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Takafoul : comment fonctionne l’assurance islamique en Ouzbékistan ?

Le Takafoul, l’assurance islamique, est un système d’assurance conforme aux principes de la solidarité, de charité et d’entraide, et en accord avec les règles du partenariat islamique, définies par la charia. Zoom sur sa mise en pratique en Ouzbékistan.

Un billet de 200 000 sums ouzbeks (illustration).
Un billet de 200 000 sums ouzbeks (illustration).

Le Takafoul, l’assurance islamique, est un système d’assurance conforme aux principes de la solidarité, de charité et d’entraide, et en accord avec les règles du partenariat islamique, définies par la charia. Zoom sur sa mise en pratique en Ouzbékistan.

L’histoire de l’assurance remonte à plusieurs millénaires, car le besoin de se protéger contre l’imprévu existe depuis l’Antiquité. Grâce à ce mécanisme, l’être humain peut se prémunir contre les aléas de vie, en répartissant le risques : qu’il s’agit de sa vie, de ses biens, ou d’autres aspects importants de son existence.

Dans le cadre de la série « Histoire d’assurance », le média ouzbek Hook s’est entretenu avec des experts pour comprendre le fonctionnement de l’assurance islamique en Ouzbékistan.

Les particularités du Takafoul

Le besoin de se protéger par l’assurance ne dépend ni des préférences personnelles, ni des conceptions religieuses ou de vision du monde. Toutefois, l’Islam impose certaines limites à la forme traditionnelle de l’assurance. Selon des juristes musulmans, l’assurance commerciale contient trois élément considérés interdits par la charia : le gharar (l’incertitude), le maysir (jeu d’hasard) et le riba (usure).

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Pour cette raison, un modèle d’assurance propre à l’Islam a vu le jour : l’assurance coopérative. Contrairement à l’assurance classique et commerciale, elle repose sur un principe fondamental de la charia : soulager les difficultés des personnes touchées par un sinistre.

Le fondement principal du Takafoul, l’assurance islamique, a été établi par une fatwa du Conseil de l’Académie islamique de jurisprudence, relevant du Conseil des ministres d’Arabie Saoudite, en 1985. Cette fatwa encourageait les pays musulmans à développer un système d’assurance conforme aux principes de la solidarité, de charité et d’entraide, en accord avec les règles du partenariat islamique, définies par la charia. Si dans un pays musulman, le système du Takafoul n’est pas encore disponible, un principe de dérogation d’urgence peut s’appliquer. Celui-ci permet d’avoir recours à l’assurance aux normes de la charia soit accessible.

En quoi le Takafoul se distingue-t-il de l’assurance classique ?

Le Takafoul, connu sous le nom d’assurance « mutuelle », ou coopérative, se distingue de l’assurance traditionnelle par ses objectifs fondamentaux : une participation solidaire aux pertes subies par les membres en cas d’événements imprévus et la protection de leurs intérêts communs.

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Dans le système Takafoul, le fonds d’assurance est alimenté par les contributions volontaires des participants. Ce n’est pas une prime commerciale, mais un don visé à soutenir les autres membres en cas de besoin. L’opérateur (la compagnie gestionnaire) utilise ce fonds pour verser les indemnisations. Toutes les opérations sont surveillées par un conseil de conformité à la charia (le conseil Takafoul). Si, à la fin d’une période, des excédents restent dans le fonds (après déduction des frais de gestion et commissions), ceux-ci peuvent être redistribués aux participants.

En adhérant au Takafoul, les participants signent un accord d’entraide financière, s’engageant à se soutenir mutuellement en cas de sinistre. Si un événement malheureux touche l’un des membres, l’indemnisation provient du fonds commun. Ainsi, les risques et les pertes sont répartis équitablement entre tous. Et si le fonds devient déficitaire, la charge est également partagée entre tous les membres à parts égales. Le montant de l’indemnisation est calculé au prorata de la valeur assurée de l’objet couvert.

Comment le fond se constitue-t-il dans l’assurance Takafoul?

Dans l’assurance islamique, le fonds d’assurance est constitué à partir des contributions des assurés, versées non pas comme des primes commerciales, mais à titre de dons destinés à venir en aide aux personnes ayant subi des pertes à la suite d’événements définis dans les règles du Takafoul. Parallèlement à l’assurance traditionnelle, où le fonds appartient à la compagnie d’assurance, dans le Takafoul, l’assureur n’est qu’un gestionnaire du fonds, sans droit de propriété dessus.

Pour la gestion de ce fonds, la compagnie d’assurance perçoit une commission prédéfinie prélevée sur chaque contribution, explique Otabek Nazarov, président du conseil d’administration de la compagnie d’assurance GROSS.

Quelles rétributions une compagnie d’assurance peut-elle recevoir du fonds ?

« Dans l’assurance islamique, le fonds d’assurance n’appartient pas à la compagnie d’assurance. Cette dernière se contente de le gérer et d’en percevoir les paiements. Si le fonds ne dispose pas des fonds suffisants pour verses les indemnités, la compagnie d’assurance lui accorde un prêt sans intérêt, remboursé par les prismes d’assurance futures. La compagnie d’assurance exerce ses activités, c’est à dire qu’elle prend en charge ses dépenses, paie ses impôts et perçoit des bénéficies sur les fonds reçus pour l’organisation des activités d’assurance et d’investissement », a souligné Otabek Nazarov, président du conseil d’administration de la compagnie d’assurance GROSS.

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Le contrat d’assurance avec le client est finalisé sous certaines conditions. Pour éviter toute forme d’incertitude, de malentendus, aucun risque inconnu n’est autorisé dans le contrat takafoul et toutes les informations sont transmises aux participants. Le jeu est empêché par le fait que le contrat repose sur la protection mutuelle et l’usure est empêchée par les contributions et les dons des participants. Les entreprises investissent l’argent reçu de l’assurance islamique.

Ainsi, il existe également un considérable nombre de limitations : il est interdit l’investissement des fonds dans des activités interdites par la charia. En outre, il n’est pas possible de percevoir de revenus provenant d’actions de sociétés impliquées dans la production et vente d’armes, d’alcool, de jeux d’hasard, de restauration et même d’hôtellerie.

Comment les entreprises ont-elles la possibilité d’investir l’argent reçu de l’assurance, alors que l’usure et les revenus d’intérêts sont sévèrement interdits par la loi ?

« De nombreux instruments financiers islamiques permettent les investissements. Une compagnie d’assurance peut investir de manière temporaire les fonds disponibles de son fonds d’assurance dans l’immobilier ou d’autres types de biens, en percevant des revenus sous forme de loyers ou de loyers. Il est également possible de participer au capital social de diverses entreprises et d’investir dans des actions ou d’autres titres émis conformément aux normes de la finance islamique », détaille le président du conseil d’administration de la compagnie d’assurance GROSS.

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« En Ouzbékistan, plusieurs banques ouvrent désormais des guichets islamiques et acceptent les dépôts islamiques. Il est envisageable que d’autres instruments d’investissement conformes aux exigences de la finance islamique feront bientôt leur apparition dans les banques », souligne Otabek Nazarov.

Dans quels domaines est-il possible d’appliquer l’assurance islamique ?

L’assurance islamique permet de couvrir la plupart des formes classiques d’assurance : immobilier, équipement, voitures, frais médicaux, travaux de construction. Cependant, il est interdit d’assurer toute activité liée à des domaines prohibés par l’Islam, tels que la production ou la vente de tabac et alcool, l’organisation de casinos et les jeux d’hasard. Il est également interdit d’assurer des prêts ou des garanties dont les conditions ne respectent pas les principes de la finance islamique. « Il n’est pas possible d’assurer les revenus escomptés, ce qui est acceptable dans l’assurance traditionnelle », ajoute Majid Kamilov, membre du conseil de spécialistes d’Assoodiq Consult.

Il existe deux divisions principales du Takafoul: le Takafoul général et le Takafoul familial. Le premier permet d’assurer un logement, de couvrir les risques liés à la propriété ou à la location, de même que d’assurer une voiture ou d’autres biens matériels contre des accidents.

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En revanche, le Takafoul familial couvre essentiellement les assurances personnelles. Les juristes islamiques y ont détecté des risques d’usure dans les produits classiques d’assurance-vie, mais comme les profits générés par l’investissement des réserves en assurance restent largement en dessous de 100 %, cette dernière est jugée conforme aux fondements islamiques. Parallèlement à l’assurance-vie, le takafoul familial englobe le Takafoul d’éducation, l’assurance maladie, le Takafoul médical pour ceux qui voyagent à l’étranger et le Takafoul d’accident.

Bien que le Takafoul constitue un type d’assurance entièrement islamique, il est également appliqué dans un certain nombre d’autres pays où cette religion n’est pas la principale : les États-Unis, le Royaume Uni, le Luxembourg et d’autres. Par ailleurs, le plus grand marché du Takafoul est la Malaisie, où l’on compte actuellement huit operateurs agréés. Pour les non-musulmans, le Takafoul est perçu de manière attrayante, car il est plus éthique, et sous certains aspects, il semble être plus rentable que l’assurance traditionnelle.

Comment se déroule l’analyse d’une réclamation d’assurance dans le cadre du Takafoul?

« Comme dans l’assurance traditionnelle, la compagnie d’assurance vise à analyser les circonstances et les causes d’un certain évènement, à évaluer les pertes, et si l’évènement correspond à la définition d’un sinistre couvert par les règles (ou le contrat) d’assurance, elle calcule le montant d’indemnisation à financier, conformément selon les conditions prévues dans le contrat », ajoute Majid Kamilov.

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Le Takafoul en Ouzbékistan

Le système de Takafoul constitue déjà une réalité dans le pays, bien qu’il ne soit pas encore encadré par une législation spécifique. La législation existante sur la double assurance permet toutefois de mettre ce système en application.

« L’assurance islamique est règlementée comme toutes les assurances en Ouzbékistan, par la règlementation générale, car il n’existe pas encore de loi spécifique par rapport au sujet. Chaque compagnie d’assurance qui propose des produits islamiques est responsables de leur conformité aux exigences religieuses. Il existe des normes internationales pour la mise en pratique de l’assurance islamique, approuvées par des conseils composés d’experts reconnus et respectés dans le domaine. De nombreuses compagnies qui adoptent le Takafoul suivent ces standards. Selon ces formules, les compagnies d’assurance islamique doivent assembler un conseil de charia, composé de spécialistes en finance islamique, chargés de veiller à ce que l’entreprise respecte bien les lois et principes de la charia dans toutes ses activités » remarque Majid Kamilov.

« Au printemps 2024, GROSS a été l’une des premières compagnies à lancer sur le marché un service d’assurance basé sur les principes du Takafoul, en sélectionnant pour sa gestion le modèle dit du « Wakala ». En arabe, wakala signifie « mandat » ou « procuration », explique Sanjar Berdiev, directeur du département régional chez GROSS.

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Selon ce modèle, le fonds d’assurance est constitué des contributions volontaires des participants, et ces fonds sont utilisés pour indemniser ceux qui en ont besoin. Dès l’été, nous avons élargi notre gamme à 19 types d’assurance couvrant la protection des véhicules, des équipements spéciaux, des biens, des marchandises ainsi que la santé des personnes. Nous souhaitons rendre l’assurance accessible à tous, notamment à ceux qui, pour des raisons religieuses, rencontrent des restrictions dans le choix des produits d’assurance traditionnels. Tous les produits Takafoul ont été approuvés par l’Administration des musulmans d’Ouzbékistan, ce qui garantit leur conformité aux normes islamiques », observe Sanjar Berdiev.

À ce propos, l’Agence nationale pour les projets avancés a été chargée d’investiguer la mise en œuvre progressive des fondements et des produits Takafoul qui a soumis la présentation de ses propositions avant le 1er janvier 2025.

Par Hook Report

Traduit du russe par Lisa d’Addazio

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