En juillet 2022, le projet de révision constitutionnelle ouzbek, prévoyant de retirer l’autonomie du Karakalpakistan, a provoqué de violentes manifestations dans la région. Cet article revient en détail sur les causes qui ont mené à cette colère populaire et s’interroge sur les conséquences pour le régime ouzbek.
Novastan reprend et traduit ici un article publié en juillet 2022 par le média ouzbek Hook Report.
L’auteur de l’article souhaite garder l’anonymat par crainte de représailles. Quoi qu’il en soit, il convient de donner quelques informations à son sujet : il s’agit d’un expert mondialement reconnu de l’Asie centrale. Ses principaux thèmes de publications sont la politique intérieure et extérieure des pays de la région, ainsi que les problèmes de transition vers la démocratie.
Police antiémeute et véhicules blindés dans les rues, grenades assourdissantes et canons à eau, des milliers de protestants, violence de rue, blessés et victimes : une telle image de l’Asie centrale ne surprend plus personne. En 2022, après les émeutes qui ont eu lieu au Kazakhstan et au Tadjikistan, c’est au tour de leur voisin ouzbek de connaître une explosion de colère populaire. Noukous, la capitale du Karakalpakistan, a été marquée début juillet par des protestations contre le projet de révision constitutionnelle qui prévoyait d’ôter à la république son statut d’autonomie.
Une situation inhabituelle
Tout signe de mécontentement étant en général étouffé, la situation reste néanmoins inhabituelle pour l’Ouzbékistan. De fait, c’est le premier grand soulèvement à caractère politique d’une telle ampleur depuis les événements tragiques d’Andijan en 2005. À l’époque, le premier président ouzbek, Islam Karimov, avait réprimé les émeutes avec brutalité. Les chiffres officiels faisaient état d’environ 200 victimes tandis que les sources non officielles présentaient un bilan presque dix fois plus élevé. L’Ouzbékistan s’était alors coupé du monde jusqu’à la mort d’Islam Karimov en 2016.
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Le Karakalpakistan serait-il le nouvel Andijan de l’actuel président, Chavkat Mirzioïev ? À quelle réaction faut-il s’attendre de la part des responsables politiques, alors que tout le premier mandat du président était consacré à « l’ouverture du pays », renonçant ainsi à l’héritage de son prédécesseur ?
Le mouvement séparatiste décapité ?
Aux yeux des non-initiés, cette décision pourrait véhiculer l’idée que les dirigeants ouzbeks avaient de bonnes raisons d’altérer le statu quo. Un mouvement séparatiste local s’y était peut-être formé, ou bien un conflit avec le pouvoir central avait émergé.
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Depuis la chute de l’URSS, l’autonomie du Karakalpakistan vis-à-vis de l’Ouzbékistan s’est progressivement effacée. Pourtant, les allusions à un véritable mouvement séparatiste guettaient dès 1991, et ce jusqu’à la consolidation du régime autoritaire d’Islam Karimov. Les différents partis politiques karakalpaks des années 1990 étant alors largement fragmentés, ils se sont avérés incapables de se mettre d’accord sur le futur statut de la république.
Un président éphémère
Daouletbaï Chamchetov, le premier et seul président du Karakalpakistan, plaidait en faveur d’une indépendance totale alors que le président du Conseil des ministres, Amine Tadjiev, estimait que la région devait rester ouzbèke. D’autres solutions avaient aussi été évoquées, telles que l’adhésion au Kazakhstan qui est plus proche du point de vue linguistique, ethnique et culturel, ou même le rapprochement avec la Russie.
Amine Tadjiev, en chassant ses opposants du devant de la scène politique, a pris le dessus avec un fort appui d’Islam Karimov. En conséquence, Daouletbaï Chamchetov a dû renoncer sous la pression à son poste présidentiel, qui lui a été ôté en 1992. En 1993, les deux républiques ont signé un accord intergouvernemental sur l’adhésion du Karakalpakistan à l’Ouzbékistan.
L’accord prévoyait qu’un referendum sur le statut de la république autonome devait avoir lieu 20 ans plus tard. En 2013, Islam Karimov avait pourtant déjà éliminé toutes les sources de séparatisme et d’opposition.
Une opposition éradiquée ou survivant à l’étranger
Daouletbaï Chamchetov a définitivement renoncé à ses activités politiques en quittant son poste et a ensuite travaillé à l’Académie des Sciences, avant sa disparition en 1998. Son fils, Bakhtiyar Chamchetov, a été reconnu coupable et condamné pour son activisme au sein d’une organisation criminelle. Marat Aralbaïev, un autre opposant au régime, est décédé dans des circonstances suspectes alors qu’il était à la tête du parti Halyk Mapi – la Volonté Populaire –, éliminé par la suite.
L’incarcération des activistes politiques a été progressivement instrumentalisée : ils étaient accusés d’appartenir à des organisations extrémistes. Des centaines d’entre eux sont toujours en prison, tandis que d’autres continuent à attirer l’attention sur la cause karakalpake depuis l’étranger. Le mouvement indépendantiste Alga, Karakalpakistan – en avant, Karakalpakistan – se trouve ainsi en Norvège et s’est autoproclamé gouvernement en exil, quoique son influence s’avère limitée et que ses leaders soient peu connus du grand nombre.
Un statut hérité du système soviétique
Le statut du Karakalpakistan en tant que région autonome, hérité du système soviétique, est paradoxalement bénéfique aux élites des deux côtés. Ainsi, Kallibek Kamalov, qui a occupé de 1963 à 1984 le poste de premier secrétaire du comité régional du Karakalpakistan au sein du parti communiste de l’Ouzbékistan, entretenait des relations assez étroites avec le sommet du pouvoir ouzbek.
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Ce dernier figurait sur la liste des accusés dans la fameuse affaire du coton ouzbek et, par ailleurs, était membre de la famille du premier secrétaire le plus influent de toute l’histoire du Parti central communiste ouzbek, Charov Rachidov, dont le fils avait épousé la fille de Kallibek Kamalov. De nos jours, une certaine continuité pourrait être observée au niveau des élites : Mourat Kamalov, le fils de Kallibek Kamalov évoqué précédemment, est l’actuel président du parlement karakalpak, le plus haut grade de la république.
Une région stratégique…
Si le maintien du statu quo constitue la meilleure solution aux yeux des élites, il n’en va pas de même pour le peuple karakalpak. Dans l’état des choses, même les données officielles estiment que la vie est plus difficile dans cette région que dans d’autres. Le Karakalpakistan occupe plus d’un tiers du territoire de l’Ouzbékistan, avec une densité de population de 11,7 habitants par kilomètre carré. En comparaison, l’agglomération de Tachkent compte 6 379 habitants au kilomètre carré.
Cette région peu densément peuplée présente un intérêt geostratégique significatif pour Tachkent, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, le Karakalpakistan possède d’importants gisements pétroliers et de gaz, en plus des gazoducs qui passent par son territoire. Ensuite, la région se démarque par sa production considérable de produits chimique : plus de 30 % de la production ouzbèke.
… mais mal en point
En dépit de ces facteurs, la région se révèle être la plus mal en point par rapport au reste du pays : son taux de natalité est le plus bas, et celui de mortalité lors de l’accouchement le plus élévé – presque le double de la moyenne nationale. L’émigration y est également importante : 30 % des Ouzbeks quittant le pays pour s’installer à l’étranger sont karakalpaks.
Quant aux conditions de vie de la population, seuls 15 % des foyers sont reliés à un réseau d’égout et 57 % ont l’accès à l’eau potable. Les performances économiques ne sont pas non plus à la hauteur du niveau national. Le fort taux de chômage et le bas niveau de revenu en font la région au taux de pauvreté, mesuré à 16,4 %, le plus élevé du pays.
Une situation sanitaire dramatique
Néanmoins, les problèmes majeurs du Karakalpakistan sont dus à l’assèchement de la mer d’Aral, qui a des conséquences dramatiques sur la santé des habitants. Le risque pour eux de souffrir d’un cancer est 25 % plus élevé que dans le reste du pays, et ils sont deux fois plus susceptibles d’être touchés par des maladies respiratoires comme l’asthme et la tuberculose.
Quant à la moyenne des personnes en situation de handicap, elle s’élève à 25 personnes pour 1 000 en Ouzbékistan mais atteint 75 à 100 personnes au Karakalpakistan. La catastrophe environnementale a également des répercussions néfastes sur l’état mental de la population karakalpake.
Un mécontentement latent
De toute évidence, le potentiel de mécontentement des Karakalpaks était élevé. La situation est d’autant plus injuste que, dans la région du Manguistaou, au Kazakhstan, qui borde le Karakalpakstan, les salaires moyens sont deux fois plus élevés : à peine 400 dollars contre 800 dollars de l’autre côté de la frontière en 2021.
Par conséquent, les troubles politiques récents sont sans doute moins dus à une négligence du gouvernement qui aurait laissé émerger un mouvement séparatiste, ou à un conflit entre les indépendantistes et les autorités, qu’au fait que le pouvoir central a accru la pression sur une région déjà en crise.
Un îlot de stabilité
De l’extérieur, l’Ouzbékistan semble être un îlot de stabilité dans la mer agitée de crises que représentent certains voisins centrasiatiques. Pourtant, à l’intérieur du pays, la tension liée aux événements qui ont secoué d’autres pays est palpable.
Sous un œil impuissant, Tachkent observe ces régimes amis succomber à une forte instabilité politique : protestations massives en Biélorussie en août 2020, prise du pouvoir par les talibans à Kaboul en août 2021, nouvelle révolution au Kirghizstan en octobre 2021, manifestations massives au Kazakhstan en janvier 2022, révolte du Pamir au Tadjikistan en mai dernier, et enfin, guerre russe contre l’Ukraine.
Les dirigeants de l’Ouzbékistan, nerveux à l’idée de perdre leur stabilité, se sont ainsi efforcés de prendre de l’assurance. Bien que le ministère de l’Intérieur ait publié une déclaration niant tout lien avec la situation en Biélorussie, les autorités ouzbèkes ont accéléré l’adoption du projet de loi sur les rassemblements après les manifestations biélorusses.
Un durcissement observé après la crise kazakhe
Le gouvernement ouzbek a été d’autant plus effrayé par la crise au Kazakhstan et a pris des mesures pour que les manifestations ne s’étendent pas au sol ouzbek. Chavkat Mirzioïev avait alors stoppé ses vacances du Nouvel An pour retourner au bureau, tandis que la période des vacances avait été prolongée dans tous les établissements scolaires.
Puis une nouvelle période de quarantaine a été mise en place, officiellement « en raison de la situation épidémiologique. » Le nombre de patrouilles policières dans les rues et l’instauration d’un couvre-feu tacite jusqu’à la mi-mai ont causé quelques incidents avec des touristes.
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Toutefois, ces mesures ont paru insuffisantes : il en fallait plus pour colmater les fissures pouvant conduire à l’affaiblissement, voire à l’effondrement du régime. En conséquence, des opérations de « rafistolage » ont eu lieu : malgré les discours sur l’importance de la société civile, les autorités ont par exemple rendu difficile l’accès des ONG à des financements étrangers.
Une image démocratique
Quant aux brèches plus larges du régime, il a été décidé de les colmater par le biais de la révision constitutionnelle. Contrairement à celui d’Islam Karimov, le gouvernement de Chavkat Mirzioïev a tenté de créer une image plus démocratique, une impression de partenariat avec les citoyens.
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Ainsi, sur un site internet dédié, chaque citoyen était invité à envoyer ses suggestions, qu’une commission constitutionnelle devait ensuite examiner afin d’en publier une version révisée. Ladite commission était dirigée par Akmal Saïdov, membre de la première commission constitutionnelle, l’un des rares hommes politiques de l’époque d’Islam Karimov dont l’activité a survécu au changement de pouvoir.
Toutefois, le processus de collecte des propositions n’a guère été transparent et les critères sur lesquels la commission s’est appuyée pour sélectionner les suggestions demeurent obscurs. De plus, la commission a fait preuve de condescendance à l’égard de l’opinion publique : son président n’a ainsi pas hésité à qualifier les utilisateurs de réseaux sociaux de « génies illettrés. »
Une nouvelle Constitution « populaire »
Malgré ces controverses, la nouvelle version de la Constitution du 25 juin dernier a été présentée comme étant celle du peuple. Parmi les diverses dispositions proposées pour la nouvelle Constitution, comme celles sur le patrimoine culturel des grands ancêtres, sur la justice sociale et sur le mariage, il y avait des points importants tels que l’abolition de la peine de mort.
La version révisée comprend néanmoins des indices clairs d’un renforcement des prérogatives du président. Son mandat dure désormais sept ans et il forme lui-même le Conseil de sécurité ainsi que tous les organes qui lui sont attachés, même les institutions délibératives.
L’autonomie du Karakalpakistan menacée
En outre, le chapitre 17 concernant le statut de la république du Karakalpakistan a été pratiquement entièrement réécrit. Il a été proposé de supprimer la référence au Karakalpakistan en tant que république souveraine et, surtout, de supprimer la formulation de l’article 74 : « La république du Karakalpakistan a le droit de faire sécession de la république d’Ouzbékistan sur la base d’un référendum général du peuple du Karakalpakistan. »
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Si la population s’attendait plus ou moins à l’extension des prérogatives du président et à la prolongation de son mandat, les révisions concernant le statut du Karakalpakistan ont pris la société au dépourvu. Les réseaux sociaux sont entrés en ébullition et les pétitions adressées au président ont suivi. Le mécontentement couvait déjà au Karakalpakistan, comme en témoignaient les médias locaux et les militants.
À bout de patience
La première réaction des autorités a été d’étouffer l’agitation grandissante : les médias ont été contraints de retirer les publications relatives à la révision constitutionnelle, Noukous a connu des interruptions d’Internet et des communications en général, et des pressions ont été exercées sur les journalistes, blogueurs et militants. Ces mesures, loin de mettre fin à la protestation, ont au contraire fait descendre encore plus de manifestants dans les rues.
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Parmi les manifestants, certains leaders ont émergé. Ainsi, l’activiste et blogueur massivement suivi Daouletmourat Tajimouratov est devenu l’un des meneurs des manifestations. Selon ses propos, il aurait sollicité auprès des parlementaires karakalpaks l’autorisation d’organiser un rassemblement pacifique le 5 juillet 2022, le jour de la publication de la Constitution révisée. Il a également demandé aux protestataires de faire de lui le « leader des Karakalpaks », de le suivre pour parvenir à « la libération du Karakalpakistan par des moyens pacifiques et légaux ».
Disparition immédiate
Le jour même, il a disparu. Comme cela a été révélé plus tard, le blogueur avait été placé en détention. Cet événement a déclenché une vague de protestations, ce qui a aggravé la situation. Des représailles s’en sont suivi et les forces de l’ordre n’ont pas ménagé leurs efforts : les vidéos des violences policières ont fait le tour des réseaux sociaux. Afin d’apaiser les foules, les autorités ont dû libérer Daouletmourat Tajimouratov.
Accompagné de Mourat Kamalov, le président du parlement, il a fait une apparition devant les manifestants. Ensemble, ils sont montés sur une voiture et ont tenté de convaincre les manifestants de se disperser au moyen d’un haut-parleur. Une partie de la foule s’est pourtant dirigée vers le bâtiment où siège le Parlement, où de violents affrontements ont alors eu lieu.
Visite présidentielle
Au vu de la situation, le président Chavkat Mirzioïev et son Premier ministre Abdoulla Aripov se sont déplacés à Noukous le lendemain. La ville a été rapidement isolée : tous les transports ferroviaires et aériens ont été stoppés pour des « raisons techniques » et la frontière avec le Kazakhstan voisin a été fermée.
De même, les autorités ont coupé toute connexion Internet et personne n’a pu savoir ce qu’il se passait. Selon la plateforme Flight Radar, plusieurs avions de guerre sont partis du centre du pays vers Noukous. Chavkat Mirzioïev a déclaré l’état d’urgence dans la ville pour un mois. S’exprimant devant les députés locaux, il les a fustigés : « Vous étiez à l’origine de cette révision et l’avez vous-même ratifiée. Pourquoi personne ne m’a informé que le peuple était mécontent ? […] Si le peuple ne donne pas son accord, aucun article ne sera changé. »
L’ensemble de ces mesures a allégé les tensions de la rue. Chavkat Mirzioïev a passé la nuit à Tachkent mais est retourné à Noukous le lendemain. Cette fois, le président a rencontré les habitants de la région, les assurant qu’il n’y aurait pas d’amendements impopulaires à la Constitution.
Un lourd bilan
Les manifestations au Karakalpakistan constituent un événement sans précédent dans l’histoire moderne de l’Ouzbékistan. Son ampleur n’est comparable qu’à celle des émeutes d’Andijan, en 2005. Chavkat Mirzioïev a ainsi été confronté à un mécontentement politique massif pour la première fois lors de son mandat, mais il semble jusqu’à présent s’en sortir.
Bien que les autorités aient rapidement fait des concessions, abandonnant l’idée d’ôter le statut d’autonomie au Karakalpakistan, les conséquences n’en ont pas moins été dures. À ce jour, 18 personnes ont été tuées (dont quatre membres des forces de sécurité) et des centaines blessées. Plus de 500 manifestants ont été arrêtés, dont le militant Daouletmourat Tajimouratov.
Une procédure pénale a été engagée contre ce dernier pour tentative de violation de l’ordre constitutionnel. Une procédure judiciaire similaire a été entamée contre Lolagoul Kallikhanova, fondatrice et rédactrice en chef de Makan.uz, le principal média karakalpak qui a couvert les manifestations. Elle serait inculpée en vertu de « crimes contre la sécurité publique » et se trouve actuellement en détention.
L’Andijan de Chavkat Mirzioïev ?
En mettant en parallèle la crise karakalpake avec celle d’Andijan, nombreux sont ceux qui estiment que Chavkat Mirzioïev suivrait la voie de son prédécesseur. Un tel scénario à la sortie de la crise va néanmoins à l’encontre de tout ce que le président a cherché à faire : en finir avec « l’état quasi policier » de son prédécesseur Islam Karimov.
L’objectif ultime du « Nouvel Ouzbékistan » de Chavkat Mirzioïev n’est pas de se rapprocher d’une démocratie, mais de construire une autocratie néolibérale, ouverte au monde sans répression excessive. Les propos des personnalités officielles le confirment presque explicitement. Mais même pour faire la transition d’une dictature classique à une autocratie moderne, la machine politique doit subir de nombreux changements.
Une différence fondamentale
La principale différence réside dans le fait que les autocraties modernes en savent long sur leurs citoyens. En Chine ou à Singapour, les autorités collectent toutes sortes de données sur leurs citoyens dans ce but précis, tout comme le FSB en Russie mène des enquêtes « privées ». Ces régimes disposent d’outils de rétroaction, comme le système chinois de censure par mots-clés sur les réseaux sociaux, ou le projet de « gestion des incidents ».
Ces outils, qui n’existent pas en Ouzbékistan, remplacent dans une certaine mesure les canaux démocratiques de rétroaction. Une telle ingéniosité des autocraties modernes n’est pas un caprice : il s’agit de leur seul moyen de survie dans un monde où tout est plus transparent que jamais, où les protestations s’organisent instantanément grâce à la technologie, où le public en sait plus que jamais sur ses dirigeants, et où les habitants des régions défavorisées sont bien conscients des différences entre leur vie et celles de leurs voisins.
Quel avenir pour le régime ouzbek ?
Les dirigeants de l’Ouzbékistan peuvent continuer sur la voie de la modernisation du régime ou s’engager sur la voie de l’isolement et du durcissement typique de l’ère Islam Karimov. Un tel comportement ne manquerait pas d’effrayer les investissements étrangers et de rompre l’équilibre que Tachkent a soigneusement maintenu dans sa politique étrangère.
Cela s’était déjà produit après 2005, lorsque Islam Karimov avait tourné le dos aux États-Unis avant de se rapprocher de la Russie. Vladimir Poutine a d’ailleurs déjà téléphoné à Chavkat Mirzioïev et a annoncé un nouveau renforcement des relations bilatérales. Mais la société ouzbèke, qui s’est déshabituée à la répression au cours du premier mandat de Chavkat Mirzioïev, est devenue beaucoup plus exigeante à l’égard des autorités.
Une pression excessive pourrait générer des effets non escomptés. Quelle que soit la voie choisie par les dirigeants, le Karakalpakistan de 2022 a compliqué les années restantes au pouvoir de Chavkat Mirzioïev, ainsi que la question de la passation ou du maintien du pouvoir après 2026. La position de l’auteur peut ne pas coïncider avec celle de la rédaction.
La rédaction du Hook Report
Traduit du russe par Gulafiya Chatayeva
Relu par la rédaction
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !
Glérard Dyens., Lausanne CH, 2022-10-20
Article remarquable et très bien documenté, qui nous permet de manière intelligente et équilibrée de nous livrer un point de situation sur sur le réalité politique en Ouzbékistan
Bravo !!!
Reply
Pascal, 2022-10-24
Très bon article détaillé et qui évite d’être trop partisan.
Reply
Yves, 2022-10-25
C’est grace à des articles comme celui-ci que l’on connait la réalité de ce régime autocratique !
Dommage , car le pays est fabuleux et ses habitants accueillants
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