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L’Ouzbékistan lutte contre la polygamie

En Ouzbékistan, il n’est pas possible d’être marié civilement avec deux personnes en même temps. Pourtant, il est encore fréquent qu’un homme prenne une seconde épouse religieusement. Quoique prohibée par la loi, cette pratique persiste dans le pays. En 2023, les autorités ont durci la législation matrimoniale ouzbèke, espérant ainsi réduire l’ampleur du phénomène.

Rédigé par :

La rédaction 

Edité par : Victor Gomariz

Traduit par : Adrien Mariéthoz

Cabar

mariage bague
Nombre d'hommes prennent une deuxième femme sans annuler leur premier mariage (illustration). Photo : Pexels.

En Ouzbékistan, il n’est pas possible d’être marié civilement avec deux personnes en même temps. Pourtant, il est encore fréquent qu’un homme prenne une seconde épouse religieusement. Quoique prohibée par la loi, cette pratique persiste dans le pays. En 2023, les autorités ont durci la législation matrimoniale ouzbèke, espérant ainsi réduire l’ampleur du phénomène.

Le 31 octobre dernier, le président ouzbek Chavkat Mirzioïev a promulgué une loi qui modifie le Code pénal et le Code de responsabilité administrative en criminalisant la promotion de la polygamie et des nikahs (mariages religieux, ndlr) sans enregistrement officiel auprès de l’état civil.

L’amendement apporté rend la conclusion d’un mariage religieux entre des personnes dont l’union n’aurait pas été enregistrée légalement passible d’une amende de 15 à 30 BRV (unités de calcul de base, mesure statistique introduite en Ouzbékistan en 2019, ndlr), ce qui équivaut à un montant de 386 à 773 euros. Cette disposition s’applique aussi bien aux personnes majeures matrimonialement qu’à celles en dessous de l’âge nubile. Du reste, l’incitation à une telle action et à la cohabitation avec deux épouses ou plus entraîne désormais une amende semblable ou une détention administrative pouvant aller jusqu’à 15 jours.

Au cours des dernières années, la polygynie est devenue un sujet brûlant dans le pays, notamment depuis que des blogueurs ouzbeks se sont mis à publier des vidéos scandaleuses sur les réseaux sociaux, que les utilisateurs ont identifiées comme de la propagande pour ce type d’union. Ces postes en faisaient ouvertement l’apologie en faisant reluire le statut de l’homme dans de tels ménages. Paradoxalement, les publications des blogueurs masculins ont été censurées malgré un accueil plutôt positif par la société, tandis que le même contenu a suscité une réaction plus négative de la part des utilisateurs s’il émanait de blogueuses de sexe féminin.

Une deuxième femme dans un paquet cadeau

L’un de ces scandales s’est déroulé en août 2023, impliquant la célèbre instagrameuse Goulzoda Abdoullaïeva, dite Chechenka. Dans une vidéo devenue virale, l’influenceuse fait semblant d’offrir une seconde femme à son mari à l’occasion de leur anniversaire de mariage. L’actrice qui jouait le rôle de la deuxième femme dans une robe de mariée était cachée dans un paquet cadeau que Goulzoda Abdoullaïeva a ouvert devant son conjoint. Cette mauvaise blague a déclenché une vague de réactions indignées chez les spectateurs, dont la majorité a dénoncé une promotion de la bigamie.

Vu la controverse sur les réseaux sociaux, les forces de l’ordre ont convoqué la blogueuse pour un entretien préventif. Par la suite, celle-ci a publié une nouvelle vidéo dans laquelle elle explique qu’il s’agissait d’une farce et rappelle le caractère délictueux de la polygamie en Ouzbékistan.

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Dans le même registre, la vidéo d’un Ouzbek montrant une voiture valant 170 millions de dollars (158 millions d’euros) qu’il s’apprête à offrir à sa deuxième épouse a également défrayé les réseaux sociaux. Au lieu d’une plaque d’immatriculation, la voiture porte une affiche avec l’inscription « 02 hotinimga », « à ma deuxième femme ».

Une interdiction purement nominale

Selon Narguis Kossimova, chercheuse et experte en médias, de telles publications influencent fortement la perception des jeunes filles sur le mariage.

Officiellement, la polygamie est interdite et punie par la loi en Ouzbékistan. En vertu de l’article 126 du code pénal, la polygynie, c’est-à-dire la cohabitation avec deux femmes ou plus sur la base d’un ménage commun, est passible d’une amende ou d’une peine de travail correctionnel, de restriction de liberté ou d’incarcération pouvant aller jusqu’à trois ans.

Malgré l’interdiction officielle, ce régime matrimonial s’est banalisé en Ouzbékistan ces dernières années. Or, la plupart du temps, il a des conséquences négatives.

Un ménage à trois

L’histoire de Zebo Choukourova en est un exemple. Cette femme de 35 ans de Tachkent a vécu pendant dix ans avec un homme marié deux fois. En tant que première épouse, c’était elle qui avait autorisé son mari à contracter un second mariage. Un jour, après six ans de vie commune, celui-ci est passé la voir sur son lieu de travail et a fait connaissance avec sa collègue.

« C’était une jeune fille de 20 ans, et je n’y ai prêté aucune attention. Quelques semaines plus tard, j’ai appris de mes collègues que mon conjoint sortait avec elle. J’étais effondrée, mais j’ai décidé de me reprendre en main et d’en parler avec lui. Mon mari n’a même pas nié ses rendez-vous secrets avec une femme. Je ne savais que faire, mais je ne voulais certainement pas perdre ma famille en divorçant. Alors, je lui ai dit que je ne m’opposerais pas à ce qu’il la prenne comme épouse. Je lui ai simplement demandé de vivre séparément d’elle. Deux mois après, ils ont célébré le nikah », se souvient-elle.

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Cependant, en dépit de tous ses efforts, elle n’a pas réussi à sauver son mariage. Après avoir mis au monde un enfant, la seconde épouse est devenue jalouse de Zebo et a insisté auprès du mari pour qu’il divorce. A la place, celui-ci a proposé que les deux femmes fassent ménage commun, mais la cohabitation des deux familles dans la même maison n’a pas fonctionné : le mari a mis Zebo à la porte un mois après l’emménagement de sa seconde femme.

« J’ai compris que j’avais été stupide. En tentant de sauver mon mariage et de satisfaire mon ex-mari, je me suis humiliée moi-même », explique-t-elle. Quant à son futur, elle évoque que « maintenant, nous sommes en pleine procédure de divorce. Lui essaie de s’emparer de notre fils et de la maison que nous avions achetée en hypothèque lorsque nous étions mariés. En amour, il n’y pas de place pour une troisième personne. Je m’en suis convaincue par ma propre expérience. »

Un problème structurel

A en croire la juriste Ekaterina Denissova de Tachkent, Zebo n’est pas la première victime de la polygynie en Ouzbékistan. Il n’y a pas de statistiques officielles sur le nombre de familles touchées dans le pays car la loi ne l’autorise pas. « Cependant, ces mariages sont perçus comme tout à fait normaux par la société et sont souvent romancés », fait-elle remarquer. En Ouzbékistan, nombre de jeunes hommes justifient la polygynie en affirmant que l’islam les autorise à avoir jusqu’à quatre épouses, et certaines femmes soutiennent aussi cette tendance.

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Sollicité par le média Cabar, la branche centrasiatique de l’Institute for War & Peace Reporting, le service de presse du Bureau spirituel des musulmans d’Ouzbékistan s’est refusé à commenter la persistance des mariages religieux non officiels et l’introduction des nouveaux amendements. Pour sa part, la chercheuse Narguis Kossimova relève une nouvelle tendance dans le pays : de plus en plus de jeunes filles veulent se marier en tant que seconde épouse en toute conscience.

Être la deuxième femme : un gain matériel

« Selon les enquêtes menées par divers médias indépendants, il y a beaucoup de jeunes filles qui rêvent de devenir une seconde épouse. C’est très triste. Elles expliquent ce désir par le fait que les concubines peuvent profiter d’une voiture et d’une maison sans avoir à assumer les tâches ménagères ou à s’occuper de leurs beaux-parents », indique-t-elle.

D’après elle, ces jeunes filles oublient toutefois le revers de la médaille dans leur quête d’avantages matériels. Les enfants nés de tels mariages ne bénéficient d’absolument aucune protection sociale. Le mari peut rompre ses relations avec sa seconde épouse à tout moment, et celle-ci ne sera pas éligible à la perception d’une pension alimentaire ou d’allocations familiales. Sans parler de l’absence de droits de propriété pour l’enfant.

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La chercheuse explique qu’« il [lui] est souvent arrivé de voir que l’homme ne donne pas son nom de famille aux enfants issus de tels mariages. Dans la plupart des cas, ils sont enregistrés à la place au nom du frère ou du père de la seconde épouse, ce qui libère complètement le mari bigame de ses responsabilités à l’égard de l’enfant pour l’avenir. Cela signifie qu’un tel mariage comporte de gros risques pour les femmes. »

Des mariages à l’étranger

D’après Narguis Kossimova, ce sont de tels cas qui ont incité le gouvernement à adopter les nouveaux amendements au Code pénal et au Code de responsabilité administrative.

Les hommes contractent des mariages avec des secondes épouses non seulement en Ouzbékistan, mais aussi en dehors du pays. Lorsqu’ils partent à l’étranger pour gagner de l’argent, ils commencent parfois à vivre avec une autre femme. Les familles en Ouzbékistan se retrouvent sans soutien financier suffisant. Dans le cas où l’homme décide de ne pas rentrer à la maison, la belle-fille peut tout simplement être jetée dehors par la famille.

« En fait, ce problème est un cercle vicieux. D’abord, on ne donne pas d’éducation aux jeunes filles, sous prétexte qu’elles se marieront et qu’elles resteront à la maison. Ensuite, on unit les jeunes gens dans des mariages arrangés, et non pas selon leur consentement. L’organisation d’une cérémonie somptueuse oblige le couple à s’endetter lourdement : les beaux-parents envoient donc leur fils travailler à l’étranger, où il fonde une famille dans une union civile, tandis que la belle-fille reste à la maison à s’occuper des enfants et du foyer », développe la chercheuse.

Elle estime que seule l’éducation des jeunes dès l’école permettrait de briser cette chaîne. « C’est une bonne formation, tant conventionnelle que religieuse, qui peut remédier à la situation actuelle. Peut-être qu’alors les filles et les garçons qui s’engagent dans des mariages non officiels seront conscients des conséquences et y réfléchiront à deux fois. »

Une lueur d’espoir ?

Zebo Choukourova élève désormais seule son fils et poursuit sa carrière professionnelle.

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« J’ai eu de la chance. Avant mon mariage, j’avais déjà un métier qui maintenant nous nourrit, mon fils et moi. Je suis une maquilleuse populaire dans la capitale. Je me rends compte combien c’est difficile de gagner de l’argent par mes propres moyens, mais c’est beaucoup mieux que d’être dépendante d’un mari et que de supporter sa mauvaise attitude envers moi. Attendre monts et merveilles d’un mariage non officiel, c’est la plus grave erreur qu’une jeune fille puisse commettre », estime-t-elle.

En août dernier, le service de presse de la Cour suprême ouzbèke a indiqué que 38 hommes avaient été condamnés pour polygynie en cinq ans et demi. Du côté des réseaux sociaux, l’adoption des nouveaux amendements a reçu un accueil favorable. Quant à savoir si la loi remplira ses objectifs en changeant efficacement la situation de la polygamie et des mariages non officiels, l’avenir le dira.

Elina Beknazarova
Journaliste pour Cabar

Traduit du russe par Adrien Mariéthoz

Édité par Victor Gomariz

Relu par Charlotte Bonin

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