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Entretien avec Marie Favereau, nouvelle directrice de l’IFEAC et au coeur des accords franco-ouzbeks

À l'occasion de récents accords entre le gouvernement d'Ouzbékistan et l'Institut Français d’Études sur l'Asie Centrale (IFEAC), Novastan s'est entretenu avec sa directrice, Marie Favereau.

Marie Favereau, historienne médiéviste, directrice de l'IFEAC

À l’occasion de récents accords entre le gouvernement d’Ouzbékistan et l’Institut Français d’Études sur l’Asie Centrale (IFEAC), Novastan s’est entretenu avec sa directrice, Marie Favereau.

Le 12 mars dernier, l’IFEAC, basé à Bichkek, et la Fondation pour le Développement des Arts et de la Culture auprès du Cabinet des ministres de la République d’Ouzbékistan ont conclu des accords dans le cadre d’un partenariat bilatéral entre Paris et Tachkent, lors de la visite du président ouzbek à Paris. Novastan a pu s’entretenir avec la directrice de l’IFEAC, l’historienne Marie Favereau, spécialiste des mondes mongols de l’époque médiévale, et dont les travaux ont fait l’objet d’une reconnaissance internationale.

Novastan : Dans quel contexte s’inscrivent ces récents accords avec l’Ouzbékistan, et que signifient-ils pour l’IFEAC ?

Marie Favereau : Je suis arrivée à l’IFEAC en septembre, donc je suis encore un peu nouvelle ! Mais il fut un temps où l’Institut était à Tachkent – un temps que je n’ai pas connu, et qui fait pleinement partie de l’histoire de notre institut. Dans nos orientations importantes, il y a celle de mettre à disposition des chercheurs et des étudiants ouzbeks, français ou autres les bibliothèques de l’IFEAC. Et je dis les bibliothèques, parce qu’en plus de celle de Bichkek, il y avait une bibliothèque de l’IFEAC à Tachkent ! Elle existe toujours, elle n’a pas été détruite, mais elle est dans des cartons dans l’ambassade de France.

N: Qu’est-il arrivé à cette bibliothèque ?

MF : En 2010, les autorités ouzbèkes ont contraint l’IFEAC à fermer leurs locaux à Tachkent, ce qui a provoqué la dissolution de fait de la bibliothèque. Depuis, les documents sont stockés dans les locaux de l’ambassade de France. Il y a des milliers d’ouvrages dont environ 225 manuscrits qui, pour l’instant, ne sont pas accessibles. C’est une situation que mon prédécesseur, Adrien Fauve, a fait évoluer en s’assurant que les manuscrits soient conservés dans les meilleures conditions possibles pour permettre leur préservation. Maintenant nous devons passer à une nouvelle étape : celle de rendre les fonds à nouveau accessible aux étudiants et aux chercheurs.

Lorsque j’ai pris mes fonctions, cette question m’importait particulièrement ; c’est pourquoi, dans le cadre de la déclaration d’intention de coopération que nous avons signée, la dimension de la bibliothèque est clé. En ce moment en Ouzbékistan, il y a une belle ouverture vers le monde, et notamment vers la France. Il y a des projets institutionnels forts, dont la création prochaine d’une université franco-ouzbèke, puis d’un centre culturel franco-ouzbek soutenu par le gouvernement français, l’INP (Institut National du Patrimoine, en France), le gouvernement ouzbek, et la Fondation pour le Développement des Arts et de la Culture, qui a pour fonction de promouvoir le patrimoine culturel d’Ouzbékistan, les artistes ouzbeks d’hier et d’aujourd’hui. Pour l’IFEAC, l’enjeu est de taille : nous pourrions être proches recréer une bibliothèque à Tachkent pour les chercheurs !

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Dans les différents accords qui ont été signés, il est aussi question de la formation des restaurateurs en œuvres d’art, d’où l’implication de l’INP. C’est extrêmement important. Avec les Ouzbeks, nous pensons que l’IFEAC a aussi sa place dans cet ensemble. Notamment en apportant une dimension scientifique, tournée vers la recherche et la formation en sciences humaines. C’est un projet qu’il faut imaginer et construire sur le temps long, tout en commençant à poser des jalons dès à présent.

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N: Quelles sont les thématiques de recherche, dans le cadre de cet accord, qui pourraient mobiliser des étudiants ?

MF : En Ouzbékistan aujourd’hui, il y a des questions essentielles qui émergent, par exemple autour du patrimoine, avec un réinvestissement fort dans les villes de Samarcande et Boukhara, traduisant une volonté de mettre en valeur un pan de l’histoire ouzbèke qui suscite l’intérêt du grand public. L’IFEAC peut jouer un rôle dans ces questions, mais il faut souligner que l’Institut reste libre de ses orientations de recherche qui ne doivent pas naître des contingences politiques mais des projets et des compétences de nos chercheurs.

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À l’IFEAC, notre approche est pluridisciplinaire et nous nous intéressons à une variété de sujets tels que la géographie pastorale contemporaine, les questions économiques en lien avec l’environnement et les circuits de l’agro-alimentaire, l’évolution des pratiques religieuses, l’anthropologie des migrants et les conséquences de l’expatriation en Russie ; nous soutenons les fouilles archéologiques – du Paléolithique jusqu’à l’époque de l’empire mongol – tout comme nous étudions les expressions artistiques portées par les femmes dans le contexte actuel… enfin, surtout, nous constituons une plateforme pour la recherche, ouverte au débat scientifique, incontournable pour qui s’intéresse aujourd’hui à l’Asie Centrale.

Dans le cadre de nos accords avec l’Ouzbékistan, il n’est pas question de nous restreindre à une thématique plutôt qu’à une autre. L’idée est avant tout la réouverture de la bibliothèque, lieu d’échange qui aidera à renouveler et renforcer les contacts entre les communautés universitaires ouzbèkes et françaises. Grâce à la formalisation de nos intentions de coopération, comme celle que nous venons de signer, les transmissions de savoir vont se concrétiser de part et d’autre. Enfin, envoyer nos étudiants français dans des contextes institutionnels clairs, c’est très important : cela les protège tout en les motivant.

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N: On observe aujourd’hui une plus grande visibilité internationale de l’Asie centrale, comme notamment avec le dernier sommet UE-Asie centrale à Samarcande. Comment l’IFEAC peut-il contribuer à soutenir ce rapprochement, du côté français ou européen ? Avez-vous des perspectives d’obtention de financements plus importants de la part du ministère des Affaires étrangères ?

MF : D’abord, l’IFEAC a un rôle clé en tant qu’Institut français qui couvre toute cette région, le seul à posséder une vraie expertise sur les pays d’Asie centrale depuis plus de trente ans.

En effet, les finances restent toujours vraiment un point essentiel et… nous sommes dans une période de rigueur budgétaire. Pour l’instant, l’IFEAC reste peu ou proue dans les dotations qu’on lui a attribuées jusque-là, mais nous aimerions avoir plus de subventions. Pourquoi ? Parce qu’il y a plus d’étudiants qui demandent à venir travailler sur l’Asie centrale, une région redécouverte, ou simplement découverte par les jeunes générations.

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Nous constatons que depuis l’époque du COVID-19, le nombre d’étudiants qui demandent à faire une mobilité en Asie centrale a triplé voire quadruplé. C’est une dynamique ascendante qui reflète la géopolitique du monde actuel : aujourd’hui, nos étudiants ne peuvent plus aller en Iran, en Irak, en Russie, au Caucase et en Afghanistan. Mais l’Asie centrale leur tend les bras. Il faut donc que l’on puisse accueillir ces étudiants dans de bonnes conditions, et c’est ce que je dis au ministère des Affaires étrangères.

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Je crois aussi que nos étudiants sont sensibles au fait de ne pas être dans un rapport post-colonial aux pays dans lesquels ils vont se former en tant que masterants et doctorants. C’est d’autant plus parce que nous ne nous positionnons pas dans un rapport de colonisateur à colonisé (un type de rapport extrêmement complexe et lourd à porter pour des étudiants qui entrent en master) qu’entre l’Asie centrale et l’Europe la relation est porteuse d’avenir, car elle est et doit rester ‘à part égale’.

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La jeunesse de la population centre-asiatique, et en particulier, son plurilinguisme, intriguent beaucoup nos étudiants. Ils arrivent dans des régions où on parle plusieurs langues, où le russe reste indispensable pour les élites mais où les langues locales sont devenues nécessaires pour accéder au terrain. Par exemple, si vous voulez comprendre l’Ouzbékistan d’aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de faire du russe : il faut parler ouzbek aussi. Or, apprendre les langues nécessite de faire le voyage plusieurs fois pour pratiquer et pour se constituer un réseau social – d’où l’importance des bourses de mobilité de l’IFEAC.

Enfin, je pense qu’entre l’Europe et l’Asie centrale, il y a une sorte d’amitié en miroir : dans les deux cas, on vit la difficulté d’être plusieurs et unis en même temps. En interne, les pays et même les régions ont des histoires différentes, les relations sont multiformes mais une extraordinaire solidarité peut émerger entre les uns et les autres. Et en ce moment, en Asie centrale, je trouve que ce sentiment d’appartenir à une histoire commune se fait fortement sentir, c’est un mouvement que la France doit continuer à soutenir car il est constructif et porteur d’inspiration pour l’Europe.

Propos recueillis par Jonathan Bonjean,
Rédacteur pour Novastan

Relu par Elise Medina

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