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Kazakhstan : retour sur les conséquences des manifestations de janvier 2022

Les manifestations du début de l’année 2022 au Kazakhstan, initiées par une hausse des prix du gaz liquéfié, ont mis en lumière de graves problèmes socio-économiques et conduit à une forte répression, y compris des procès controversés autour du détournement présumé de l'aéroport d'Almaty.

Rédigé par :

La rédaction 

Edité par : sattia

Traduit par : mtoustou

Masa Media

Jeltoksan Almaty janvier 2022 manifestations
Les manifestations de janvier 2022 au Kazakhstan ont de lourdes répercussions.

Les manifestations du début de l’année 2022 au Kazakhstan, initiées par une hausse des prix du gaz liquéfié, ont mis en lumière de graves problèmes socio-économiques et conduit à une forte répression, y compris des procès controversés autour du détournement présumé de l’aéroport d’Almaty.

En janvier 2022, le Kazakhstan a été le théâtre d’une série de manifestations déclenchées par une soudaine hausse des prix du gaz liquéfié, exposant au grand jour les profondes frustrations socio-économiques d’une population longtemps silencieuse. D’abord localisées à Janaozen, ces manifestations se sont rapidement propagées à travers le pays, atteignant leur paroxysme à Almaty le 5 janvier. Elles sont restées dans les mémoires sous le nom de Qantar, janvier en kazakh.

A Almaty, la situation a rapidement dégénéré : les bâtiments administratifs ont été incendiés et des pillages ont eu lieu, poussant le président Kassym-Jomart Tokaïev à déclarer l’état d’urgence et à solliciter l’aide de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).

Toutefois, la genèse de ce soulèvement transcende la simple contestation d’une décision économique. Elle révèle un malaise plus profond, né de la fracture sociale, des bas salaires, de la corruption endémique et des violations répétées des droits des citoyens. Les manifestations ont ainsi servi de catalyseur, permettant d’exprimer un sentiment d’injustice et de négligence ressenti depuis des années par une large partie de la population.

L’attente d’un renouveau démocratique

Cette crise a mis en lumière les défis auxquels est confronté le Kazakhstan, confrontant directement les autorités à l’ampleur des mécontentements. Les violences qui ont émaillé ces quelques jours de janvier ont laissé des cicatrices profondes, avec un bilan tragique de 238 morts et plus d’un millier de blessés. Au-delà des chiffres, les répercussions de ces événements s’étendent sur le tissu social et politique du pays, marquant un point de rupture dans la relation entre le gouvernement et ses citoyens.

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La réaction des autorités, mêlant promesses de réformes à une répression sévère, dont témoignent les procès controversés liés au détournement présumé de l’aéroport d’Almaty, soulève des questions sur la voie à suivre.

Ces événements constituent un appel à une réflexion profonde sur les réformes nécessaires pour répondre aux aspirations légitimes de la population, évitant ainsi la répétition de telles crises. Le Kazakhstan se trouve à un carrefour, face au défi de réconcilier croissance économique et justice sociale, dans un contexte marqué par la demande pressante d’un renouveau démocratique.

Le procès du détournement de l’aéroport d’Almaty 

Le procès concernant le prétendu détournement de l’aéroport d’Almaty s’est soldé par la condamnation de cinq citoyens à des peines de prison. Parmi eux, la journaliste Aïguerim Tleoujan a été condamnée à quatre ans de prison pour « organisation de troubles de masse », tandis que quatre autres, dont un professeur et des habitants d’Almaty, ont écopé de huit ans pour divers chefs d’accusation, incluant « organisation et participation à des troubles » ainsi que « vol » et « attaque contre le bâtiment de l’aéroport ».

Les autorités ont affirmé que les accusés avaient tenté d’empêcher l’arrivée des troupes de l’OTSC en prenant le contrôle du centre de contrôle de l’aéroport et en exigeant la coupure des lumières de la piste d’atterrissage.

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Tous les accusés ont nié les faits qui leur étaient reprochés, leurs avocats dénonçant des violations procédurales et l’absence de preuves concrètes de vol ou d’usage de la force. Les tentatives de pression pour obtenir des témoignages contre d’autres accusés ont été rapportées, ainsi que des déclarations signées sous la dictée sans preuves véritables. La défense a mis en évidence le manque de fiabilité des preuves présentées par l’accusation.

Un soldat accusé de meurtre acquitté

La journaliste Aïguerim Tleoujan a poursuivi le procureur général pour diffamation, sans succès. Elle a été reconnue comme prisonnière politique par des groupes de défense des droits humains, et sa détention a été marquée par des problèmes de santé non traités. L’ensemble des condamnés dans cette affaire a été qualifié de prisonniers politiques par la coalition d’ONG Activists – Not Extremists.

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Dans un cas distinct, le procès d’un soldat accusé d’avoir causé la mort d’une fillette de quatre ans lors des manifestations a abouti à un acquittement, malgré les demandes de la famille pour une requalification des faits en meurtre. Les circonstances de la mort de l’enfant, tuée par balle alors que sa famille tentait de fuir les violences, ont soulevé de vives critiques quant à l’objectivité et à la justesse du procès, qui s’est tenu à huis clos sous prétexte de contenir des « secrets d’État ».

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La famille a fait appel de la décision, tandis que des accusations de mise en danger ont été portées contre le père de la victime, ce qui a été perçu comme une tentative de détourner l’attention des actions des forces de l’ordre. Ces procès ont exacerbé les tensions entre les autorités kazakhes et les défenseurs des droits de l’Homme, mettant en lumière les profonds enjeux de justice et de responsabilité dans le sillage des troubles de janvier 2022.

Clôture de l’enquête sur la mort du couple Bitkenbaïev-Koulsoultanova

En avril, les forces de l’ordre ont clos l’enquête sur la mort tragique de Goulzipa Koulsoultanova et Kouat Bitkenbaïev, un couple de personnes âgées abattu dans leur voiture à Almaty le 7 janvier 2022. Les victimes, tous deux participants à Qantar, ont péri dans l’incendie de leur véhicule après avoir été atteintes par des tirs. Les enfants du couple, à la recherche de leurs parents pendant deux jours, ont finalement découvert la voiture carbonisée le 9 janvier sur un parking, où il ne restait pratiquement rien des corps.

L’expertise militaire a conclu à l’absence d’abus de pouvoir ou de violation par les militaires responsables des tirs, affirmant que leurs actions étaient légales dans le cadre du maintien de l’ordre public et de la sécurité.

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Cependant, les proches des victimes ont souligné le refus des autorités de fournir les vidéos des caméras de surveillance, prétendument endommagées pendant les événements de janvier, et de prendre en compte un morceau de plomb retrouvé dans le crâne de Kouat Bitkenbaïev, jugé inapte à l’identification en raison de déformations et de dommages.

Les déclarations officielles selon lesquelles les militaires tiraient des coups de semonce en l’air et éclairaient avec des lampes de poche ont été qualifiées d’« absurdité totale » par Daouren Bitkenbaïev, le fils de la victime. La décision de l’expertise a été remise en question, alimentant les critiques quant à la transparence de l’enquête et à la volonté des autorités de faire toute la lumière sur les circonstances entourant cette tragédie.

Le procès contre les forces de l’ordre en 2023

En 2023, plusieurs procès ont marqué la responsabilité des forces de l’ordre, touchant aussi bien les hauts gradés que les simples agents. En janvier, deux policiers ont été condamnés à trois ans de prison pour la torture de Timour Radchenko, un résident d’Almaty arrêté lors de Qantar. Le mois suivant, le tribunal de Taldykorgan a condamné cinq policiers à des peines de trois à quatre ans de prison, également pour des actes de torture, impliquant 23 victimes.

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En mars, l’ex-ministre de la Défense du Kazakhstan, Mourat Bektanov, a écopé de 12 ans de colonie de régime strict pour « abus de pouvoir commis dans des circonstances de combat ayant des conséquences graves ». En avril, l’ancien chef du KNB, le service de renseignements du Kazakhstan, Nourlan Majilov, a été condamné à six ans de prison pour la même accusation.

Des condamnations dans plusieurs régions

Également en avril 2023, le général-major de la police Serik Koudebaïev a été condamné à dix ans de prison pour abus de pouvoir et torture pendant les événements de janvier. L’ancien chef du KNB, Karim Massimov, a reçu une peine de 18 ans de prison pour « trahison, tentative de prise de pouvoir par la force et abus de pouvoir ».

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Un militaire reconnu coupable de la mort d’Elnar Kanseït, le fils du recteur de l’Université nationale du Kazakhstan, décédé également lors de Qantar, a été condamné à six ans de prison. En juin, deux agents du KNB de Taldykorgan ont été condamnés à quatre et dix ans de prison pour torture et meurtre d’un détenu. Pour un crime similaire, en août, un tribunal de Semeï a condamné un policier à six ans de prison.

À la fin de 2023, un procès majeur a abouti contre dix agents du KNB, accusés de torture sur 54 personnes pendant les événements de janvier. Les condamnations ont varié de trois à cinq ans de prison, avec l’acquittement du chef du département du KNB d’Almaty, Oulan Joumanov.

Les participants de Qantar poursuivis en justice

Au début de février 2023, le tribunal d’Aktobé a rendu des verdicts pour 18 Kazakhs impliqués dans les événements de janvier. Noursoultan Isaïev a été condamné à 15 ans de prison pour « participation à des émeutes massives » et « attaque à la vie d’un agent des forces de l’ordre en situation d’urgence », tandis que Darkhan Kami a écopé de quatre ans de prison. D’autres accusés ont reçu des peines avec sursis ou ont été acquittés, certains bénéficiant d’une déduction de la période passée en détention provisoire.

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Deux mois plus tard, un tribunal d’Almaty a condamné le leader du Parti démocratique non enregistré du Kazakhstan, Janbolat Mamaï, à six ans de prison avec sursis et une interdiction de participer à des activités politiques pour « organisation d’émeutes massives » lors de Qantar. Le politicien n’a pas reconnu sa culpabilité.

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En avril, le tribunal de Taraz a condamné quatre accusés à des peines de cinq à 16 ans de prison pour « participation à des émeutes massives » lors des événements de janvier. Erbol Joumanov a écopé de la peine maximale, reconnu coupable de « possession illégale d’armes à feu », « vol ou extorsion » et « utilisation de la violence contre un représentant de l’autorité ».

Des inégalités de traitement

En mai, le tribunal d’Almaty a reconnu coupables de l’attaque contre l’administration régionale cinq personnes décédées lors de Qantar – Serik Kerimov, Kanat Aoubakirov, Nourbolat Kasymjanov, Aslan Oualiev et Chynguys Tastanbekov. Au milieu de l’année 2023, le tribunal de Kyzylorda a condamné Gabit Pirjanov à 16 ans de prison et a déclaré coupable Farhat Omarov, décédé le 5 janvier devant le bâtiment de la police municipale. Les deux ont été reconnus coupables d’« organisation d’émeutes massives ».

En septembre, le tribunal de Taldykorgan a condamné six accusés à trois ans de colonie pour « vol d’armes » dans le bâtiment du département de la police de la région d’Almaty pendant les événements de janvier.

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Au sujet des procès, en juin 2023, le Centre de documentation de l’Alliance des droits fondamentaux a publié un rapport intitulé « Tirer pour tuer… », résumant les résultats de l’enquête sur les événements de janvier. Selon le document, 191 personnes touchées par Qantar sont actuellement en détention ou sous enquête. Cependant, plus de 400 cas ont été documentés où les victimes ont déclaré avoir été contraintes de reconnaître des actes qu’elles n’avaient pas commis, souvent sous la menace de traitements cruels.

Les tribunaux ont parfois ignoré ces déclarations faites sous la contrainte, et les témoignages de « témoins secrets » ont été largement utilisés, suscitant des critiques de la part des défenseurs des droits de l’Homme. De plus, les preuves présentées dans de nombreux cas étaient jugées peu convaincantes, se basant principalement sur des enregistrements vidéo montrant simplement la présence des accusés sur les lieux des émeutes. Les chercheurs ont souligné des inégalités, notant que les militaires étaient souvent en résidence surveillée plutôt qu’en détention provisoire, contrairement aux accusés d’émeutes massives.

Mansour Khabarov
Journaliste pour Masa Media

Traduit du russe par Macha Toustou 

Édité par Sandra Attia

Relu par Léna Marin

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