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Témoignage d’Yntymak Tolkyn, un Kandas rapatrié depuis la Chine

De nombreux Kazakhs de Chine, appelés Kandas, ont rejoint le Kazakhstan ces dernières années. Parmi eux, Yntymak Tolkyn raconte son enfance nomade dans le Xinjiang, son départ avec sa famille avant les persécutions touchant les minorités et les défis rencontrés lors de son installation au Kazakhstan.

Rédigé par :

La rédaction 

Edité par : angatsono

Traduit par : scombaret

The Village

Kandas Yntymak Tolkyn
Yntymak Tolkyn. Photo : The Village.

De nombreux Kazakhs de Chine, appelés Kandas, ont rejoint le Kazakhstan ces dernières années. Parmi eux, Yntymak Tolkyn raconte son enfance nomade dans le Xinjiang, son départ avec sa famille avant les persécutions touchant les minorités et les défis rencontrés lors de son installation au Kazakhstan.

Ces dernières années, des centaines de milliers de Kazakhs ethniques sont retournés dans leur pays d’origine depuis l’étranger. Ce sont les Kandas. Selon les données du ministère du Travail, depuis 1991, près de 1,2 million de personnes sont revenues au Kazakhstan. En 2025, pratiquement la moitié des Kandas viennent de la République populaire de Chine.

Depuis 2017, les médias mettent en lumière les persécutions massives que subissent les minorités ethniques, dont les Kazakhs, notamment dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine. D’après l’ONU, jusqu’à un million de personnes pourraient avoir été détenues dans des « camps de rééducation ». Ces personnes étaient principalement des Ouïghours, mais il s’y trouvait aussi des Kazakhs, des Kirghiz, des Ouzbeks et des représentants d’autres peuples.

Le média kazakh The Village a recueilli le témoignage d’Yntymak Tolkyn, un Kandas ayant vécu en Chine. Il y évoque les traditions kazakhes qui y perdurent, son expérience du retour au Kazakhstan et son adaptation à sa nouvelle vie dans le pays.

La conservation de la culture kazakhe en Chine

Je suis né le 12 décembre 1997 dans le village d’Ocheti, dans le district de Tarbagataï en République populaire de Chine. Jusqu’à mes dix ans, j’ai vécu en Chine, après quoi ma famille a déménagé au Kazakhstan. Avec mes parents, nous travaillions dans l’agriculture et l’élevage. Notre vie était modeste et laborieuse.

Dans la région de Tarbagataï, les traditions et l’esprit kazakhs se ressentaient partout. Nous gardions le bétail, menions un mode de vie proche du nomadisme, parlions en kazakh et suivions les coutumes – des rituels matrimoniaux jusqu’aux rites quotidiens. La conservation de la culture kazakhe se faisait naturellement.

Pendant ces années, j’ai beaucoup appris sur la façon dont les Kazakhs vivent et conservent leur culture. Nous menions un mode de vie nomade : nous déménagions vers les zimovki (quartiers d’hiver) en hiver et vers les djaïlaou (pâturages d’été) en été, ce qui différait de la vie au Kazakhstan.

En Chine, je fréquentais une école kazakhe, qui est aujourd’hui fermée. Je ne suis pas allé à la maternelle, mais directement à l’école. Quand nous partions pour les djaïlaou, mon frère et ma sœur restaient en ville, tandis que mes parents et moi allions dans les pâturages. C’est là que j’ai appris à faire paître le bétail. Les hivers passés dans les zimovki étaient singuliers : les maisons restaient vides car les gens partaient, et d’autres pouvaient temporairement s’y installer. Je ressentais profondément cette vie kazakhe, simple et authentique, qui est restée dans ma mémoire.

Le retour au Kazakhstan

Nous avons pris la décision de retourner au Kazakhstan tous ensemble – les parents, les grands-parents et les anciens. Je ne comprenais pas bien ce qui allait se passer. Mon père et ma mère ont demandé conseil à leurs parents, et tous ont décidé de déménager. Ils ont commencé à remplir les documents, mais le plus gros problème était la traversée de la frontière avec des enfants mineurs.

Mon frère, qui était presque majeur, a dû rester en Chine quelques mois, puis a rejoint nos parents. Mon père et ma mère ont franchi la frontière en premiers, tandis que ma sœur et moi sommes restés vivre un an en Chine avec des proches du côté maternel. Cette année-là, nos parents se sont occupés de tous les documents. Des connaissances et un service spécial les ont aidés à résoudre les problèmes administratifs et d’enregistrement. Un an plus tard, en 2008, j’ai déménagé au Kazakhstan.

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Je n’ai pas mal vécu ce déménagement, car nous répétions souvent dans la famille que le Kazakhstan était notre patrie et que nous y retournerions un jour. Je n’en ai jamais douté, et j’ai donc bien accueilli la nouvelle.

Quand en Chine nous recevions des hôtes venus du Kazakhstan, j’écoutais leurs histoires sur ce pays et sur leur enfance ; je m’y suis intéressé dès mon plus jeune âge. Je rêvais de le voir un jour de mes propres yeux.

La traversée de la frontière

L’autobus qui nous a menés à Oust-Kamenogorsk était vieux et usé. Pendant le trajet, je me sentais mal, et mon état s’est empiré quand j’ai bu la fameuse eau de Saryagach : j’ai eu mal au ventre et je me suis senti faiblir. Ma tante était très attentionnée et m’a fait m’asseoir au dernier rang du bus. Tous ces évènements resteront toujours ancrés dans ma mémoire.

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C’est au cours de ce trajet que j’ai vu des Russes pour la première fois. Ils étaient grands, avec des cheveux clairs et des yeux bleus. Je les observais attentivement sans comprendre ce qu’ils disaient. J’étais très étonné. Ce moment est resté gravé dans mes premiers souvenirs du Kazakhstan.

Mais plus que tout, je me souviens de l’air : il était pur, particulier, avec une odeur inhabituelle.

Les premières impressions

Quand j’ai déménagé au Kazakhstan, nous avons d’abord dû nous rendre à Terekty, dans le district de Kokpekty, dans l’oblast du Kazakhstan Oriental. Nous sommes arrivés le soir et sommes immédiatement allés à l’école, même si j’avais demandé à pouvoir me reposer un peu. Comme je n’avais pas été préalablement enregistré, j’ai dû commencer les cours sans pause.

Le plus difficile a été de maîtriser l’écriture, car en Chine j’apprenais le kazakh, mais j’écrivais mal. Quand je suis arrivé en troisième année, la professeure a proposé que je redouble à cause de l’écrit. J’étais triste, mais cela s’est avéré utile : en quatrième année, je me débrouillais déjà bien mieux, et les dernières années, j’avais en général d’excellentes notes.

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Mon adaptation n’a pas été trop difficile, car j’allais à l’école et petit à petit je m’intégrais. Je n’ai pas non plus rencontré de difficultés particulières à l’université.

Si j’avais été plus âgé ou si j’avais terminé l’école en Chine, cela aurait été plus difficile. J’avais étudié en Chine avec la graphie arabe, et le passage aux alphabets latin et cyrillique aurait été compliqué. En outre, je connaissais mal le russe, ce qui peut poser problème.

Rattraper son retard sur la langue russe

J’ai rapidement appris l’alphabet et les bases du russe à l’école. C’était très difficile. Pour progresser, je communiquais beaucoup en été avec des russophones au travail. Cela m’a aidé à apprendre la langue, et maintenant je m’exprime bien, malgré quelques lacunes en grammaire.

Chaque pays et chaque région a son propre mode de vie. Même parmi les régions kazakhes, il existe des particularités propres à chacune. De la même façon, il y a des différences entre la Chine et le Kazakhstan. Une différence majeure est le rapport au mode de vie nomade. Dans la région chinoise où je vivais, au milieu des Kazakhs, le mode de vie nomade se conservait encore. Les familles s’occupaient du bétail, transportaient des charges sur des chameaux et vivaient en lien étroit avec la nature.

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C’était normal pour moi, parce que j’avais grandi dans cet environnement et que, depuis l’enfance, j’avais été nourri de mœurs, d’habitudes et de traditions kazakhes. Cela est très important et précieux pour moi.

Des traditions longtemps préservées

Aujourd’hui, le kazakh est très différent de ce qu’il était auparavant. Dans mon enfance, là où je vivais, la vie quotidienne suivait intégralement la culture kazakhe. Le kazakh était la langue principale de communication, et même les Chinois l’utilisaient.

Je me rappelle particulièrement d’un moment : j’étais allé avec mon père dans un magasin et j’y avais rencontré un groupe de femmes kazakhes. Le vendeur, un Chinois, leur répondait dans un kazakh très pur. Cela me semblait normal, mais maintenant je comprends que cette scène peut sembler étonnante.

Le chinois comme matière scolaire n’est apparu que dans la deuxième moitié de la première année ; jusque-là, tout l’enseignement était en kazakh. À la maison, à l’école, dans la vie quotidienne, nous n’entendions que du kazakh. Nous entendions le chinois seulement par hasard – dans les magasins ou dans la rue.

La perte de la langue kazakhe en Chine

Il ne faut pas juger les Kazakhs de Chine en fonction de leur niveau de kazakh : là-bas, la langue et les traditions se conservent souvent mieux qu’au Kazakhstan lui-même. Enfant, je vivais dans un environnement où le kazakh, la culture et son esprit faisaient partie de la vie quotidienne.

À partir de 2014, la pression contre les peuples musulmans en Chine, dont les Kazakhs, s’est accentuée. Cela touchait à la préservation de la langue, des traditions et de la religion. Maintenant, je remarque que la jeunesse oublie souvent le kazakh. Quand je parle avec des proches restés en Chine, je vois combien tout a changé. Avant, tout était différent, et cela me rend triste.

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Désormais, l’accent chinois est de plus en plus audible dans la langue ; il se mêle au kazakh. C’est particulièrement triste pour la langue.

Les différences culturelles

Au début, les gens me regardaient un peu bizarrement – j’avais l’air différent, et ma manière de parler me distinguait. Même si nous parlions kazakh en Chine, notre style de communication était un peu différent. Le kazakh des locaux et celui de ceux nés à l’étranger ne sont pas les mêmes : cela peut provoquer des malentendus.

Mais je me suis toujours senti membre de ce peuple. Le Kazakhstan est ma patrie, et je suis chez moi. Je ne saurais pas l’expliquer autrement : ici, je suis simplement à ma place.

Les difficultés d’adaptation au Kazakhstan

Pendant les premiers jours de mon arrivée au Kazakhstan, je me suis heurté à des regards malveillants et à certaines difficultés. Très souvent, j’entendais les mots « oralman » (les oralmans sont des Kazakhs rapatriés au Kazakhstan depuis les pays voisins, ndlr) et « Chinois ». Je ne prêtais pas attention au mot « oralman », mais celui de « Chinois » me mettait vraiment en colère. Cela finissait souvent en bagarres, surtout durant mes années d’étude.

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Selon les milieux, les réactions différaient : certains m’acceptaient, d’autres me considéraient comme un étranger. Au début, c’était difficile de se fondre dans la société. Heureusement, aujourd’hui, de telles situations ne se produisent plus, sûrement parce que je fais partie de cette société.

À présent, nous nous sommes tous adaptés, et nous avons appris le kazakh et le russe. Le kazakh est notre langue maternelle, et nous avons appris le russe après notre arrivée. Les plus âgés se sont aussi intégrés sans grandes difficultés, même si des incompréhensions survenaient parfois. Nos liens avec nos amis restés en Chine ne sont pas rompus : nous communiquons souvent et préservons notre amitié. Nous les invitons chez nous et ils nous invitent chez eux.

Daniyar Beïsembaïev
Journaliste pour The Village

Traduit du russe par Sophie Combaret

Edité par Anaelle Ngatsono

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