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Kazakhstan : le géant du pétrole peut-il profiter de la hausse du prix du baril ?

Le Kazakhstan pourrait tirer parti des sanctions contre le secteur énergétique russe. Avec la réduction de l’offre et la hausse du prix du baril, le pays a une opportunité d’augmenter ses recettes d’exportation. A condition de surmonter les obstacles au développement de son secteur énergétique.

Rédigé par :

mmadec 

Pétrole
Le Kazakhstan est un grand exportateur de pétrole (illustration). Photo : Pexels.

Le Kazakhstan pourrait tirer parti des sanctions contre le secteur énergétique russe. Avec la réduction de l’offre et la hausse du prix du baril, le pays a une opportunité d’augmenter ses recettes d’exportation. A condition de surmonter les obstacles au développement de son secteur énergétique.

Les nouvelles sanctions américaines, annoncées par Joe Biden le 10 janvier dernier, ont resserré l’étau sur l’offre mondiale de pétrole. Les exportations russes de pétrole ont chuté de 10 % depuis le début de 2025, soit une baisse d’environ 340 000 barils par jour par rapport à la moyenne de l’année précédente, selon Bloomberg. Avec la contraction de l’offre, le pétrole Brent a dépassé 81 dollars (75 euros), le WTI environ 78 dollars (72 euros), atteignant leurs plus hauts niveaux depuis quatre mois selon le média kazakh Kapital.

Une aubaine pour le Kazakhstan ? Le pays, dont le secteur énergétique représente près de la moitié de ses recettes budgétaires, pourrait renflouer les caisses de l’État s’il parvient à stabiliser ou augmenter ses exportations. Mais les difficultés dans la production et le transport du pétrole et de ses sous-produits ralentissent l’escalade du pays sur l’échiquier des puissances pétrolières. Pour le Kazakhstan, le choc des sanctions ouvre une brèche, mais saura-t-il s’y engouffrer ?

Le pétrole kazakh gagne du terrain en Europe…

Sous les steppes kazakhes sommeillent 3,9 milliards de tonnes de pétrole, l’équivalent de 30 milliards de barils. Une manne qui place le pays au 12ème rang mondial des réserves prouvées, et au troisième dans la région caspienne. Face aux 104 millions de barils qui seront consommés quotidiennement en 2025 selon les projections de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), le Kazakhstan ne peut pas prétendre à renverser l’ordre établi.

Mais il peut grignoter des parts de marché. En Europe, l’Allemagne a ouvert la voie, en important près de 9 millions de barils kazakhs en 2024, 61 % de plus que l’année précédente. Selon des négociants cités par Reuters, la Bulgarie a commencé à substituer une partie de son pétrole russe (l’Oural) par du KEBCO. Cette qualité de pétrole brut kazakh a été introduite après les sanctions occidentales contre la Russie, pour dissocier les exportations kazakhes de l’Oural russe.

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Même la Hongrie, fidèle cliente de Moscou pour son approvisionnement en pétrole, renforce ses importations de brut kazakh, a annoncé le groupe hongrois MOL fin 2024. Ces partenariats ont fait du Kazakhstan le troisième fournisseur de l’Europe, hors pays membres de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), constate le média Euractiv.

Mais ne séduit pas les autres marchés

Le pays progresse-t-il autant sur les autres marchés ? Lorsque le G7, l’Union européenne et l’Australie ont plafonné le prix du pétrole russe à 60 dollars (56 euros) par baril en décembre 2022, les hydrocarbures ont mis le cap vers les États désireux d’alléger leur facture énergétique. L’Inde, troisième plus gros importateur de pétrole derrière la Chine et les États-Unis, a quadruplé ses achats de brut russe depuis 2022, selon Forbes. En 2024, les importations chinoises de pétrole russe ont atteint un record de 108,5 millions de tonnes, rapporte le média ukrainien The Kyiv Independent.

Les sanctions de janvier ont stoppé net cette ruée vers l’or noir. En ciblant massivement les compagnies maritimes, les assureurs et les traders impliqués dans l’exportation du pétrole, les sanctions ont fait grimper les coûts de fret et réduit la disponibilité des navires opérant hors du cadre occidental. « Les cargaisons au port stratégique de Kozmino peinent à trouver des navires non sanctionnés, tandis que certains acheteurs cherchent déjà d’autres fournisseurs », indique le rapport de Bloomberg. Pour éviter les pénuries, Pékin et New Delhi sont contraints de trouver de nouveaux fournisseurs.

En 2024, le Kazakhstan a exporté environ 1,1 million de tonnes de pétrole vers la Chine, via le pipeline reliant un champ de la côte caspienne à la province du Xinjiang. L’existence de cette liaison directe n’a toutefois pas suffi à inscrire le Kazakhstan sur la liste des fournisseurs potentiels. Les deux géants lui préfèrent l’Arabie saoudite, où les hydrocarbures sont plus abondants et l’approvisionnement plus fiable.

Une production insuffisante et instable

Lors d’une réunion gouvernementale le 28 janvier, le Premier ministre kazakh Oljas Bektenov a annoncé une baisse de la production pétrolière de 2,4 millions de tonnes entre 2023 et 2024. En cause : « les engagements du Kazakhstan au sein de l’OPEP+ et d’importants travaux de maintenance sur ses principaux gisements, Tenguiz, Kachagan et Karatchaganak », indique l’agence de presse azerbaïdjanaise Report.

En tant que membre de l’alliance élargie des pays producteurs de pétrole, l’OPEP+, le pays est tenu de respecter les quotas de production fixés pour stabiliser le prix du baril. Lorsque l’offre mondiale dépasse la demande, comme en 2024, ces quotas sont revus à la baisse. Après avoir dépassé ses objectifs au premier semestre, le pays a dû ralentir sa production en fin d’année pour se conformer aux règles du cartel.

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La baisse de production ne résulte pas uniquement des quotas de l’OPEP+, mais aussi d’arrêts techniques sur Tenguiz et Kachagan. Profonds, riches en sulfure d’hydrogène et exposés à des conditions climatiques extrêmes, ces gisements kazakhs, qui totalisent plus de 70 % de la production nationale, nécessitent des opérations de maintenance régulières.

En octobre 2024, des travaux sur le champ de Kachagan ont réduit la production quotidienne de 60 %, contribuant à une baisse nationale de 13 %. Cette instabilité complique la négociation de nouveaux contrats d’approvisionnement et dissuade certains acheteurs, souligne The Diplomat. Un manque à gagner considérable pour l’État kazakh en termes de recettes pétrolières, qui ne capte déjà qu’une part réduite des bénéfices de son propre pétrole.

Peu de marge de manœuvre sur l’exportation 

Faute de capacités financières suffisantes, le Kazakhstan a fait appel à des multinationales pour exploiter ses gisements. Contrairement à l’Arabie saoudite, où la compagnie nationale Saudi Aramco chapote l’ensemble du secteur pétrolier, le Kazakhstan est tributaire des majors étrangères, qui captent une part importante des recettes via des contrats de partage de production (PSA). Chevron et ExxonMobil détiennent ainsi 75 % du champ de Tenguiz, contre 20 % pour la compagnie nationale KazMunayGaz (KMG). Kachagan, quant à lui, est géré par un consortium réunissant Eni, Shell, TotalEnergies, ExxonMobil, KazMunayGaz, Inpex et China National Petroleum Corp.

Le partage des ressources avec les majors génère des tensions et retarde le développement du secteur énergétique. En 2023, le gouvernement avait engagé des procédures d’arbitrage contre les consortiums exploitant Kachagan et Karatchaganak, leur réclamant respectivement 13 milliards (12 milliards d’euros) et 3,5 milliards de dollars (3,2 milliards d’euros), rappelle le média ouzbek Daryo. En 2024, la pression est montée d’un cran quand le Kazakhstan a demandé 160 milliards de dollars (149 milliards d’euros) aux gérants de Kachagan, invoquant la sous-performance du champ par rapport aux prévisions initiales de production.

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Tant que la production pétrolière sera sous contrôle des majors, le Kazakhstan ne pourra pas choisir librement la destination de son pétrole. La majorité du brut extrait dans les grands gisements du pays est du CPC Blend, une variété transitant exclusivement par l’oléoduc de la Caspienne, géré par la Russie. En 2023, 56 millions de tonnes ont été exportées par cette voie, tandis que les volumes de KEBCO, conçu pour se démarquer du brut russe, restent marginaux. Cette situation enferme le Kazakhstan dans une double dépendance : soumis aux décisions des majors internationales sur son propre sol, il est également tributaire du réseau d’exportation contrôlé par son puissant voisin.

Le transit par la Russie refroidit les acquéreurs potentiels

Or, le Kremlin ouvre et ferme les vannes de l’oléoduc de la Caspienne quand bon lui semble. Selon Vladislav Inozemtsev, dans une note pour l’Institut français des relations internationales (IFRI), le Kremlin a utilisé l’oléoduc de la Caspienne comme moyen de pression en 2022, paralysant temporairement les exportations de pétrole kazakh après qu’Astana a manifesté son intention de respecter les sanctions occidentales.

Cette ingérence s’étend aux exportations via l’oléoduc Droujba, propriété de la société publique russe Transneft. En 2023, les livraisons de pétrole kazakh à l’Allemagne par cette voie ont été irrégulières et en dents de scie, atteignant seulement 83 % des volumes initialement prévus.

L’incertitude pousse les acquéreurs à ne conclure que des contrats de court terme avec le Kazakhstan. L’Allemagne, par exemple, renégocie son approvisionnement tous les six mois pour limiter les risques liés aux décisions unilatérales de Moscou. Même livrées, les hydrocarbures kazakhes attisent la méfiance des acquéreurs.

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À la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, les douanes polonaises refusent de laisser entrer le gaz de pétrole liquéfié (GPL) kazakh, sous-produit du pétrole brut, soupçonné de servir à contourner les sanctions européennes contre la Russie. Oleg Tchervinskiy, analyste et éditeur du magazine Petroleum au Kazakhstan, souligne dans les colonnes du média kazakh Orda que les craintes de voir de l’énergie russe réexportée sous l’étiquette kazakhe freinent les acheteurs potentiels.

En 2025, le Kazakhstan reprend le contrôle de son secteur énergétique…

Las d’avoir pieds et poings liés par la Russie, l’OPEP et les majors, le chef d’État Kassym-Jomart Tokaïev a présenté sa stratégie d’autonomisation et d’expansion du secteur énergétique lors d’une réunion étatique le 28 janvier dernier.

En 2025, le Kazakhstan défie l’OPEP : le pays prévoit de produire 96,2 millions de tonnes de pétrole et de condensats, dépassant de 1,5 million de tonnes son quota. Pour le média kazakh The Astana Times, l’analyste Andrei Tchebotarev explique le désalignement des intérêts économiques kazakhs avec ceux du cartel : « Le Kazakhstan aura du mal à limiter sa production avec l’extension de Tenguiz, qui devrait porter sa part dans l’offre mondiale de pétrole brut à 1 %. » L’expansion du champ de Tenguiz, un projet de 49 milliards de dollars (45 milliards d’euros), devrait porter la capacité de production nationale à un million de barils par jour d’ici juin 2025.

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Au-delà des exportations traditionnelles de KEBCO et du CPC Blend, le pays mise sur le pétrole de schiste, dont la production et l’exportation commenceront en 2025. Si les acheteurs potentiels restent inconnus, ce nouveau projet représente une opportunité pour Astana de négocier des contrats plus favorables que ceux conclus avec les majors dans le secteur du pétrole conventionnel. Le ministre de l’Énergie, Almasadam Satkaliev, a d’ailleurs averti que la prolongation des contrats avec les majors se fera sous de nouvelles conditions, avec un rééquilibrage des parts en faveur du Kazakhstan, une amélioration des termes ou un changement d’opérateurs.

Enfin, le pays accélère la diversification de ses routes d’exportation. En 2024, 1,4 million de tonnes de brut ont transité vers l’Europe via l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, unique route terrestre directe contournant la Russie. Un volume qu’Astana espère porter à 20 millions de tonnes par an, réduisant progressivement sa dépendance aux infrastructures russes.

Au prix d’une libéralisation de son marché domestique

Pour financer l’expansion de son secteur énergétique, le Kazakhstan mise sur une hausse des recettes pétrolières. Le 17 janvier, le ministère de l’Énergie a proposé d’abroger 11 arrêtés encadrant les prix de l’essence, du diesel et du GPL, actuellement fixés par l’État à des niveaux inférieurs à leurs coûts de production.

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Avec un litre d’essence à 37 centimes d’euro et un litre de diesel à 54 centimes, contre 1,15 euros en moyenne sur les marchés mondiaux, le Kazakhstan figure parmi les pays où l’énergie est la moins chère, rappelle The Times of Central Asia. Un tel écart de prix encourage les routiers étrangers à faire le plein dans les stations kazakhes ainsi que les exportations illégales vers les pays voisins. Ces exportations « grises » réduisent les recettes que l’État perçoit sur les transactions officielles et entraînent des pénuries régulières dans les stations, privant les nationaux de carburant.

Des augmentations de prix progressives

Avec la réforme, Astana espère aligner ses prix sur ceux des pays voisins afin de limiter la fuite du carburant et d’assurer l’approvisionnement du marché intérieur. Les recettes générées par la hausse du prix de vente contribueront, selon le ministère, à « stimuler la modernisation de l’industrie du raffinage du pétrole, créer de nouveaux emplois et attirer des investissements à long terme ».

Cette initiative rappelle la tentative de libéralisation du marché du GPL en 2022, qui avait conduit au « Janvier sanglant ». À l’époque, la suppression des prix réglementés avait provoqué un doublement du prix du GPL en quelques jours, déclenchant des manifestations dans l’Ouest du pays. Le mouvement avait dégénéré en émeutes meurtrières.

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Pour éviter des contestations similaires, le gouvernement se veut rassurant : cette fois, la hausse des prix sera progressive et encadrée, a affirmé le ministre de l’Énergie, cité par Tengrinews. Seuls l’essence et le diesel verront leurs tarifs augmenter dès février 2025, tandis que le prix du gaz suivra cet été.

Manon Madec
Rédactrice pour Novastan

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