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Les pistonnés : portraits au vitriol des enfants des présidents kirghiz

Dès l'indépendance du Kirghizstan, les enfants des présidents se sont mis à occuper de hautes fonctions, souvent politiques. Le média kirghiz Kloop dresse un court historique de la question.

Akaiev famille
Askar Akaïev et sa famille. Photo : Kloop.

Dès l’indépendance du Kirghizstan, les enfants des présidents se sont mis à occuper de hautes fonctions, souvent politiques. Le média kirghiz Kloop dresse un court historique de la question.

Une tradition de népotisme semble s’être emparée des hautes sphères du pouvoir kirghiz depuis la présidence d’Askar Akaïev. En effet, le premier chef d’Etat de la période post-soviétique avait fait nommer ses enfants à des postes gouvernementaux particulièrement prestigieux et lucratifs. Et ses successeurs se sont empressés de l’imiter. Le média kirghiz Kloop propose un aperçu des fonctions et des prébendes obtenues par les enfants présidentiels.

Le premier président Askar Akaïev est arrivé au pouvoir en octobre 1990, soit avant même la déclaration d’indépendance du Kirghizstan, et est resté en place jusqu’à la révolution des Tulipes de 2005. Avec sa femme Maïram Akaïeva, il a eu deux filles, Bermet Akaïeva et Saadat Akaïeva, ainsi que deux fils, Aïdar Akaïev et Ilim Akaïev.

Grandeur

Lorsque leur père était encore au pouvoir, Bermet Akaïev et Aïdar Akaïev ont commencé à s’illustrer en politique. Aïdar Akaïev s’est d’abord lancé dans les affaires puis a fini par devenir conseiller du ministre des Finances en 2001 et député au parlement. Selon plusieurs médias, il aurait aussi été l’un des créateurs de l’opérateur mobile Bitel.

En 1998, Aïdar Akaïev a épousé Aliya Nazarbaïeva, fille cadette du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev. Cette union a été vue par certains médias comme le retour à d’anciennes traditions centrasiatiques cherchant à unir la vie politique d’un côté avec les liens familiaux de l’autre. Cependant, leur mariage ne durera que jusqu’en 2001. En 1999, il a pris la tête du bureau de représentation de la Kazkommertsbank au Kirghizstan.

Il devient à la même époque membre du conseil d’administration de la société canadienne Cameco, première à avoir obtenu le droit d’exploiter l’or de la mine de Koumtor. En 2003, l’entreprise BiMoCom, qui a lancé plus tard l’opérateur mobile MegaCom, a perdu sa licence et a été vendue à des inconnus. Les médias kirghiz ont alors fait le lien avec Aïdar Akaïev. Cependant, à peine les nouveaux propriétaires se sont-ils mis au travail qu’ils avaient déjà des enquêtes et des perquisitions sur le dos.

… Et décadence

En 2004, Aïdar Akaïev a été élu président du Comité National Olympique. La même année, il rejoint le parti au pouvoir Alga, Kyrgyzstan ! (En avant, le Kirghizstan !) dont sa sœur Bermet Akaïeva était l’une des fondatrices. À la suite des élections législatives de 2005, il fait son entrée au parlement. Tout comme son frère, Bermet Akaïeva s’est présentée avec succès aux élections législatives de 2005.

Bermet Akaieva
Bermet Akaïeva. Photo : Kloop.

L’ONG Human Rights Watch a rapporté que des fonctionnaires et des étudiants avaient été forcés à adhérer au parti Alga, Kyrgyzstan ! contrôlé par la fille du président. L’élection d’Aïdar Akaïev et de Bermet Akaïeva comme députés a attisé la colère populaire contre le clan Akaïev. Cet évènement figure comme l’un des éléments déclencheurs de la révolution des Tulipes de 2005.

À la suite des importantes contestations populaires du mois de mars 2005, Askar Akaïev et sa famille se sont vus être démis de toutes leurs fonctions. Ils prennent alors la fuite vers le Kazakhstan avant de rejoindre Moscou.

A tous les râteliers

Arrivé à la tête du pays par un coup d’Etat dans la foulée des troubles de 2005, Kourmanbek Bakiev ne semble pas avoir appris grand-chose des erreurs de son prédécesseur. Jusqu’à son renversement lors de la Révolution d’avril 2010, ses proches se sont activement impliqués dans l’appareil politique kirghiz.

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Le chef d’Etat a eu ses deux fils Marat Bakiev et Maxim Bakiev avec sa première femme Tatiana Bakieva, suivis d’un fils et d’une fille issus d’un second mariage.

Sous la présidence de son père, Marat Bakiev, l’aîné, a été vice-président du Comité d’Etat pour la sécurité nationale (GKNB). Le président a été accusé par le procureur général kirghiz d’avoir ordonné de tirer sur la foule lors de la Révolution d’avril. Marat Bakiev a été accusé des mêmes crimes et a été condamné par contumace à 27 ans de privation de liberté.

Des démêlés avec la justice

De son côté, Maxim Bakiev s’est lui aussi très largement investi dans l’Etat kirghiz, accélérant la dynamique népotique insufflée par son père.

Ses premiers déboires concernent la compagnie BiMoCom. En octobre 2005, Penwell Business Ltd., qui possédait alors BiMoCom, a cédé 49 % de ses actions à Forntek Enterprises Ltd., légalement sise à Hong-Kong. Il a été ensuite révélé que Forntek n’appartenait à nul autre que Maxim Bakiev. Ce dernier a rapidement mis l’entreprise en faillite et a transféré ses actifs à Alpha Telecom, une société créée par Alekseï Elisseïev, un de ses amis d’université.

Maxim Bakiev
Maxim Bakiev. Photo : Kloop.

En octobre 2008, la cheffe de la Commission électorale centrale, Klara Kabilova, a accusé Maxime Bakiev d’ingérence dans les élections municipales, affirmant que le fils du président l’avait insultée et avait exercé des pressions sur elle, l’obligeant ainsi à quitter le pays.

Ses démêlés politico-judiciaires ne s’arrêtent pas là puisqu’en 2009, il est chargé de diriger la campagne de réélection pour le second mandat de son père. Le président sortant a très largement battu son adversaire Almazbek Atambaïev avec plus de 76 % des voix, dans une élection où l’opposition n’a pas reconnu les résultats tout en dénonçant une fraude massive de la part du clan présidentiel.

Condamné à la perpétuité

Par la suite, Maxim Bakiev est devenu directeur de l’Agence centrale pour le développement des investissements et des innovations (CARII). Ce poste privilégié lui a permis de mettre la main sur les principales richesses du pays. Dans le même temps, il a pris le contrôle du Fonds national de développement du Kirghizstan dédié à l’obtention de subventions et de crédits internationaux.

Kourmanbek Bakiev famille
Kourmanbek Bakiev et sa famille. Photo : Kloop.

Une dernière preuve de la relation privilégiée entre le président et son fils cadet est l’amendement de la Constitution dès sa réélection en 2009. Il y prévoit la désignation du nouveau président, en cas d’incapacité d’exercice du président élu, par la Conférence présidentielle. Une partie de la population kirghize a alors soupçonné le président de vouloir transmettre le pouvoir à son fils cadet.

Après la chute de son père en avril 2010, Maxim Bakiev a été jugé pour diverses infractions : possession illégale de la participation majoritaire dans l’usine Dastan, vente illégale de l’entreprise Severelectro, détournement de plus de 2 milliards de soms d’un fonds social (22 millions d’euros en 2025, ndlr), blanchiment d’argent sale et enfin corruption en lien avec la mine de Koumtor.

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Du fait de l’addition et de la gravité de ses peines, Maxim Bakiev a été condamné à la réclusion à perpétuité par contumace au Kirghizstan. Maxim Bakiev a néanmoins obtenu l’asile politique au Royaume-Uni.

Une lueur d’espoir

Roza Otounbaïeva a été, ne fût-ce qu’à titre intérimaire, la première présidente de l’histoire non seulement du Kirghizstan, mais également de toute l’Asie centrale. Elle a exercé cette fonction entre 2010 et 2011, pendant la période de transition qui a suivi l’ère Kourmanbek Bakiev. Le Kirghizstan est alors devenu un régime parlementaire, et le gouvernement provisoire a doté la République kirghize d’une nouvelle Constitution.

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Roza Otounbaïeva est mère de deux enfants : Karatchatch Sadybakassov et Ataï Sadybakasov. Pendant la présidence de leur mère, aucun n’a occupé de fonction politique ni même travaillé au sein de l’Etat.

Un cadavre dans le placard

Après l’intérim assuré par Roza Otounbaïeva, de nouvelles élections ont lieu. Almazbek Atambaïev a remporté l’élection présidentielle de 2011, puis exercé son mandat pendant six ans. Avec sa première épouse Büadjar Tenguizbaïeva, il a eu deux fils, Séid Atambaïev et Seïtek Atambaïev, ainsi que deux filles, Dinara Atambaïeva et Diana Atambaïeva. Kadyr Atambaïev et Aliya Atambaïeva sont quant à eux nés de son second mariage avec Raïssa Atambaïeva.

Seïd Atambaïev et Kadyr Atambaïev n’ont commencé à s’engager en politique qu’après le retrait de leur père de ses fonctions en 2017. Ses autres enfants n’ont guère suivi son exemple.

Almazbek Atambaiev famille
Almazbek Atambaïev. Photo : Kloop.

Au cours de sa carrière politique, Seïd Atambaïev a été leader du parti des Sociaux-démocrates de juin 2019 à février 2021. La même année, il a été élu député au Conseil suprême et y siège depuis comme parlementaire.

Kadyr Atambaïev, quant à lui, a été élu au conseil municipal de Bichkek en 2021. A présent, il y dirige le groupe des Sociaux-Démocrates, héritier idéologique du SDPK, parti représenté par son père mais aussi par Roza Otounbaïeva. Ce parti s’est effondré en 2020 lors du conflit entre Almazbek Atambaïev et son successeur Sooronbaï Jeenbekov.

L’ascension vertigineuse d’un ancien chauffeur

Bien que n’ayant pas fait accéder ses enfants au pouvoir comme l’avaient fait la majorité de ses prédécesseurs, Almazbek Atambaïev avait son propre cadavre dans le placard. En effet, son ancien chauffeur, Ikramdjan Ilmiyanov, a connu une ascension vertigineuse : il a d’abord été assistant du Premier ministre, puis s’est hissé au rang de chef adjoint de l’administration présidentielle.

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Impliqué dans le raid financier de 2014 contre le journal Vetchernii Bichkek, Ikramdjan Ilmiyanov a dû renoncer au prestigieux poste de chef adjoint de l’administration présidentielle, mais est resté conseiller du président, où il a souvent été qualifié « d’éminence grise » du régime.

Après la fin du mandat d’Almazbek Atambaïev, l’ancien chauffeur a été reconnu coupable de sept infractions pénales et condamné à cinq ans et demi de prison avec confiscation de ses biens. Toutefois, grâce à une amnistie, il n’a purgé que la moitié de sa peine. En 2023, Ikramdjan Ilmiyanov a même reçu le titre de citoyen d’honneur du district de Leïlek.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère

Sooronbaï Jeenbekov est resté trois ans au pouvoir, de son élection en 2017 à sa démission lors des manifestations de 2020. Avec sa femme Aïgül Tokoïeva, le successeur d’Almazbek Atambaïev est le père de deux enfants : une fille, Baktygül Jeenbekova, et un fils, Iman Jeenbekov. Ce dernier n’était encore qu’à l’école pendant la présidence de son père, tandis que sa fille n’a pas exercé de fonction politique. Cependant, le gendre du président, Atabek Abdjaliev, a quant à lui bien travaillé dans l’appareil gouvernemental.

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Sous le mandat de Sooronbaï Jeenbekov, c’est essentiellement son petit frère Assylbek Jeenbekov qui a joué un rôle important. Fort de son statut de député et de président du Conseil suprême acquis au cours de sa carrière politique, il quitte en 2019 le SDPK afin de créer un nouveau parti pour les élections législatives de 2020 en soutien à son frère. Le parti historique SDPK était en effet revenu dans les mains de l’ancien président Almazbek Atambaïev. Ce dernier était en faveur de l’abandon du siège de député d’Assylbek Jeenbekov.

Et c’est reparti, encore et encore

Président intérimaire en 2020 à la suite des manifestations, et élu depuis 2021, Sadyr Japarov a eu deux fils et deux filles avec sa femme Aïgül Japarova : Dastan Japarov, Roustam Japarov, Nourdöölöt Japarova et Djanaïym Japarova.

Sadyr Japarov famille
Sadyr Japarov et sa famille. Photo : Kloop.

Son fils Roustam Japarov est le seul de ses enfants à participer activement à la vie politique du pays. Il aurait, aux dires du député Dastan Bekechev, organisé des meetings de candidats aux élections parlementaires de 2021. En 2022, il a accompagné son père au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande.

En 2023, Sadyr Japarov et son fils ont à nouveau voyagé ensemble pour assister à l’investiture du président turc Reicep Tayyip Erdoğan. L’administration présidentielle s’était contentée de commenter la présence du fils du président en précisant qu’il s’y était rendu « à l’invitation de la Turquie ».

Roustam Japarov
Roustam Japarov reçoit le vaccin contre le covid. Photo : Service de presse du président du Kirghizstan.

Après les affrontements de septembre 2022 à la frontière tadjike, Sadyr Japarov a déclaré que le chef du GKNB Kamtchybek Tachiev et lui-même avaient envoyé leurs fils Taï-Mouras Tachiev et Roustam Japarov dans la province de Batken pour aider les personnes évacuées. « Nous leur avons demandé d’être au front et de nous informer si les soldats manquaient de quelque chose. Ils suivent nos ordres et nous aident comme ils peuvent », a expliqué le président.

Un fils très impliqué

Mais les tâches de Roustam Japarov ne se limitent pas aux missions humanitaires et aux visites de courtoisie chez les connaissances de son père. En 2023, pour répliquer face à une enquête journalistique, Sadyr Japarov a dû reconnaître l’emploi de son fils afin d’attirer des investisseurs étrangers dans le pays. Il l’a justifié par le fait que ceux-ci franchissent justement le pas « grâce à la confiance » qu’ils peuvent accorder à son fils.

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Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’implication de Roustam Japarov dans les sphères économiques du pays ait intéressé plus d’une fois les journalistes d’investigation.

Ses amis intimes ne font pas seulement des affaires avec Khabiboula Abdykadyr, ancien associé du politicien corrompu Raïymbek Matraimov, mais ils possèdent également des entreprises responsables de la mise en œuvre de projets d’Etat. Il s’agit entre autres de la construction de maisons d’hôtes dans le parc national d’Ala-Artcha et de l’établissement d’une voie ferrée reliant la ville de Balyktchy à la région de Kara-Ketche.

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Le président Sadyr Japarov a mobilisé jusqu’à la chaîne de télévision publique UTRK pour réagir aux allégations sur son fils. Dans un reportage de septembre 2023, les journalistes de la chaîne ont mené un sondage auprès de la population kirghize sur la participation de Roustam Japarov à des projets d’investissement. Et – ô miracle – ils n’ont trouvé personne pour s’y opposer.

La rédaction de Kloop

Traduit du russe par Adrien Mariéthoz

Edité par Augustin d’Artigues

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