La visite officielle de Sadyr Japarov en Chine vient de s’achever. Faite de rencontres et de discussions autour des relations entre les deux pays, cette visite révèle des détails sur la politique extérieure du Kirghizstan, ainsi que sur les ambitions de la Chine en Asie centrale.
Le président kirghiz a donné suite à l’invitation de Xi Jinping. Sadyr Japarov arrive en territoire chinois le 4 février dernier, où il est accueilli en grande pompe par une garde d’honneur, le ministre Ni Hong du Logement et du Développement urbain et rural, et d’autres responsables, détaille l’agence de presse kirghize Kabar.
Son agenda est assez chargé : le lendemain, à Pékin, il s’entretient avec le président chinois Xi Jinping, ainsi qu’avec le Premier ministre du Conseil des affaires d’Etat Li Qiang et le président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, Zhao Leji. Outre les rencontres, le but était de signer un certain nombre d’accords intergouvernementaux importants et d’adopter « une déclaration commune des deux pays sur l’approfondissement du partenariat stratégique global et inclusif ».
Pour finir sur une belle note, le président participe, le 7 février, à la cérémonie d’ouverture des neuvièmes Jeux asiatiques d’hiver à Harbin.
Un « âge d’or » pour les relations entre les deux nations
Avant de partir en visite chez celui qu’il qualifie de « cher ami », Sadyr Japarov a donné une interview exclusive à l’agence de presse chinoise Xinhua. Pendant tout l’entretien, il ne cache pas son admiration pour le président chinois, fait plusieurs fois des références aux proverbes chinois et constate que la coopération des deux pays est entrée dans son « âge d’or ».
« Je voudrais souligner une fois de plus que l’approfondissement de la coopération avec la Chine dans tous les domaines est l’une des priorités de la politique étrangère du Kirghizstan », affirme-t-il. Il souligne également que « les efforts conjoints » des deux pays ont obtenu un « succès record » : en 2024, le chiffre d’affaires commercial entre le Kirghizstan et la Chine a atteint 22,71 milliards de dollars américains (21,7 milliards d’euros), selon les autorités douanières. Il en tire la conclusion que la « coopération commerciale et économique se développe activement ».
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Nouvelles routes de la Soie, nouveau chemin de fer, nouveau poste de contrôle
Il conclut par de nouveaux éloges à la Chine et à son leader : « Je me suis rendu en Chine à de nombreuses reprises et chaque fois, je suis émerveillé par sa beauté, ses opportunités uniques et ses réalisations impressionnantes. Nous observons avec beaucoup d’intérêt et d’attention comment, sous la direction sage du président chinois Xi Jinping, le peuple chinois ami promeut de manière globale le grand renouveau de la nation chinoise en réalisant la modernisation de la Chine. »
Le 5 février dernier, Sadyr Japarov rencontre Li Qiang, Premier ministre du Conseil des affaires de Chine. Leurs discussions touchent notamment aux projets transnationaux et logistiques. Le président a noté que le programme de développement national du Kirghizstan s’intègrait « harmonieusement » à l’initiative des Nouvelles routes de la Soie, créant de « vastes perspectives de croissance commerciale, de développement des infrastructures et d’attraction des investissements ».

« Au cours des dernières années, nous avons intensifié notre coopération bilatérale. Les visites bilatérales au plus haut niveau, le début de la construction d’un immense projet – le chemin de fer Chine-Kirghizstan-Ouzbékistan, l’ouverture du troisième poste de contrôle Bedel et la croissance sans précédent du volume des échanges mutuels en sont la preuve. Un certain nombre de projets communs offrant de bonnes perspectives de coopération économique ont été lancés avec succès », a noté avec satisfaction le président, selon Kabar.
Une série d’importants projets
Sadyr Japarov évoque trois projets importants tant pour le Kirghizstan sur le plan économique que pour la Chine sur le plan politique. Les Nouvelles routes de la Soie, le projet star de la Chine, est toujours mis en œuvre par les pays d’Asie centrale malgré les difficultés rencontrées notamment durant la pandémie de coronavirus et les contre-politiques américaines.
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Derrière le projet Chine-Kirghizstan-Ouzbékistan se trouve l’objectif de renforcer le développement économique en s’adaptant aux contraintes géopolitiques actuelles. L’Ouzbékistan et le Kirghizstan prennent conscience des bénéfices qu’ils peuvent tirer d’un accroissement de la connectivité pour accompagner leur propre politique nationale.
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Enfin, le corridor de transport Bedel sur la frontière sino-kirghize a été inauguré le 4 septembre dernier, comme le rapporte le média kirghiz 24.kg. Il doit devenir le troisième point majeur reliant le Kirghizstan et la Chine avec les postes de contrôle d’Irkeschtam-Avtodorojniï et de Torougart-Avtodorojniï. La construction à grande échelle de la route est en œuvre conjointement jusqu’en 2027.
Une coopération sur tous les plans
Le président chinois a souligné que, « liés par des montagnes et des rivières, la Chine et le Kirghizstan sont de bons voisins, de bons amis et de bons partenaires qui entretiennent des liens étroits entre leurs peuples ». Il a insisté sur l’importance de se focaliser sur les projets économiques tels que les Nouvelles routes de la Soie ou le chemin de fer Chine-Kirghizstan-Ouzbékistan, ainsi que la nécessité d’étendre la coopération dans le « commerce électronique transfrontalier, le big data, l’intelligence artificielle et d’autres nouvelles forces productives de qualité » pour créer de « nouveaux moteurs de croissance ».

Sadyr Japarov a pour sa part affirmé l’intérêt de son pays pour les projets susmentionnés et pour la poursuite de la coopération à de nombreux niveaux avec son voisin. Selon ses propos, son pays est prêt à travailler avec la Chine pour obtenir davantage de résultats dans la construction d’une communauté partagée Kirghizstan-Chine.
Suite à ces discussions, un nombre important de documents a été signé entre les deux dirigeants. En plus d’une « déclaration conjointe entre la République kirghize et la République populaire de Chine sur l’approfondissement du partenariat stratégique global et inclusif dans la nouvelle ère », 21 autres documents, programmes et mémorandums ont été signés. Notamment, un programme sur la coopération « liant et promouvant conjointement la construction de l’initiative Belt and Road et du programme de développement national jusqu’en 2026 » a été négocié entre le président kirghiz et son homologue chinois.
Quelles sont les ambitions de la Chine ?
L’Asie centrale reste une région historiquement importante pour la Chine. Ses routes commerciales traversent la région : c’est ainsi par l’Asie centrale que la Chine s’ouvre au marché international. De plus, la Chine est devenue un partenaire de confiance croissant en matière de garanties de sécurité en comparaison avec la Russie, après que son armée ait essuyé des déboires au cours de l’invasion de l’Ukraine.
Pourtant, les deux pays collaborent plus qu’ils ne sont en concurrence dans la région. Ils se mettent notamment d’accord pour lutter contre l’importation des révolutions de couleur.
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La priorité pour les deux puissances est de garantir la stabilité des régimes dans la région et de ne pas laisser l’Occident s’en mêler. Moscou voit ainsi l’augmentation de l’activité chinoise dans la région dans le domaine de la sécurité comme une opportunité de partager la charge de cette responsabilité avec Pékin.
L’enjeu principal est de savoir dans quelle mesure chaque pays envisage de laisser ces acteurs influents peser ou même interférer dans ses politiques intérieures ou extérieures, dans une région où les nations sont confrontées à une répression de plus en plus forte des droits civils et politiques.
Xi Jinping, une source d’inspiration ?
L’ouverture des neuvièmes Jeux asiatiques d’hiver le 7 février dernier a marqué la fin de la visite de Sadyr Japarov. Il reste néanmoins des nuances à analyser dans les discours politiques des deux pays.
Sadyr Japarov décrit lui-même sa volonté de coopération avec la Chine de la manière suivante : pour lui, le Kirghizstan est prêt à « continuer de soutenir fermement la Chine sur la question de Taiwan et les questions liées au Xinjiang et à Hong Kong ». Trois régions sous autorité chinoise où des cas répétés de violations des droits de l’Homme ont été enregistrés et où le droit à l’autodétermination n’a pas été reconnu.
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La fascination pour la personnalité de Xi Jinping chez le président kirghiz évoque aussi des inquiétudes pour les Occidentaux. « Le Kirghizstan considère la Chine non seulement comme un ami et un partenaire fiable, mais aussi comme un voisin inspirant qui a montré qu’une combinaison compétente de réformes, de leadership visionnaire et de respect de sa propre culture peut conduire à d’excellents résultats », déclare-t-il.
Sadyr Japarov pourrait-il s’inspirer du régime autoritaire du dirigeant chinois ? Dans le rapport de leur rencontre, Xi Jinping aurait affirmé que la Chine était prête à « travailler avec le Kirghizstan pour renforcer la synergie des stratégies de développement, élargir le partage d’expériences en matière de gouvernance ». Si la coopération économique peut s’avérer fructueuse, les intérêts de la nation devraient être au premier plan des priorités de Sadyr Japarov.
Samad Alizade
Rédacteur pour Novastan
Relu par Charlotte Bonin
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