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Les Kazakhs appelés à se prononcer sur le recours au nucléaire civil

Dimanche 6 octobre prochain, le Kazakhstan soumet au référendum la construction d'une centrale nucléaire. Le premier producteur mondial d'uranium cherche à réduire sa dépendance au charbon, entre impératif économique et sécurité énergétique.

Centrale nucléaire Kazakhstan referendum
Au Kazakhstan, un référendum sur la construction d'une centrale nucléaire (illustration). Photo : Sanvi Ahmed Saim / Wikimedia Commons.

Dimanche 6 octobre prochain, le Kazakhstan soumet au référendum la construction d’une centrale nucléaire. Le premier producteur mondial d’uranium cherche à réduire sa dépendance au charbon, entre impératif économique et sécurité énergétique.

Le référendum portant sur la construction d’une centrale nucléaire au Kazakhstan se tiendra le 6 octobre prochain. Le président Kassym-Jomart Tokaïev en a fait l’annonce le 2 septembre dernier, lors de son discours annuel sur l’état de la nation devant le Parlement. La possibilité d’un recours à l’atome pour la production d’électricité au Kazakhstan avait été évoquée par Kassym-Jomart Tokaïev en juin 2019, quelques jours après son accession à la présidence, et le recours au référendum pour trancher la question avait été mentionné à cette occasion, rapportait alors l’agence de presse kazakhe Tengrinews.

« Le développement économique est impossible sans un approvisionnement énergétique stable. Par conséquent, j’ai demandé d’étudier la question de la construction d’une centrale nucléaire. Il y a actuellement un large débat et différents points de vue qui s’expriment », rappelait-il en juin dernier lors d’un discours prononcé à l’occasion d’une remise des prix aux professionnels des médias. « Le pays dispose de grandes possibilités de développement concernant l’énergie nucléaire, il est important de les exploiter correctement et efficacement. La décision finale sur cette question sera prise par le peuple », avait-il poursuivi.

« Êtes-vous d’accord avec la construction d’une centrale nucléaire au Kazakhstan ? » est la question soumise à la population, telle qu’elle figure dans le décret présidentiel signé le 2 septembre.

Le 3 septembre dernier, la Commission centrale référendaire du Kazakhstan (ORK) a organisé une conférence de presse afin de présenter les modalités d’organisation du scrutin, rapportait Radio Azattyq, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe. Plus de 10 000 bureaux de vote, dont 78 à l’étranger, seront ouverts de 7h à 20h pour accueillir les plus de 12 millions de personnes autorisées à voter. L’organisation du référendum coûtera 15,5 milliards de tenges (28 millions d’euros), a précisé l’ORK.

La demande d’électricité est en hausse

En diversifiant son mix énergétique avec le recours au nucléaire civil, le Kazakhstan cherche à réduire sa dépendance aux énergies fossiles, diminuer ses émissions de carbone et atténuer la pollution de l’air. Il s’agit également de garantir un approvisionnement stable, alors que la demande d’électricité est en hausse, poussée par une croissance démographique, une économie dynamique, mais aussi par le minage des cryptomonaies, une industrie énergivore dont le Kazakhstan est devenu une plaque tournante.

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Lors d’une réunion gouvernementale en août dernier, le ministre de l’Énergie, Almasadam Satkaliev, a rappelé que la production d’électricité au Kazakhstan provenait encore à 66 % des centrales au charbon. Et si le secteur des énergies renouvelables est en croissance, pesant pour environ 6 %, grâce à l’impulsion donnée notamment par l’objectif de neutralité carbone d’ici 2060, « il n’y a pas, au stade actuel, d’alternative aux centrales nucléaires » pour le pays, selon le ministre.

« Les institutions financières internationales refusent d’investir dans la construction de centrales au charbon. Nos ressources en gaz sont limitées. Les énergies renouvelables ne peuvent pas garantir une source fiable de production d’électricité, en raison de leur dépendance aux conditions naturelles et climatiques », justifie le ministre, entre impératif économique et urgence climatique.

Des pics de consommation

En Asie centrale, région éloignée de toutes les mers, le climat est continental. L’été y est chaud, et l’hiver froid et long. Ces conditions entraînent des pics de consommation d’électricité.

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Selon les calculs, d’ici 2035, la production d’électricité au Kazakhstan devrait diminuer, jusqu’à moins de 135 milliards de kilowattheures. Or, selon les prévisions ministérielles, sur la même période, la consommation d’électricité devrait, elle, atteindre jusqu’à 152,4 milliards de kilowattheures. Il y a donc nécessité à agir rapidement, d’autant que le Kazakhstan, comme l’ensemble de la région, est déjà confronté à des pénuries régulières. Si le « oui » l’emporte, la centrale nucléaire devrait, selon les calculs, couvrir 12 % de la consommation d’ici 2035.

L’héritage nucléaire soviétique

Les partisans du « oui » arguent que le Kazakhstan réunit toutes les conditions favorables au développement de l’énergie nucléaire. Et en premier lieu son combustible, l’uranium, dont le pays regorge. En 2022, 43 % de l’uranium mondial était extrait du sol kazakh, selon l’Association nucléaire mondiale.

Le pays avait été choisi pour héberger la Banque d’uranium faiblement enrichi (UFE) de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), inaugurée en 2017 sous la présidence de Noursoultan Nazarbaïev. Située à l’usine métallurgique d’Oulba, à Öskemen, dans l’Altaï kazakh, elle a pour fonction de garantir un approvisionnement sûr et stable, en conservant jusqu’à 90 tonnes d’uranium faiblement enrichi à disposition des États membres de l’AIEA.

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Mais le passif du nucléaire reste lourd au Kazakhstan. C’est sur le site de Semipalatinsk, dans la région d’Abaï, dans le Nord-Est de la République socialiste soviétique kazakhe, que l’Union soviétique procède en août 1949 à l’essai de sa première bombe A. Entre 1949 et 1989, quelques 476 tests nucléaires seront réalisés. De quoi affecter au moins 1,3 million de personnes vivant dans les zones environnantes, rapporte le média kazakh Vlast.

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Au lendemain de son indépendance, le Kazakhstan hérite du quatrième arsenal nucléaire mondial, qu’il transférera en avril 1995 à la Fédération de Russie.

Une opinion publique concernée

Les derniers sondages révèlent un intérêt certain du public. Dans une enquête publiée le 22 août par l’Institut kazakh des études stratégiques, réalisée du 7 au 18 août dernier par téléphone auprès de 1 200 personnes âgées de 18 ans et plus, 53,1 % des personnes interrogées se déclaraient favorables à la construction d’une centrale nucléaire au Kazakhstan. 42,6 % des personnes interrogés exprimaient leur intention de participer au référendum, et 51 % des répondants s’estimaient suffisamment informés pour pouvoir faire leur choix, rapporte Astana Times.

Un autre sondage rendu public le 20 septembre dernier par l’agence de presse Kazinform, et cette fois conduit auprès de 8 000 personnes par l’Institut kazakh d’études stratégiques, révèle que 59,2 % des répondants expriment une volonté de participer au référendum, rapporte Astana Times. La majorité des personnes interrogées se dit favorable au projet, 38 % des personnes interrogées soutiennent sans réserve, 21,6 % soutiennent la construction. 15,8 % des personnes interrogées se déclarent opposées à la centrale, et 9,1 % des répondants se disent encore indécis.

Les personnes interrogées se disent principalement (49,5 %) concernées par l’impact de la centrale sur la santé publique. Les préoccupations environnementales suivent de près (42,9 %), et 22,8 % des répondants se disent inquiets des mesures de préparation en cas de catastrophe. Par ailleurs, 18,6 % des répondants disent s’interroger sur l’élimination des déchets radioactifs.

Toutefois, Radio Free Europe rapporte qu’à plusieurs reprises, des opposants au projet ont été empêchés de participer aux débats publics, organisés dans une vingtaine de villes à travers tout le pays. « De la propagande, pas un débat », selon des militants, qui dénoncent que les discussions ne mettent en avant que les avantages de la centrale nucléaire. À Almaty, un hôtel qui devait accueillir en septembre une réunion organisée par un groupe opposé au projet a annulé l’événement quelques jours auparavant, officiellement pour fermeture de l’hôtel.

Il reste des questions sans réponses

En cas de victoire du « oui », il n’y aucun suspense sur le lieu choisi pour accueillir la centrale. Le village d’Oulken, sur les rives du lac Balkhach, plus grand lac du pays et second lac d’Asie centrale, a été publiquement désigné par les autorités kazakhes. La construction de la centrale, dont le coût est estimé à entre 10 et 12 milliards de dollars (entre 8 et 10 milliards d’euros), selon le média ouzbek Daryo, pourrait prendre une décennie.

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Une inconnue demeure toutefois concernant le pays partenaire pour aider le Kazakhstan à construire cette centrale. Sauf surprise, il devrait être désigné parmi la Chine, la Corée du Sud, la France et la Fédération de Russie. Les rumeurs laissent entendre que l’entreprise russe Rosatom est la plus susceptible de remporter le contrat. Et ce point crispe au Kazakhstan, alors que l’ancienne puissance tutélaire exploite déjà le site spatial de Baïkonour.

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Pour Aset Naouryzbaïev, économiste et ancien responsable du réseau qui gère la distribution d’électricité au Kazakhstan, un réacteur construit par la Russie au Kazakhstan serait une atteinte à la politique étrangère multivectorielle pratiquée par le Kazakhstan. Astana, bordée par les deux géants que sont la Russie et la Chine, s’est donné pour politique de veiller à équilibrer ses relations diplomatiques afin qu’aucune n’exerce une influence susceptible d’orienter ses choix politiques. « En construisant sa propre centrale nucléaire ici, la Russie sera en mesure de garder le Kazakhstan dans sa zone d’influence. Elle utilisera certainement un effet de levier lorsque cela sera nécessaire », craint Aset Naouryzbaïev, cité par Eurasianet.

L’entreprise choisie pour la construction de la centrale sera annoncée après le référendum, ont simplement fait savoir les autorités, sans donner de détails. Les modes de financement de la centrale (fonds publics, investissements privés, prêts internationaux) n’ont pas davantage été abordés.

Eléonore Darasse
Rédactrice pour Novastan

Relu par Elise Medina

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