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L’impossible repos des Kazakhs de Chine

Comme des milliers de Chinois d’ethnie kazakhe avant lui, Askar Azatbek a quitté la Chine en 2016 et s’est installé au Kazakhstan, où il a obtenu la citoyenneté. En décembre 2017, il est arrêté à la frontière chinoise puis condamné à 20 ans de prison en Chine pour « fraude et espionnage ». Il est une autre victime de la répression sans précédent, dont les populations musulmanes du Xinjiang - Ouïghours, Kazakhs, Kirghiz et Dounganes, sont la cible.

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Les Kazakhs, cible de la répression mise en place par Pékin

Comme des milliers de Chinois d’ethnie kazakhe avant lui, Askar Azatbek a quitté la Chine en 2016 et s’est installé au Kazakhstan, où il a obtenu la citoyenneté. En décembre 2017, il est arrêté à la frontière chinoise puis condamné à 20 ans de prison en Chine pour « fraude et espionnage ». Il est une autre victime de la répression sans précédent, dont les populations musulmanes du Xinjiang – Ouïghours, Kazakhs, Kirghiz et Dounganes, sont la cible.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 15 octobre 2020 par le média kazakh Vlast.kz.

Mamourkan Kourmanaliev est âgé de vingt ans lorsqu’il quitte le Xinjiang avec ses parents et son jeune frère pour s’installer au Kazakhstan, en 1956. A cette époque, le Kazakhstan fait partie de l’URSS. Entre les années 1930 et 1960, des milliers de Kazakhs émigrent de Chine vers d’autres pays, notamment la Turquie, du fait de la proximité entre les langues turque et le kazakhe. La raison : leur désir d’indépendance se heurte au nationalisme chinois.

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Des décennies plus tard, la fille de Mamourkan Kourmanaliev, Gaoukhar Kourmanilieva, raconte l’histoire de sa famille. Elle tient entre ses mains un portrait d’Askar Azatbek, son cousin, dont les parents ont fait le choix de rester au Xinjiang. « Après la chute de l’URSS, nous sommes partis à la recherche de notre famille, en Chine et au Kazakhstan. J’ai rencontré Askar en 2012 et nous avons commencé à échanger. C’est une personne très joyeuse. En Chine, on lui a reproché d’avoir lu certains livres (liés à l’islam, ndlr) mais c’est faux, il n’est pas croyant », décrit Gaoukhar Kourmanalieva auprès du média Vlast.kz . « En 2016, il est venu au Kazakhstan et a déposé une demande pour obtenir la citoyenneté kazakhe, qu’il a obtenue en 2017. Sa femme et ses deux enfants étaient toujours en Chine. Il avait prévu d’aller les chercher pour les ramener avec lui au Kazakhstan », explique la jeune femme.

La traque des minorités du Xinjiang

Mais ça ne s’est pas passé comme prévu. Le 7 décembre 2017, Gaoukhar Kourmanalieva était avec sa famille à Jarkent, une petite ville kazakhe proche de la frontière chinoise. Son cousin avait décidé de se rendre du côté kazakh de la ville-frontière de Khorgos. « Je lui ai conseillé de manger avant de partir à Khorgos. Mais il m’a dit qu’il préférait manger à son retour. Il m’a demandé de préparer des raviolis à la citrouille avec beaucoup de viande » se souvient Gaoukhar Kourmanalieva. À quatre heures, les raviolis étaient prêts mais Askar Azatbek n’est jamais revenu.

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« Ma sœur a appelé son ami. Sa voix tremblait. Il a dit : « On venait de s’arrêter, on voulait déjà repartir, on était du côté kazakh, là où il y a le monument de l’aigle. Et là, quatre types en civil sont arrivés en voiture et ont commencé à vérifier nos papiers », décrit Gaoukhar Kourmanalieva. « Son ami, installé au Kazakhstan depuis longtemps, a montré son passeport kazakh. Askar Azatbek a lui aussi donné son passeport kazakh, mais on lui a dit qu’il était toujours enregistré en Chine. Ils l’ont menotté et l’ont emmené. Son ami était terrassé par la peur. Après cela, Askar a disparu. Il a donné des nouvelles une ou deux fois, puis plus rien », raconte Gouakhar Kourmanalieva.

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Après cet appel, la famille d’Askar Azatbek s’est rendue sans tarder au commissariat de police de Jarkent. « Ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas prendre notre déposition le jour-même, qu’il faudrait revenir le lendemain. Nous avons rempli la déposition et sommes allés à Khorgos. Les caméras ne fonctionnaient pas, il n’y avait pas de preuve du passage d’Askar », décrit Gaoukhar Kourmanalieva. « Nous y sommes allés avec des enquêteurs des autorités kazakhes. Ils ont déposé une requête en Chine. On leur a répondu qu’Askar se trouvait bien en Chine, à Khorgos, et qu’il était citoyen chinois. Mais aussi kazakh. Mais ce n’est pas possible ! Il n’aurait pas pu recevoir la citoyenneté kazakhe sans renoncer à sa citoyenneté chinoise », explique la jeune femme.

En effet, la loi chinoise ne tolère pas la double nationalité : un citoyen chinois qui acquiert une citoyenneté étrangère est automatiquement déchu de sa citoyenneté chinoise.

La justice chinoise au service de la répression

En 2018, le tribunal populaire du Xinjiang a condamné Askar Azatbek à vingt ans de réclusion pour « fraude et espionnage ». Dans le jugement, il est expliqué qu’en janvier 2015, alors qu’il était encore un citoyen chinois, Askar Azatbek avait rencontré un haut-fonctionnaire kazakh à l’hôtel Mustang à Ürümqi, la capitale régionale. Il s’agissait d’un diplomate kazakh travaillant au service des visas et des passeports. Il l’aurait ensuite contacté « à maintes reprises afin d’obtenir des visas kazakhs pour lui et ses proches ».

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Askar Azatbek, citoyen kazakh disparu le 7 décembre 2017 et depuis emprisonné en Chine

Le jugement s’appuie sur un témoignage qu’Askar Azatbek aurait lui-même apporté, utilisé pour asseoir l’accusation d’espionnage. A l’époque, ce dernier était fonctionnaire dans la préfecture autonome kazakhe d’Ili, dans le Xinjiang. Le fonctionnaire kazakh rencontré en 2015 lui aurait posé des questions sur les infrastructures agro-alimentaires dont l’intéressé avait la charge. Il a ensuite posé des questions sur les services de sécurité en charge de ces infrastructures, puis Askar Azatbek l’a emmené visiter différents réservoirs de céréales et d’autres installations. « Quand il a commencé à m’interroger sur les réservoirs, qu’il a pris des photos du réservoir de Kaptchikhaï avec son téléphone portable, et qu’il m’a posé des questions sur la pollution et sur certaines personnes, j’ai douté de son identité de diplomate », a expliqué Askar Azatbek.

Chris Rickleton, un journaliste britannique qui a beaucoup écrit sur les « camps de rééducation » du Xinjiang, a envoyé plusieurs requêtes à l’administration chinoise pour savoir ce qu’il est advenu d’Askar Azatbek. Il s’est également intéressé à ce fonctionnaire du service des passeports et des visas du Kazakhstan dont il est question dans le jugement.

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« Nous avons envoyé des demandes au ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan ainsi qu’à l’administration du Xinjiang », explique Chris Rickleton. « Nous avons aussi envoyé une demande au comité national de sécurité du Kazakhstan. Le représentant du ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan au Xinjiang de l’époque travaille aujourd’hui au comité national de sécurité. Nous n’avons pas encore reçu de réponse ».

« La plupart des personnes qui, ces dernières années, ont été jugées au Xinjiang pour de tels crimes sont sans doute innocentes. Cet usage du système judiciaire a la même finalité répressive que les camps. Il existe certainement quelques coupables, mais la plupart des personnes condamnées sont innocentes », commente Evgueni Bounine, militant russe et fondateur du site Shahit.biz, qui rassemble les témoignages des victimes de la répression contre les minorités musulmanes de Chine.

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Il souligne que la condamnation dans l’affaire d’Askar Azatbek lui semble suspecte. « Toutes les pages relatives à l’accusation de fraude sont manquantes dans le jugement. Il est inquiétant qu’une personne puisse être condamnée sans qu’aucune preuve de sa culpabilité soit avancée. Il semble qu’on nous cache quelque chose. Quoi qu’il en soit, je le considère comme une victime : vingt ans de prison pour ça, c’est disproportionné. De plus, il a été arrêté sur le territoire kazakh. C’est un cas compliqué et relativement unique », considère le chercheur. « Cela rappelle Zhang Haitao, un Chinois condamné en 2015 pour espionnage après avoir ouvertement critiqué la politique menée au Xinjiang dans une interview sur Radio Free Asia, avant même l’apparition massive des camps. Condamné à dix-neuf ans de prison, il est aujourd’hui détenu à la prison d’Aksou, au Xinjiang », décrit Evgueni Bounine.

Les mystères de la nationalité chinoise

Bekzat Maksoutkhan, un militant de l’organisation Naǵyz Atajurt Eriktileri (« Les vrais volontaires de la patrie » en kazakh), qui défend les droits des Kazakhs en Chine, a expliqué au média Vlast qu’Askar Azatbek n’était pas le seul citoyen kazakh à se trouver dans une prison ou un « camp de rééducation » chinois.

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« La citoyenneté est octroyée par décret présidentiel. Beaucoup de personnes obtiennent la citoyenneté kazakhe mais reçoivent tardivement leur carte d’identité. Légalement, ils deviennent ressortissants kazakhs dès que le président leur a octroyé la citoyenneté par décret », explique Bekzat Maksoutkhan. « Il y a beaucoup de gens dans ce cas. Par exemple, Zeïnolla Rakyjan, le père de Galym Rakyjana (un autre militant de Naǵyz Atajurt Eriktileri), a été arrêté en 2004 pour espionnage. Mais c’est de la calomnie, il était un simple commerçant », ajoute le militant. « Il a passé quatorze ans en prison, un an en camp de travail et cela fait maintenant un an qu’il est assigné à résidence. Cela fait donc seize ans qu’il n’a pas vu sa famille. Sa citoyenneté kazakhe a été approuvée par le président et un décret a été pris. S’il venait dans le pays, il pourrait se rendre à tout moment au service des migrations et recevoir ses documents d’identité. Mais il en a été empêché alors que, légalement, il est citoyen du Kazakhstan », explique Bekzat Maksoutkhan.

« Ceux qui n’ont pas encore reçu leurs papiers d’identité se rendent en Chine seulement avec leur permis de séjour kazakh. Ils pensaient recevoir la carte d’identité à leur retour, mais ils n’ont jamais pu revenir », se lamente le militant.

L’État kazakh, incapable de protéger ses ressortissants originaires de Chine

Un autre Kazakh originaire de Chine, Amajan Seyt, était revenu au Kazakhstan et avait obtenu la citoyenneté kazakhe, il y a vingt ans. Arrêté lors d’un voyage à Pékin, il avait sollicité l’aide de l’ambassade kazakhe en Chine. Ignorant sa citoyenneté kazakhe, les autorités chinoises l’ont enfermé durant un an au Xinjiang puis il a été libéré, sans aucune aide de la diplomatie kazakhe.

Le 7 février 2020, Gaoukhar Kourmanalieva a enfin reçu une réponse de la part du ministère kazakh des Affaires étrangères. Ce courrier confirme que son cousin a d’abord été arrêté par les autorités chinoises pour avoir violé la loi sur la nationalité chinoise, interdisant la double nationalité, tout en confirmant qu’il était en règle avec la loi kazakhe. Le courrier indique que les représentants consulaires kazakhs ont envoyé divers notes au ministère chinois de l’Intérieur, formulant notamment la demande d’une rencontre du consul kazakh avec Askar Azatbek. Ces requêtes sont restées lettre morte. L’administration kazakhe indique n’avoir obtenu aucune information des autorités judiciaires chinoises sur une condamnation d’Askar Azatbek.

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« En outre, sur votre demande, une requête a été envoyée aux autorités compétentes de la République du Kazakhstan. Les autorités compétentes ont signalé l’absence d’informations concernant la participation d’Askar Azatbek aux activités opérationnelles des organismes de sécurité nationale du Kazakhstan », écrivent les autorités kazakhes au sujet du motif de condamnation d’Askar Azatbek avancé par sa cousine.

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Après ce courrier, Gaoukhar Kourmanalieva n’a plus reçu aucune nouvelle de son cousin. Elle continue de réclamer sa libération : « Nous devons le faire libérer, c’est un citoyen kazakh ! Il n’est pas coupable. Sa seule « faute » est d’avoir quitté la Chine et d’avoir obtenu la nationalité kazakhe », argumente-t-elle.

Pour échapper aux autorités chinoises, les Kazakhs du Xinjiang quittent le Kazakhstan

Un responsable de Naǵyz Atajurt Eriktileri, Serikjan Bilach, a lui aussi témoigné de cas semblables auprès de Vlast. « Le premier d’entre eux, c’est Omirbek Bekali, enfermé en Chine pendant huit mois, alors qu’il avait reçu la citoyenneté kazakhe près de dix ans auparavant, et qu’il avait annulé son enregistrement en Chine », explique Serikjan Bilach. « Sa femme nous a contacté pour le signaler. À sa demande, nous avons alerté des organisations internationales. Pour résumer, les autorités chinoises ont libéré Omirbek Bekali en raison du tapage médiatique », décrit le responsable. « Après la publication de ces informations, des fonctionnaires du service d’obtention de passeports et de visas du ministère kazakh des Affaires étrangères, l’ont rencontré plusieurs fois en prison. C’est ainsi qu’il a enfin pu être libéré », témoigne Serikjan Bilach. Omirbek Bekali est désormais réfugié en Turquie.

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Gülbahar Jalilova, citoyenne kazakhe, née et élevée au Kazakhstan, dans la région d’Almaty, est d’origine ouïghoure. Musulmane peu pratiquante, elle se rend régulièrement à Ürümqi, au Xinjiang, pour y faire du commerce. En 2017, elle reçoit un étrange appel de la fille de son associée, chinoise d’ethnie kazakhe, qui l’invite à se rendre de toute urgence à Ürümqi. Arrêtée en chemin par la police chinoise, elle est ensuite détenue dans un camp pendant quinze mois.

Libérée grâce à la pression de différentes ONG et des Nations unies, Gülbahar Jalilova a d’abord fui en Turquie. Poursuivie par des agents chinois jusque dans les rues d’Istanbul, elle a obtenu l’asile en France en décembre 2020. Alors que ses geôliers chinois l’avaient menacée pour l’en dissuader, elle a témoigné dans de nombreux médias parmi lesquels Mediapart et Arte.

Daniyar Moldabekov et Nazerke Kourmangazinova
Journalistes pour Vlast.kz

Traduit du russe par Camille Calandre

Édité par Guillaume Gérard

Relu par Jacqueline Ripart

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