer la marchandise par le chemin de fer en cours de construction en Afghanistan et dans les républiques d’Asie centrale, puis dans les régions voisines, en contournant donc le Pakistan par la mer. Pour l’Inde, préoccupée par la montée de l’extrémisme religieux en Asie du Sud et au Moyen-Orient voisin, l’essentiel est d’établir des liens étroits avec les États séculiers d’Asie centrale pour équilibrer les liens interrégionaux dans le dualisme religieux et laïque.

L’approche chinoise

Les dirigeants politiques chinois, qui utilisaient traditionnellement l’Organisation de coopération de Shanghai pour maintenir des liens diversifiés avec l’Asie centrale, ont également pris conscience de la pertinence d’avoir un lien distinct concernant son dialogue avec l’Asie centrale. La récente rencontre – en ligne dans le contexte pandémique – entre le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et ses homologues des cinq républiques centrasiatiques va dans ce sens.

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L’approche chinoise semble dominée par les questions de sécurité et par le potentiel de « région de transit » des pays d’Asie centrale. À mesure que le transport terrestre de la Chine vers l’Europe prend de l’importance, notamment en raison de la saturation du trafic maritime et de la vulnérabilité de certains de leurs goulets d’étranglement (canal de Suez, détroits de Malacca, de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz), les questions liées à la sécurité des marchandises prennent en effet de l’importance.

Conclusion

Sans aucun doute, l’achèvement de la première phase de construction de l’État-nation dans les jeunes républiques d’Asie centrale (1991-2016) a remis en question la nécessité d’une coopération régionale étroite. La deuxième génération de dirigeants politiques, représentée notamment par Chavkat Mirzioïev, a également mis à l’ordre du jour la pertinence de cette collaboration. Le premier mandat du dirigeant ouzbek démontre que chaque année, les processus centripètes dans la région centrasiatique s’intensifient, avec pour point de départ deux sommets informels : le premier en mars 2018 à Nur-Sultan, et le second en novembre 2019 à Tachkent.

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L’état d’esprit des dirigeants politiques et de la société mondiale, favorable à une coopération régionale étroite, crée un environnement interne et externe favorable à la « cristallisation » accélérée de l’Asie centrale sous sa forme régionale.

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C’est bien le modèle japonais C5+1 qui a eu le plus de succès dans le dialogue avec les jeunes républiques d’Asie centrale. En plus de 15 ans, il a passé l’épreuve du temps pour devenir l’outil principal de la mise en place et du maintien du dialogue avec les pays centrasiatiques. L’Asie centrale est de plus en plus perçue par la communauté mondiale comme une région cohérente, ce qui pourrait constituer un argument supplémentaire en faveur de son intégration régionale et motiver une nouvelle dynamique allant dans ce sens.

La bibliographie des sources est disponible dans l’article d’origine.

Abdougani Mamadazimov
Professeur associé à l’Université nationale tadjike

Traduit du russe par Ariadna Goulevskaya

Édité par Laure de Polignac

Relu par Eva Costes

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