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Aux portes de l’univers : entretien avec le directeur de l’Institut kazakh d’astrophysique

Situé dans l’ancienne capitale et le cœur économique du Kazakhstan, l’Institut d’astrophysique Fesenkov est l’exemple même d’une institution qui a su s’adapter aux nouvelles évolutions scientifiques, dans un pays où l’enjeu de la recherche scientifique est de taille.

Rédigé par :

La rédaction 

Edité par : efages

Traduit par : scombaret

The Village

Kazakhstan observatoire astrophysique Almaty
L'observatoire kazakh d'astrophysique. Photo : The Village.

Situé dans l’ancienne capitale et le cœur économique du Kazakhstan, l’Institut d’astrophysique Fesenkov est l’exemple même d’une institution qui a su s’adapter aux nouvelles évolutions scientifiques, dans un pays où l’enjeu de la recherche scientifique est de taille.

À Almaty, l’Institut d’astrophysique Fesenkov (AFIF) fonctionne depuis 1950. Le média kazakh The Village a pu discuter avec Gengis Omarov, docteur en sciences physiques et mathématiques, directeur de l’Institut. Il a évoqué des sujets tels que l’astronomie au Kazakhstan et en URSS, le travail de l’Institut et des observatoires, ainsi que ses projets d’avenir, dont notamment l’entrée d’un objet en orbite lunaire.

L’institut astrophysique dispose de trois observatoires : l’un est situé sur le plateau de Kamenskoïe à Almaty ; un autre, le Tien Shan, près du Grand Lac d’Almaty. Le plus élevé, Asy-Tourgen, est situé à 100 kilomètres au Sud-Est d’Almaty.

Aujourd’hui, cette organisation est subordonnée au Comité aérospatial du ministère du Développement numérique et de l’Innovation de l’Industrie aérospatiale. Les recherches actuelles de l’observatoire sont centrées sur les problématiques de l’espace proche ou lointain. Le texte qui suit est le témoignage de Gengis Omarov.

Des thématiques et des objectifs aux contours bien précis

Depuis la création de l’institut, l’astrophysique observationnelle a été notre principale activité de recherche. Depuis 1957, année du lancement du premier satellite terrestre, nous avons également commencé à observer l’espace proche : les satellites d’observation et les débris spatiaux. Aujourd’hui, le Kazakhstan compte cinq satellites : deux géostationnaires, deux de télédétection et un scientifique et technologique.

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L’une des principales missions est d’assurer la sécurité. Aujourd’hui, l’espace est encombré de vaisseaux spatiaux et de débris. La probabilité de collision entre satellites ou avec des débris spatiaux est très élevée. Nous devons donc suivre nos satellites et prévoir les approches dangereuses d’autres engins et débris. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Un institut qui perce les mystères du ciel

Nous observons également d’autres objets. Comètes, astéroïdes, noyaux galactiques actifs et amas globulaires font partie des phénomènes suivis de près. En fait, nous observons aujourd’hui tous les objets de l’univers.

Nous développons également des connaissances théoriques en astrophysique très pointues, notamment en dynamique stellaire, cosmologie et astrophysique computationnelle. Aujourd’hui nous disposons de l’un des superordinateurs les plus puissants du Kazakhstan, sur lequel nous modélisons divers processus dans l’univers et la galaxie. Ce super outil est aussi utilisé pour la conservation et le traitement des données.

Kazakhstan observatoire astrophysique Almaty
L’observatoire prend part à de nombreux projets internationaux (illustration). Photo : The Village.

En effet, chaque nuit, nos télescopes génèrent des dizaines de gigabits de données, et nous devons non seulement les conserver, mais aussi les traiter.

Une ouverture vers la collaboration internationale

L’un des observatoires les plus prometteurs aujourd’hui est celui d’Asy-Tourgen. Au cours des quatre dernières années, l’Institut a créé un système de surveillance de l’espace au Kazakhstan pour observer le cosmos proche. En parallèle, son équipe dynamique est en train de créer un hub international d’astronomie pour réunir dans cet observatoire les télescopes kazakhs et étrangers pour des observations conjointes ainsi que pour l’échange d’expériences et de données.

Ce pôle astronomique international est en cours de création sur la base de l’observatoire Asy-Tourgen, de l’Université Nazarbaïev et du Laboratoire Berkley aux États-Unis. Un télescope de l’observatoire de Poulkovo est également présent. Cette année, nous installons un télescope d’une entreprise française.

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Aujourd’hui, des pays comme la Pologne, l’Inde, la Chine et tant d’autres témoignent leur intérêt pour ce projet. Ils souhaitent également mettre en place des télescopes optiques dans l’observatoire d’Almaty. Ce dernier est maintenant en voie de devenir un pôle international.

L’adhésion à des réseaux scientifiques en construction

Par ailleurs, l’Institut mène actuellement des travaux préliminaires à la création d’un centre régional, afin d’instaurer un système de surveillance de l’espace sous l’égide de l’ONU. L’idée de réunir les pays centrasiatiques et leurs voisins géographiques les plus proches se met en place. Il pourrait s’agir de l’Inde, de la Chine et de la Russie.

En 2012, l’Institut est devenu membre de l’Union astronomique internationale, ce qui lui octroit le droit de participer à toutes les conférences et évènements internationaux. Trois ans auparavant, l’observatoire avait rejoint l’Alliance internationale des observatoires virtuels et le Réseau international sur les risques liés aux astéroïdes (IAWN).

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Preuve d’une volonté de se connecter à divers réseaux internationaux, l’Institut participe à toutes les campagnes internationales pour l’observation des mouvements survenant dans le cosmos. Par exemple, en 2022, il a observé une collision expérimentale entre une sonde spatiale de la NASA et l’astéroïde Dimorphos dont l’objectif était de détourner l’orbite de l’astéroïde.

Une technologie est actuellement en cours de développement pour modifier la trajectoire de l’astéroïde au cas où celui-ci représenterait un danger pour la Terre. Cette expérience était la première de ce type, et a été rendue possible par l’observatoire d’Asy-Tourgen. Les spécialistes de l’observatoire ont enregistré et publié les données d’observation, qui ont été très appréciées par la NASA.

Un observatoire rythmé par des partenariats lointains

Des recherches avec l’Université de Heidelberg, l’Observatoire astronomique national de Chine et l’Université de Caroline du Nord sont en cours. L’un des événements majeurs de la dernière décennie a été la découverte des ondes gravitationnelles en 2016, à laquelle nous avons participé.

Cette découverte a été faite par l’étude de la fusion d’un trou noir ou d’une étoile à neutrons. Elle a confirmé la théorie d’Albert Einstein selon laquelle les ondes gravitationnelles modifient l’espace et le temps. Les travaux de nos astronomes ont été publiés dans la revue scientifique américaine Nature.

Kazakhstan observatoire astrophysique Almaty
L’observatoire fonctionne depuis 1950. Photo : The Village.

Dans le système international, afin d’avoir une image globale d’un engin spatial, il faut regrouper les données de tous les observatoires. L’observatoire d’Asy-Tourgen bénéficie d’une position privilégiée.

Des projets plein la tête

Géographiquement, il comble le vide du méridien entre les autres observatoires du monde. Alors que le soir est tombé en Amérique, ou que l’obscurité de la nuit plane sur les ciels européens, l’observatoire d’Asy-Tourgen peut effectuer des observations 24 heures sur 24.

Ces deux dernières années, les équipes très motivées de l’Institut se sont attelées, en collaboration avec l’entreprise Ghalam, à la création du premier télescope orbital lunaire du Kazakhstan. Ce projet est actuellement à l’étape de la conception, après quoi débutera la création d’un prototype de télescope. Il sera créé au Kazakhstan et permettra de collecter des données, non seulement de la Lune, mais aussi des données indisponibles sur Terre.

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Par exemple, en 2013, une météorite est tombée à Tcheliabinsk. Elle provenait du Soleil, et personne n’a pu la voir à l’avance. Un télescope circumlunaire permettra d’observer les objets qui s’éloignent du Soleil.

Nous prévoyons également d’observer la gestion du trafic spatial : les objets spatiaux en orbite lunaire, les appareils volant vers la Lune et les problèmes liés aux débris spatiaux déjà présents sur l’orbite lunaire. Le télescope lunaire contribuera à résoudre de nombreux problèmes stratégiques. Nous espérons le lancer en 2029-2030.

L’expérience personnelle de Gengis Omarov

J’ai travaillé dans l’astronomie et l’astrophysique pratiquement toute ma vie. J’ai pendant un certain temps travaillé en Allemagne à l’Institut d’astronomie computationnelle de l’Université de Heildelberg. En Amérique, j’ai travaillé et étudié à l’Université internationale du cosmos. J’ai consacré toute ma vie à l’astronomie, à l’astrophysique et à la recherche spatiale.

Mes parents m’ont insité à devenir astronome. L’environnement dans lequel j’ai grandi et les gens que j’ai cotoyés ont contribué à façonner cette passion. Je suis né ici, à l’observatoire. Mes parents m’emmenaient avec eux au travail et j’ai fait la connaissance d’un astrophysicien réputé mondialement, Viktor Amazaspovitch Ambartsoumyan. J’avais à peine 8 ans, mais il m’inspirait déjà grandement.

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Je pense que quiconque a levé la tête au moins une fois le soir – et ici, quand on lève la tête, on voit les étoiles – a voulu savoir dans quel monde nous vivons. Si je ne suis pas fan de science-fiction, et pourtant je m’intéresse à la littérature scientifique et fictionnelle. Il est important de connaître les lois qui régissent l’univers et de rechercher de nouvelles connaissances.

Dans les 25 prochaines années, j’aimerais que le projet de création d’un pôle astronomique international à l’observatoire d’Asy-Tourgen se concrétise. J’aimerais qu’il devienne un centre international d’astronomie et d’astrophysique, tant pour le Kazakhstan que pour d’autres pays. J’aimerais y installer un grand télescope : un miroir d’au moins trois à quatre mètres de diamètre. Je serais heureux que, dans 25 ans, l’observatoire astronomique d’Asy-Tourgen devienne l’un des meilleurs au monde. Je pense que c’est la mission principale de tout notre institut.

Aliya Khamidoullina
Journaliste pour The Village

Traduit du russe par Sophie Combaret

Édité par Emma Fages

Relu par Léna Marin

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