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Qui était Akhmet Baïtoursinoff ? L’histoire d’un enseignant kazakh

Akhmet Baïtoursinoff a laissé sa trace dans l’Histoire kazakhe. S’il est surtout connu en tant qu’enseignant et protecteur de la langue kazakhe, il a également marqué la vie politique du pays.

Akhmet Baïtoursinoff
Akhmet Baïtoursinoff.

Akhmet Baïtoursinoff a laissé sa trace dans l’Histoire kazakhe. S’il est surtout connu en tant qu’enseignant et protecteur de la langue kazakhe, il a également marqué la vie politique du pays.

La vie implique de jouer différents rôles : aux yeux de certains, quelques-uns resteront toujours des enfants, ou bien un partenaire amoureux, un ami fidèle, un collègue, une simple connaissance. Mais certains trouvent le temps de jouer bien plus de rôles que d’autres. C’est le cas d’Akhmet Baïtoursinoff : il a été poète, linguiste, pédagogue, scientifique, politicien, révolutionnaire et journaliste.

Pour les 150 ans de sa naissance, Masa Media explique qui il était et quel souvenir il a laissé. Cet article a été écrit en s’appuyant sur les documents de la Bibliothèque nationale de la République du Kazakhstan.

Enfance

Akhmet Baïtoursinoff est né le 5 septembre 1872 dans l’oblast de Tourgaï (actuellement oblys de Kostanaï).

Sa réelle date de naissance est restée longtemps inconnue : s’il était admis qu’il était né le 29 septembre, un document écrit en russe et intitulé Jizneopisanié (biographie, récit d’une vie) a été retrouvé en 2012. Il avait été écrit par Akhmet Baïtoursinoff lui-même et il y indiquait que sa date de naissance était le 5 septembre.

Baïtoursyn, le père d’Akhmet, était un homme influent et faisant autorité, qui essayait de protéger les intérêts de ses compatriotes et était prêt pour cela à entrer en conflit. Un jour, le commandant de l’ouïezd, le colonel Yakovlev, s’est rendu dans son aoul. Après une dispute, Baïtoursyn et ses frères ont battu le fonctionnaire : cela leur a valu d’être envoyés au bagne en Sibérie.

« Ce coup, porté à l’âge de 13 ans, a laissé dans mon cœur une blessure profonde. Si je ne remplis pas mon devoir d’humain, si je deviens un être sans scrupules, n’aurai-je pas honte devant la mort ? » écrit Akhmet Baïtoursinoff à sa mère, se souvenant plus tard du destin de son père. Cette lettre a été écrite depuis la prison de Semipalatinsk.

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Après avoir reçu une éducation de base auprès d’un mollah et à l’école locale, Akhmet Baïtoursinoff se rend à Orenbourg avec des compagnons de fortune. Là-bas, malgré les difficultés financières et le manque, il termine l’école normale fondée par Ybyraï Altynsarine.

Éducateur et poète

Akhmet Baïtoursinoff a travaillé presque 15 ans dans les écoles russo-kazakhes des ouïezds d’Aktioubé, Karakaline et Kostanaï. Il considérait que seuls la science et le progrès pouvaient aider les Kazakhs à s’extirper de la position misérable dans laquelle ils étaient plongés depuis l’arrivée des colons. Ainsi, il appelait son peuple à ne pas s’acharner à désigner les coupables de cette situation, mais à travailler dur pour la surmonter.

« Ces derniers temps, les jours de travail du Kazakh sont assombris par les problèmes. Il en veut à la terre entière, se demande d’où et par quelle folie insidieuse l’alarme s’est mise à sonner. La modernité est l’enfant d’une époque passée et le parent de l’époque à venir. Pendant une ère de prospérité sociale, alors que les connaissances et les techniques se développaient, les Kazakhs restaient leur propre patron. Ni le khan ni le peuple ne s’intéressaient aux sciences et à l’art. Ils entraient en conflit les uns avec les autres sans se pencher sur d’autres activités plus fructueuses. Et tandis que les autres peuples allaient de l’avant, les Kazakhs revenaient en arrière », écrit-il dans l’article « La rancune des Kazakhs ».

Akhmet Baïtoursinoff travaillait à son œuvre. Il publia le recueil de poèmes Massa (Le moustique), dans lequel il appelait à étudier, s’intéresser aux sciences, et où il condamnait les comportements immoraux et conseillait de se tourner vers l’humanisme. C’est ce but que poursuivaient les fables d’Ivan Krylov, traduites et adaptées par Akhmet Baïtoursinoff et intégrées à son recueil Quarante fables.

Le mari

La femme d’Akhmet Baïtoursinoff s’appelait Alexandra avant son mariage et venait de Verkheouralsk. Lorsqu’ils se sont rencontrés, la jeune femme était institutrice dans une école russo-kazakhe non loin de Kostanaï. A cette époque, unir deux personnes de différentes confessions était incroyablement compliqué, mais Alexandra a accepté de se convertir à l’islam.

Elle et Akhmet Baïtoursinoff se sont rendus à la mosquée de Troïtsk, où l’imam qui les a mariés a inscrit la jeune fille sous le nom tatar de Badrisafa Moukhamedsadykkyzy.

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La famille d’Akhmet Baïtoursinoff a rapidement accepté et aimé Badrisafa : non seulement elle connaissait la langue kazakhe, mais elle était également dotée d’un caractère doux et arrangeant. De plus, la femme d’Akhmet Baïtoursinoff prenait une part active dans ses activités. Lorsqu’il est devenu rédacteur en chef du journal Qazaq, Badrisafa et leur fille adoptive Katez se sont occupées des travaux de typographie.

Après l’exécution d’Akhmet Baïtoursinoff en 1937, Badrisafa a été exilée à Sverdlovsk. En 1942/1943, elle est revenue auprès de la famille d’Akhmet Baïtoursinoff , tourmentée, souffrant d’épilepsie, habillée de l’ancien manteau de son mari. Pour ne pas leur causer de problèmes, elle s’est même installée chez une autre famille. Rapidement, les médecins l’ont envoyée à la maison pour invalides du village d’Aleksandrovka. Y est-elle arrivée ou non ? C’est une question débattue. Selon certaines informations, elle a vécu les dernières années de sa vie dans la localité de Kaskat, où elle avait trouvé refuge chez des habitants.

Journaliste et critique des autorités tsaristes

Après la révolution de 1905, Akhmet Baïtoursinoff s’est impliqué activement dans la politique. Il était l’un des auteurs de la pétition de Karkaraline qui demandait l’arrêt des expropriations et du déplacement de paysans vers le Kazakhstan ainsi que la création de zemstvos populaires. Akhmet Baïtoursinoff s’est retrouvé à plusieurs reprises en prison à cause de ses opinions.

En 1913, Akhmet Baïtoursinoff fonde le journal Qazaq avec Alikhane Boukeïkhane et Mirjakyp Doulatouly. En 1918, il était tiré à plus de 1 000 exemplaires.

Akhjmet Baïtoursinoff Prison
Akhmet Baïtoursinoff en prison.

Lorsqu’en 1914 le journal est condamné à une amende pour avoir critiqué les autorités, Akhmet Baïtoursinoff, incapable de payer, est envoyé en prison. En quelques jours, les lecteurs avaient réuni l’argent nécessaire et ainsi libéré le journaliste de prison. Plus tard, ils ont à plusieurs reprises aidé le journal à payer des amendes infligées par les autorités.

Scientifique et professeur

Akhmet Baïtoursinoff était pour l’utilisation de l’alphabet arabe en kazakh. Il considérait que l’alphabet latin (à ce moment, nombreux étaient ceux qui l’utilisaient) ne contenait pas assez de signes pour tous les sons kazakhs. L’alphabet arabe, d’ailleurs, comportait également quelques lacunes, et c’est Akhmet Baïtoursinoff qui a su l’adapter à la langue kazakhe. Il a présenté son projet dans Oqu qūraly, édité en 1912. C’était l’un des premiers abécédaires écrits en langue kazakhe.

L’alphabet a été assez bien accueilli et rapidement utilisé pour l’enseignement dans les écoles kazakho-russes et dans les madrassas. Le journal Qazaq utilisait également le système arabe réformé.

Dans l’ensemble, Akhmet Baïtoursinoff était actif dans la sphère scientifique. Pendant les années 1914-1916, il a écrit la trilogie Tıl – qūral, le premier manuel scientifique d’étude de la langue kazakhe. Dans ses trois parties, intitulées « Morphologie », « Phonétique » et « Syntaxe », il définit différents concepts linguistiques et codifie la structure de la langue.

Politicien et partisan du bolchévisme

En 1917, Akhmet Baïtoursinoff crée le parti Alach avec d’autres représentants de l’intelligentsia kazakhe. A la fin de l’année, il est même élu à l’assemblée constituante qui devait établir démocratiquement la structure de l’Empire russe. Cependant, lors de la révolution d’Octobre, les bolchéviques ont dissous l’assemblée constituante et pris le pouvoir. La guerre civile a commencé.

Au début, le parti Alach-Orda se rangeait aux côtés des blancs, mais après l’usurpation du pouvoir par Alexandre Koltchak, l’organisation a repoussé cette idée. Les partisans d’Alach ont dû reconnaître le pouvoir soviétique en échange de l’amnistie. C’est Akhmet Baïtoursinoff qui a été envoyé à Moscou pour les négociations.

« M’apercevant de l’attention portée à la question nationale kirghize édictée dans la déclaration des droits des peuples de Russie, je peux sincèrement rassurer mes camarades et leur dire qu’en préférant le pouvoir soviétique à celui de Koltchakov, nous ne nous sommes pas trompés », écrit-il à cette époque dans un de ses articles.

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Cependant, Akhmet Baïtoursinoff était déjà l’auteur en 1920 d’une lettre qui critiquait la politique des bolchéviques envers les peuples colonisés. « Nos camarades communistes locaux, pensant que les Kirghiz n’y comprennent rien et s’engageant dans des politiques perfides, ne proposent pas au peuple travailleur kirghiz de l’aider fraternellement pour construire sa vie selon les principes soviétiques, mais lui impose son règne de diverses manières », faisait-il remarquer.

L’ennemi du peuple

Dans les années 1920-1921, Akhmet Baïtoursinoff occupait le poste de ministre de l’Éducation de la République socialiste soviétique autonome du Kazakhstan (KazASSR). Il a cependant bientôt démissionné, l’expliquant ainsi :

« J’ai été placé dans une situation telle que j’ai dû choisir une de ces deux activités : constituer des manuels de langue kirghize ou me rendre à des réunions du parti. […] J’ai choisi la première option, me considérant plus capable et utile en travaillant pour la langue kirghize et sachant que, probablement, mon apport dans ce domaine serait incomparablement plus fructueux que mon travail dans les réunions du parti. »

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Après sa démission, dans les années 1920, il s’est tourné principalement vers des activités scientifiques et pédagogiques. En juin 1929, Akhmet Baïtoursinoff est arrêté à Almaty avec d’autres membres d’Alach-Orda.

Il est accusé d’activités contre-révolutionnaires et est envoyé à la prison de la Boutyrka, à Moscou. En 1932, Akhmet Baïtoursinoff est condamné à l’exil à Arkhangelsk.

L’exécution

Dans cette ville du nord, il adresse une demande à Iekaterina Pechkova, la femme de Maxime Gorki, qui dirige l’une des rares organisations de défense des droits de l’Homme en URSS, liquidée en 1937. Dans sa lettre, Akhmet Baïtoursinoff adresse une plainte :

« Je suis un professeur qui a travaillé 34 ans à l’éducation du peuple kirghiz et kazakh, et pas comme ces pédagogues issus d’autres nations et cultures qui avaient déjà tout ce dont ils avaient besoin pour éduquer, grâce à des travaux effectués au fil des siècles. […] En tant que fils d’une nation en retard, j’ai travaillé avec dévotion et enthousiasme à éduquer le peuple kazakh, y consacrant toutes mes forces et mes talents, même ma santé. Et voilà que le destin a voulu, en récompense de tout ce que j’ai fait pour le peuple kazakh, que je doive passer 20 mois en prison et 22 mois en camps pendant mes vieux jours (62 ans), et qu’enfin j’y sois alors que la vieillesse m’attaque de tous côtés. »

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Akhmet Baïtoursinoff fait remarquer qu’à cause de sa condamnation, personne ne veut lui donner du travail : il vit difficilement. Le professeur est bientôt libéré. Il retourne à Almaty, où il vit avec sa femme jusqu’en 1937.

En octobre 1937, Akhmet Baïtoursinoff est à nouveau arrêté. Lors de l’interrogatoire, il s’exprime également sur ses préférences politiques : « Mon idéal est d’élever le plus possible la prospérité et la culture du peuple kazakh. Puisque cette entreprise n’en est qu’à son stade premier, je me soumettrai au pouvoir qui exaucera mon vœu. »

Akhmet Baïtoursinoff est bientôt fusillé. Il n’est réhabilité qu’en 1988.

Nikita Chamsoutdinov
Journaliste pour Masa Media

Traduit du russe par Paulinon Vanackère

Edité par Anthony Vial

Relu par Mathilde Garnier

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