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Le Kol-Fest, festival pionnier de la vie culturelle kirghize

Promouvoir durablement le développement au niveau local en organisant un évènement artistique et musical de portée internationale, tel est le principe du festival de musique kirghize Kol-Fest. Alors que les préparatifs de la troisième édition sont en cours, l’un de ses fondateurs, Tginkis Batyrbekov, confie à Novastan comment le projet peut aboutir et bouleverser la scène musicale d’Asie centrale.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 25 juin 2022 par notre version allemande. Premier du genre au Kirghizstan, le Kol-Fest convie du 15 au 17 juillet les musiciens et les visiteurs du monde entier, avec le lac Yssyk-Koul en arrière-plan. Ce sont trois jours de musiques en tous genres sur trois scènes qui se succèdent, entre les galeries d’art et les campements de yourtes. Après l’inauguration du festival en 2019 et son annulation en 2020 pour cause de Covid-19, l’avenir de la manifestation était, en 2021, incertain.

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La scène du Kol-Fest.

Promouvoir durablement le développement au niveau local en organisant un évènement artistique et musical de portée internationale, tel est le principe du festival de musique kirghize Kol-Fest. Alors que les préparatifs de la troisième édition sont en cours, l’un de ses fondateurs, Tginkis Batyrbekov, confie à Novastan comment le projet peut aboutir et bouleverser la scène musicale d’Asie centrale.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 25 juin 2022 par notre version allemande. Premier du genre au Kirghizstan, le Kol-Fest convie du 15 au 17 juillet les musiciens et les visiteurs du monde entier, avec le lac Yssyk-Koul en arrière-plan. Ce sont trois jours de musiques en tous genres sur trois scènes qui se succèdent, entre les galeries d’art et les campements de yourtes. Après l’inauguration du festival en 2019 et son annulation en 2020 pour cause de Covid-19, l’avenir de la manifestation était, en 2021, incertain.

Néanmoins, son président et fondateur, Tjingis Batyrbekov, professeur pour les droits de l’Homme à l’université américaine d’Asie centrale de Bichkek et ancien collaborateur des Nations Unies, a pris le risque d’organiser ce grand évènement en pleine pandémie. Et le travail, en grande partie bénévole, a payé. Dépassant toutes les attentes, le Kol-Fest a rassemblé un millier de visiteurs en 2021.

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Tschingis Batybekow

Interrogé par Novastan, le fondateur du festival explique tout le travail en amont de ce succès et le lien unissant le festival au développement durable et socio-économique de la région. Il partage son point de vue sur l’avenir de ce festival. Novastan : Comment est née l’idée d’organiser pour la première fois un festival de musique au Kirghizstan ? Tginkis Batyrbekov : En 2018, les Jeux mondiaux nomades, compétition de sports traditionnels nomades d’Asie centrale, ont eu lieu pour la troisième fois au Kirghizstan, suscitant un immense intérêt chez les professionnels du tourisme. Le Kirghizstan est devenu ainsi un pays attractif, culturellement intéressant, bien qu’encore inconnu du tourisme de masse. Lire aussi sur Novastan : Jeux nomades 2018 : « nous avons ça dans le sang » Des amis allemands qui s’étaient rendus à ces jeux m’ont alors demandé s’il y avait aussi des festivals de musique. À l’époque il n’y en avait aucun, mais cette compétition sportive a démontré qu’il était possible d’organiser ici des évènements internationaux, qu’il y avait un public qui s’y intéressait et que les touristes étrangers étaient prêts à faire le déplacement.

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Un concert lors du Kol-Fest.

C’est à peu près à cette époque que la vie musicale et artistique a commencé à se développer à Bichkek et en Asie centrale. En Ouzbékistan il y avait déjà le Stihia, le festival de musique électronique, qui se déroule sur les fonds asséchés de l’ancienne mer d’Aral. Au Kazakhstan aussi plusieurs autres festivals ont lieu. Lire aussi sur Novastan : « Waiting for the Sea » : un documentaire entre musique électronique et folklorique en Ouzbékistan Bref, les choses étaient en train de bouger et le moment était venu d’organiser un festival de musique. Moi et mon ami David, diplomate allemand de son métier mais aussi éditeur pendant ses loisirs, nous nous sommes attelés à la tâche. Trois autres Allemands se sont intéressés à notre projet. À l’époque, ça n’était encore qu’un groupe amical informel : certains venaient du milieu musical, les autres de l’aide au développement. Mais nous avions des valeurs en commun. Le développement humanitaire et l’affirmation du Kirghizstan sur le plan international étaient pour nous tous des enjeux importants. Finalement, l’édition 2019 du festival fut un grand succès : les réactions des participants furent pour la plupart positives, ce qui nous prouva que nous devions continuer. Le premier festival était placé sous la devise « Diversity and Interaction », le deuxième sous celle de « Recovery ». Qu’en sera-t-il cette année ? Notre devise sera cette année « Crossroads » (carrefour), ce qui a plusieurs sens : d’une part, ce mot reflète le principe qui est le nôtre, celui de la rencontre entre les cultures, d’autre part, nous nous trouvons, vu la situation mondiale actuelle, à la croisée des chemins. Et le Kol-Fest est lui aussi cette année à la croisée des chemins. Nous voulons modifier l’organisation infrastructurelle et décider des orientations que doit prendre le festival quant à la musique et au public. Notre idée d’un festival multi-genres nous permet certes, de faire entendre plusieurs sortes de musique au même endroit, mais peut-être serait-il préférable de ne proposer qu’un seul type de musique afin que le public s’y retrouve davantage. Nous devons donc réfléchir à de nombreuses questions engageant l’avenir du festival. Quelle est d’après toi la spécificité du Kol-Fest ? Notre but est de créer un cadre qui puisse rassembler des gens de cultures différentes autour de valeurs et d’intérêts communs. Nous voulons que le public partage une expérience unique : passer ensemble plusieurs journées à écouter des musiques de styles différents issues du monde entier. Notre souhait serait de rassembler à parités égales des habitants d’Asie centrale et des gens venus d’autres parties du monde. Nous avons compris combien était importante cette représentation de l’Asie centrale. Malheureusement nous n’avons pu réussir à obtenir une participation du Turkménistan, même si les contacts existent avec ce pays, mais quatre pays d’Asie centrale sur cinq seront présents. Voilà ce qui fait la spécificité de ce festival. Grâce au Kol-Fest et au tourisme qu’il génère, toi et tes amis voulez renforcer le développement durable dans la région. Quel est d’après vous l’impact de l’évènement ? Êtes-vous en contact avec les professionnels du tourisme et avec la population ? Comment réagissent-ils ? Cette année nous avons organisé un forum réunissant des représentants du ministère du tourisme et d’autres acteurs importants pour discuter du rôle du Kol-Fest. Avec le recul dont nous disposons avec cette troisième édition, nous pouvons mieux apprécier comment le festival est perçu par la population. Mais pour les éditions antérieures, nous avions aussi discuté avec la population locale. Les avis diffèrent bien sûr selon les personnes. Certains apprécient le festival parce que pour eux, c’est beaucoup d’argent vite gagné en trois jours, d’autres s’estiment dérangés dans leur quotidien. Les jeunes de la région l’aiment. Pour eux, c’est l’occasion d’apporter bénévolement leur aide, de parler aux musiciens, de pratiquer leur anglais. Leurs parents en revanche sont plus sceptiques et ne savent pas trop quoi penser du festival. Ils s’inquiètent car celui-ci est selon eux trop libéral. Lire aussi sur Novastan : Le Kazakhstan organise son premier festival de musique traditionnelle On nous suggère aussi d’organiser le festival dans quelques lieux plus reculés. Mais ce qui nous importe, c’est justement que les habitantes et les habitants des villages alentour participent au Kol-Fest, qu’ils en comprennent les valeurs et voient eux-mêmes ce qu’il peut leur apporter. Cette année nous organiserons d’ailleurs un concert pour la population locale, d’abord pour la remercier, et ensuite pour lui montrer que la musique électronique peut être belle et qu’ils n’ont pas raison de s’inquiéter. Les associations de tourisme quant à elles comprennent naturellement l’impact du Kol-Fest. Même si le festival ne dure que trois jours, nombre de participants reviendront. Des habitants de Bichkek eux aussi sont surpris de constater combien la rive sud du lac Yssyk-Koul est belle, la rive nord étant bien plus appréciée comme lieu de villégiature. Grâce à ce forum nous voulons donc mettre en parallèle nos intérêts et ceux de la branche du tourisme et dégager des convergences. Les conclusions que nous en tirerons seront d’ailleurs déterminantes pour l’avenir du Kol-Fest. Quel impact le Kol-Fest a-t-il eu sur la scène musicale du Kirghizstan ? Lorsque nous avons débuté en 2019, aucun festival de musique de cette envergure n’existait au Kirghizstan. Cet été, il y en aura au moins quatre, sans compter de nombreuses autres manifestations plus modestes. Je n’ai naturellement pas la prétention de dire que tout cela est dû au Kol-Fest. Mais ce que nous constatons, c’est que nos DJs lancent de plus en plus leurs propres projets et qu’ils se mettent en réseau avec d’autres musiciens. Le Kol-Fest est devenu une sorte de plateforme.

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Des participants au festival.

Et la mise en réseau au niveau régional de l’Asie du Sud-Est progresse elle aussi. Nous collaborons cette année avec le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, en particulier avec le festival Stihia, ce qui revêt pour nous une signification toute particulière. Nous y sommes allés, ils sont venus chez nous, nous faisons face aux mêmes défis que nous essayons de surmonter du mieux que nous pouvons les uns comme les autres. De plus, nous avons invité des musiciens et des artistes de différents pays qui peuvent partager leurs expériences avec nos musiciens et nos artistes. Nous avons organisé à cette occasion un autre forum. Dans ce cadre, les musiciens et les artistes d’Asie centrale peuvent s’informer : comment se produire dans les festivals internationaux, quelles plateformes utiliser et comment trouver sa place dans l’industrie internationale de l’art et de l’industrie ? Le Kol-Fest voudrait contribuer à ce que la scène musicale d’Asie centrale soit plus connue dans le monde entier. Au début des années 2000, un grand nombre de festivals se sont déplacés d’Europe occidentale vers l’Europe de l’Est. Peut-être serons-nous la prochaine étape de ce grand remplacement ! Quels sont les défis qui attendent le Kol-Fest ? Le festival doit veiller à l’équilibre entre différents intérêts. Comme je l’ai dit, nous devons nous faire accepter de la population locale. Pour ce faire, nous misons sur les aspects économiques plutôt que sur la musique, car la population peut profiter financièrement du tourisme. Mais en même temps, il nous est difficile d’arbitrer définitivement le choix entre tourisme et musique, car la question est de savoir quel public nous visons. On pourrait penser que nous ne désirons attirer que de riches touristes étrangers, ce qui est mal connaître le Kol-Fest. Mais c’est aussi la raison pour laquelle nous manquons de sponsors. Pour les entreprises locales, notre public est trop international, pour les firmes internationales, nous sommes trop petits. Un autre défi est que le Kirghizstan manque cruellement de collaborateurs qualifiés, ayant l’expérience des festivals, comme les experts en technique ou les régisseurs. Nous avons besoin de personnes au moins bilingues, l’une des deux langues devant être le kirghiz pour pouvoir communiquer avec la population. Nous faisons œuvre de pionniers : nous formons en ce moment des régisseurs, des techniciens spécialisés et des organisateurs, des hommes et des femmes capables de faire fonctionner en même temps trois scènes durant trois jours, et ce de façon professionnelle. Pour moi qui suis politologue de métier, le défi consiste à trouver ma place dans ce monde de la musique et être crédible. Ceci demande beaucoup d’énergie. Nous organisons un grand festival professionnel avec une équipe de non-professionnels et sans beaucoup de soutien. J’espère que nous pourrons surmonter ces difficultés cette année. Comment voyez-vous l’avenir du Kol-Fest ? Notre premier but est de rendre le festival économiquement viable et indépendant des sponsors. Cette année nous avons par exemple le soutien d’une agence de développement suisse, mais cette aide ne pourra durer dans le temps. Parallèlement au financement du festival, nous envisageons de garder ouvert toute l’année un bureau avec quelques employés à plein temps. Nous pourrions ainsi éviter une longue pause de six mois entre les manifestations, maintenir le contact avec les musiciens et les musiciennes et planifier en grand. Pour atteindre ce but, je vois une grande opportunité dans la coopération avec nos partenaires d’Asie centrale.

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Si nous parvenons à nous établir en tant qu’union centrasiatique, nous pourrions mieux recourir aux opportunités de financement. Une telle plateforme garantirait à nos musiciens une liberté plus grande que celle dont ils disposent dans le cadre limité actuel. Seuls les musiciens pop peuvent aujourd’hui vivre de leur art. Pour les autres, il est difficile de faire carrière dans la musique, pour la plupart elle ne reste qu’une activité qui les passionne mais ne leur permettant pas de se nourrir. Pour résumer, nous voulons grandir, néanmoins par étapes. Nous souhaitons bien sûr une croissance en chiffres, mais pas aux dépens de la qualité. Nous entendons préserver ce qui est à l’origine de notre projet, nos valeurs fondamentales et le développement durable.

Jana Rapp pour Novastan a mené cet entretien.

Traduit de l’allemand par Bruno Cazauran

Édité par Chloé Renard

Relu par Charlotte Bonin

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