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Portrait de l’artiste ouzbèke Amalia Aïboucheva : musique, design et féminisme

Amalia Aïboucheva, jeune artiste touche à tout, musicienne, peintre, rêveuse, livre un portrait fait de saveurs orientales, de notes musicales apprises à l'instinct et de couleurs peintes sur des logiciels basiques. Arrivée sur le tard dans la musique, elle se retrouve presque par hasard sur YouTube : l'Amérique découvre alors un Ouzbékistan loin des clichés de la route de la Soie.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 14 janvier 2021 par le média ouzbek Sarpa.

Amalia Aïboucheva Tachkent Art
L'artiste Amalia Aïboucheva.

Amalia Aïboucheva, jeune artiste touche à tout, musicienne, peintre, rêveuse, livre un portrait fait de saveurs orientales, de notes musicales apprises à l’instinct et de couleurs peintes sur des logiciels basiques. Arrivée sur le tard dans la musique, elle se retrouve presque par hasard sur YouTube : l’Amérique découvre alors un Ouzbékistan loin des clichés de la route de la Soie.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 14 janvier 2021 par le média ouzbek Sarpa.

Amalia Aïboucheva est une jeune beatmaker et designeuse de 23 ans originaire de Tachkent. Elle écrit des chansons, compose de la musique électronique et dessine sur l’application Paint.

Elle met un point d’honneur à ce que l’Ouzbékistan soit représenté « magnifiquement, et pas uniquement par son coté populaire. » L’artiste se raconte dans l’article qui suit.

Son entrée dans le monde de la musique

Mon apprentissage musical se résume à 3-4 mois de cours de guitare à Navoï. J’ai vécu là-bas jusqu’à mes 11 ans, puis un an à Samarcande et deux ans à Djizak. A l’âge de 13 ans, nous avons déménagé à Tachkent. Je viens de terminer mes études à l’Université de Singapour.

En réalité, j’ai grandi dans un milieu baigné par la musique. Ma mère joue du piano. Ma grand-mère chante. Mon grand-père jouait de la guitare. Mais il n’y a jamais eu de pression de la part de ma famille pour que je commence à faire de la musique.

Dès que j’ai voulu jouer de la musique, mes parents m’ont déniché un synthétiseur. Ma mère adore ma musique. Elle passait mes morceaux au travail, ça a plu à son patron et à ses collègues, alors on a joué lors d’une fête de l’entreprise avec un autre gamin.

L’autodidaxie comme ligne d’apprentissage

J’ai commencé à écrire de la musique il y a deux ans. Je travaille sur FL Studio. Ce n’est pas le logiciel le plus utilisé dans le monde de la production musicale, mais moi, il me convient parfaitement. Quand j’étais étudiante, j’essayais de ne pas trop regarder les tutos sur YouTube mais d’apprendre par moi-même parce que mon frère m’avait dit qu’on montrait pas mal de conneries sur YouTube. Pour les claviers, j’ai découvert moi-même comment ça fonctionnait. J’ai juste compris comment les octaves et les accords fonctionnent.Lire aussi sur Novastan : « Les artistes qui ne sont pas des rebelles, à quoi servent-ils au fait ? » – entretien avec Viatcheslav Akhounov

Je ne sais pas lire les notes, mais je sais où elles se trouvent sur le clavier. J’ai aussi une visionneuse d’accords sur mon bureau à côté de mon PC. J’aime bien ajouter à mes sons toutes sortes d’enregistrements faits avec une flûte à bec.

« Pouvoir vendre ma musique aux Etats-Unis »

J’ai commencé à faire des sons, juste pour le fun, pour mes amis, et ils les ont ensuite postés sur une chaîne YouTube. Quand c’est devenu plus sérieux et que j’arrivais à produire des sons d’au moins 30 secondes, j’ai continué à alimenter la chaîne YouTube. La musique me donne désormais l’opportunité de faire ce que je veux. Je fais des sons que j’aime, je les mets sur YouTube et les gens peuvent les acheter. Ici, en Ouzbékistan, tu dois payer une taxe sur chaque soum gagné pour un son. Les droits exclusifs me coûtent environ 150 à 300 dollars (142 à 285 euros), selon le morceau.

Je gagne actuellement près de 100 dollars (95 euros environ) par mois grâce à mes morceaux. Ils sont achetés par des gens des pays développés, où la propriété intellectuelle est protégée. C’est mieux qu’ils ne sachent pas comment ça se passe dans notre pays.

Aux États-Unis, la propriété intellectuelle est traitée différemment : les mecs achètent pour 500 dollars (473 euros) de programmes qu’on télécharge en un clic et te paient pour utiliser ta musique lors de leurs concerts.

 Concert au comité de la mahalla

J’ai déjà pu jouer sur scène au 139 Documentary Center Gallery et mon ami Diyor m’a proposé d’y enregistrer une performance en direct, mais sans public. Je lui ai dit que si je faisais un live, il devrait être en plein air et dans la vieille ville pour que ce soit plus authentique. J’ai pris contact avec Nastya Galimova, elle connait la ville comme sa poche.

Nous voulions montrer que la musique n’a pas besoin d’un endroit, ni d’un quartier particulier ; montrer que la vieille ville est tout aussi attractive et qu’il n’y a pas de différence entre les gars du centre et ceux de la vieille ville.

On se promenait avec Nastya quand on s’est retrouvé sur une place entre un canal et une mosquée. On s’est dit que ce serait cool de faire un concert ici. Nous avons contacté le comité de la mahalla (quartier en temps qu’unité architecturale et communautaire, ndlr) et il s’est avéré que cet endroit n’était autre que leur jardin d’été, où les membres du comité se réunissent pour discuter de différents sujets en buvant du thé. Ils nous ont donné leur accord pour faire le concert à cet endroit.

« Au début, on avait beaucoup d’ambition »

Au début, on avait beaucoup d’ambition, on avait pensé inviter les médias et faire appel à un groupe pour faire un truc vraiment attractif. Malheureusement, on a été dépassés par l’envergure et la complexité de nos idées et on s’est rappelé qu’on voulait juste faire un concert et donc on a décidé de rester dans la simplicité. Les enfants de la mahalla nous ont aidé pendant les préparatifs et sont restés pour le concert.

On ne s’attendait pas à attirer autant de monde à ce concert, on espérait qu’une quinzaine de nos amis les plus proches viendraient nous soutenir, mais pas plus. Entre la vieille ville, le froid et le concert dans la rue, qui aurait voulu venir ? Nous, on voulait juste s’éclater et en fin de compte il n’y avait pas assez de place pour tout le monde.

Art sur Paint et symboles nationaux

J’ai longtemps réfléchi à la manière dont je pourrais gagner de l’argent sur Internet. Au début, je me suis intéressée à tous les domaines peu recommandables et je ne gagnais pas grand-chose : j’ai été payée à regarder des pubs sur Internet, j’ai fait toute sorte de phishing et même du hacking.

Je me suis tournée vers le design il y a cinq ans environ, et j’ai fini par faire un burn-out parce que je ne faisais que répondre aux demandes des clients au lieu de faire ce que j’aimais, j’étais juste un instrument de travail, et cette situation a duré longtemps. Ça m’énervait, ce manque de créativité, et j’ai fini par me lasser de tout ce qui touchait au visuel.

Je réalise la plupart des œuvres que je publie sur mon compte Instagram sur Paint. Je dessine avec la souris, le résultat n’est ni très droit, ni très net et c’est ça qui me plait. Et au moins j’y mets ma personnalité.

L’Ouzbékistan comme principale source d’inspiration

Je m’inspire beaucoup de thèmes nationaux pour mon art. Je suis née ici, en Ouzbékistan. J’aime notre culture. Ce qui m’intéresse, c’est de représenter et refléter ce qu’on fait ici. Je ne veux pas faire ce que l’on fait en Europe ou ailleurs. Nous avons une richesse visuelle encore ignorée, on a des tas de motifs nationaux et d’images de notre passé non exploités, ou du moins pas encore incontournables.

J’aime nos symboles, par exemple le tigre que Yana Khorocho représente tout le temps dans ses œuvres. Yana et Sofa sont vraiment douées dans ce domaine, j’aime leurs façons de voir l’Ouzbékistan tel qu’il est véritablement. Elles savent le montrer sous un nouvel angle, plus authentique et non pas dans les clichés du khan atlas (tissus traditionnel ouzbek, ndlr).

Hommage au féminisme

J’ai commencé à écrire des chansons pour le plaisir, puis je me suis dit : pourquoi ne pas écrire sur mes expériences personnelles ? C’est devenu pour moi un outil d’expression. J’ai commencé à me demander : qu’est-ce que je retire de mes traumatismes et de mes blessures ? Je me souviens que petite, je n’aimais pas trop ce rôle genré de fille. Ça m’énervait quand on me disait de me comporter de telle ou telle manière car j’étais une fille, de m’habiller comme une fille et de jouer avec les filles, de jouer aux élastiques et à la cuisine… С’était vraiment pas ma tasse de thé. Je me disais : « Purée, il faudra vivre comme ça plus tard ? »Lire aussi sur Novastan : « Aujourd’hui, on attend que les artistes soient davantage impliqués dans la vie sociale qu’il y a 30 ans »

La chanson Ty je devotchka (T’es une fille en français) est donc un véritable hommage au féminisme, mais quand je l’ai écrite, je ne m’y connaissais pas vraiment. Et aujourd’hui, j’écoute cette chanson et je me dis que je suis devenue féministe avant l’heure.

« La signification des chansons m’importe peu »

Dans ma chanson Living in the chaos, il est question de ma désorganisation totale. La signification des chansons m’importe peu. Ce qui est important pour moi, c’est de transmettre une sorte d’énergie, une ambiance particulière.

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Back to the roots est probablement l’une de mes chansons les plus personnelles. Et il y a beaucoup de références que moi seule comprends. Je suis tombée amoureuse, mais ce n’était pas réciproque, alors j’ai décidé d’écrire une chanson à ce sujet. Je me suis assise et j’ai pensé à ce que je ressentais, et je l’ai noté. Je transmets des sentiments à travers la musique, et les paroles, en second plan, viennent la compléter. La musique, c’est mon exutoire. Écrire mes chansons m’aide à me libérer de mes sentiments.

Chirine Yousoupova Journaliste pour Sarpa

Traduit du russe par Alexandra Béroujon

Édité par Maryne Boulanger

Relu par Charlotte Bonin

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