Au Kazakhstan, un groupe de passionnés soigne des tortues des steppes avant de les relâcher dans la nature. Malgré leur rôle important dans l’écosystème, elle ne sont que peu protégées.
La tortue de Horsfield vit dans les steppes et les déserts d’Asie centrale. Cette espèce est classée vulnérable : elle risque de passer en phase d’extinction, en majeure partie à cause de l’Homme. Les tortues sont souvent victimes de braconnage ou atterrissent dans les tranchées creusées par les fermiers autour des champs.
Un groupe de bénévoles au Kazakhstan vient en aide aux tortues de Horsfield, aussi appelées tortues des steppes. Ils espèrent ainsi sensibiliser l’opinion publique sur les tortues et préserver leur population.
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Une proie facile
« Tout a commencé subitement : mon mari a trouvé une tortue dans l’un des parcs d’Astana et l’a ramenée à la maison », raconte Ioulia Tsaougg, créatrice de la fondation. « Nous nous sommes mis à lire des ouvrages spécialisés afin de savoir comment lui aménager des conditions de vie adéquates, et nous en avons conclu que c’était très coûteux, encombrant, et que la plupart des gens qui adoptent des tortues ne font aucun effort pour les entretenir, faute de quoi les animaux meurent finalement lentement en appartement. »
Ioulia Tsaougg et son époux ont également appris que ces animaux rencontrent de nombreux problèmes dans la nature. Outre le fait qu’ils vivent dans des conditions météorologiques extrêmes et sont une proie facile pour bon nombre de prédateurs, les facteurs anthropiques diminuent aussi leur population.
« Récupérez notre tortue, elle ne bouge plus »
Selon Ioulia Tsaougg, vu leur lenteur, les tortues sont une proie facile pour les braconniers, qui les envoient à l’étranger en grandes cargaisons ou les vendent au Kazakhstan comme animaux de compagnie via des sites d’annonces. Il existe aussi des soupes à la viande de tortue et certains fabriquent des cendriers et des coffrets avec leur carapace.
« Toute l’activité de notre fondation repose sur quatre femmes : moi, ensuite Zarina, qui dirige la plus grande partie du centre de réhabilitation à Almaty, Elizaveta, qui a aménagé un centre chez elle, et Ksenia, une vétérinaire qui a beaucoup d’expérience avec les tortues », énumère Ioulia Tsaougg.
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Tasbaga possède un cabinet vétérinaire à Astana, avec des terrariums spécialement équipés. Parfois, il est nécessaire d’envoyer les tortues d’Almaty à Astana, dans les cas où l’animal a besoin d’une opération ou d’être nourri par sonde. La fondation héberge des tortues issues de tout le Kazakhstan, généralement lorsqu’elles tombent malades. « Les gens nous téléphonent et nous disent : Récupérez notre tortue, elle ne bouge plus », raconte Ioulia Tsaougg.
Selon les données des zoologues, la tortue de Horsfield joue un rôle immense dans l’écosystème des steppes, des déserts et des semi-déserts. Elle représente un maillon important de la chaîne alimentaire et s’inscrit dans l’alimentation de plus de 35 types d’animaux, notamment d’espèces menacées.
Une interdiction de chasse tardive
« À l’époque soviétique, on pensait que les tortues des steppes consommaient trop d’herbe, et qu’à cause d’elles, les animaux domestiques ne se nourrissaient pas assez. En vérité, les tortues mangent les plantes qui sont toxiques pour le bétail. On a décidé d’exterminer les tortues : on leur jetait des pierres, on les donnait en pâture aux chiens, on les vendait vers l’étranger », raconte Ioulia Tsaougg.
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Par conséquent, leur population s’est tellement réduite que la catastrophe écologique n’était pas loin. Ce n’est qu’en 2001 qu’il a été interdit de les chasser.
« Entretenir une tortue, c’est un plaisir coûteux »
L’Almataise Elizaveta Vitouleva, l’une des quatre membres de la fondation Tasbaga – qui n’y travaille plus aujourd’hui – vit dans une maison privée, où elle a tout un zoo : un rottweiler, un maine coon, des poules et beaucoup de tortues.
Des dizaines de tortues se réchauffent sous une lampe à ultraviolets dans un petit enclos en bois. Ce sont ses « locataires » : des tortues que les gens achètent ou ramassent dans les steppes comme animaux de compagnie et dont ils se débarrassent rapidement une fois qu’elles tombent malades ou qu’ils se sont lassés d’elles.
« En vérité, entretenir une tortue, c’est un plaisir coûteux », explique Elizaveta Vitouleva. « En plus de l’enclos, elles ont obligatoirement besoin de grandes lampes à ultraviolets qui coûtent cher et qu’il faut changer tous les trois mois. Il faut veiller à maintenir la même température dans l’enclos, ne surtout pas les laisser sur le sol froid, dans une boîte ou sous un radiateur : c’est la mort assurée. »
Elizaveta Vitouleva souligne que les tortues ne sont pas faites pour la vie en appartement : « Elles font du bruit car leur instinct de creuser des trous est très développé. Elles sont sales car elles ont besoin d’eau en permanence, mais si l’on pose une gamelle dans leur terrarium, elles la renverseront tout le temps. Il faut les toiletter minimum 40 à 50 minutes tous les deux à trois jours. Il faut changer l’eau pendant leur bain, car dès qu’on les y plonge, elles commencent à se soulager ; c’est leur instinct. »
Une alimentation variée difficile à reproduire en captivité
Les tortues ont aussi besoin d’une alimentation variée, de vitamines et de minéraux. Dans son habitat naturel, l’alimentation de la tortue de Horsfield comporte jusqu’à 180 variétés de plantes. Même les zoologues ont du mal à recréer un tel « menu » dans des conditions domestiques, sans parler de ceux qui possèdent des tortues pour le loisir.
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« Celle-ci, j’ai passé l’hiver à la soigner », dit Elizaveta Vitouleva en sortant de la boîte une petite tortue. « J’avais perdu tout espoir quant à sa survie : elle ne mangeait plus, ne buvait plus, était incapable de se pencher sur sa nourriture en autonomie, car elle avait du mal à s’orienter dans l’espace. Sûrement à cause de sa commotion. Je la nourrissais à la main : matin et soir, je la gavais littéralement. »
« Nous connaissons déjà la plupart des braconniers en personne »
Cabar s’est rendu dans les steppes avec Elizaveta Vitouleva pour libérer un groupe de tortues qui avaient achevé leur réhabilitation et étaient prêtes à rejoindre leur milieu naturel.
Vladimir, son mari, l’aide à secourir les tortues. Les époux embarquent la boîte chargée de reptiles dans le coffre de leur voiture et se mettent en route. Durant le trajet, Elizaveta Vitouleva raconte comment les bénévoles cherchent les tortues sur des sites d’annonces de particuliers, où les animaux ne sont pas seulement vendus par des gens les ayant trouvés par hasard dans les steppes, mais aussi par des braconniers qui en ont fait un business à part entière.
La tortue de Horsfield n’étant pas inscrite sur la Liste rouge du Kazakhstan, les braconniers ne risquent qu’une amende. En revanche, s’ils essaient d’envoyer les tortues à l’étranger, en grande cargaison qui plus est, il s’agit alors d’un acte criminel avec une peine de prison prévue à cet effet.
« Nous connaissons déjà la plupart des braconniers en personne, et nous essayons de collaborer avec la police et le bureau du procureur pour l’environnement », dit Elizaveta Vitouleva. « Les braconniers du dimanche, c’est ceux qui ramassent une tortue, jouent un temps avec, puis décident de la vendre une fois qu’ils se lassent. Ces tortues-là, que nous allons relâcher dans la nature aujourd’hui, se sont retrouvées chez nous par hasard : un jeune homme nous a appelés et prétendait qu’il les avait prises à des enfants. Il nous a ramené huit tortues : sept mâles et une femelle. »
Les tortues ensuite libérées dans la nature
Selon elle, les mâles faisaient la cour à la femelle et lui tournaient autour, et tous avaient été ramassés au même endroit. Le jeune homme avait dit qu’en entrant dans une animalerie, il avait aperçu l’annonce de Tasbaga et avait décidé de rendre leur liberté aux tortues.
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« Il a sans doute traîné ces tortues à l’animalerie pour les vendre, mais en voyant notre prospectus, il a eu peur de l’amende et a décidé de rendre les tortues légalement », suggère Elizaveta Vitouleva.
Il faut relâcher les tortues dans un endroit isolé au maximum afin qu’elles ne soient pas à nouveau victimes de braconniers ni ne tombent dans une énième tranchée creusée par les fermiers. Il est impossible de trouver un tel endroit autour d’Almaty : il faut s’éloigner à plus de 100 kilomètres de la ville.
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Il est difficile de qualifier le processus de libération des tortues de spectaculaire : les animaux sont simplement extraits de leur boîte, déposés dans l’herbe, puis, après un moment d’adaptation, ils commencent à ramper dans toutes les directions.
Eduquer les enfants pour que les tortues ne deviennent pas des jouets
Pour protéger ne serait-ce qu’a minima les tortues d’une nouvelle capture par les braconniers, Elizaveta Vitouleva a laissé des marques rouges sur leur carapace : ces animaux sont ainsi placés sous la surveillance d’écologistes et les retirer de la nature entraînera une punition.
Les tortues de Horsfield n’hibernent pas qu’en hiver, mais aussi pendant l’été, afin de se protéger de la chaleur. C’est pour cela qu’en avril-mai, les steppes regorgent de tortues : elles doivent non seulement reprendre suffisamment de poids après l’hibernation, mais aussi se reproduire. Une fois toutes les tortues libérées, Elizaveta Vitouleva se met en quête d’autres tortues qui pourraient avoir besoin d’aide. En une demi-heure, la jeune femme en trouve plusieurs. L’une des tortues a la carapace abîmée, et des fourmis dont il faut se débarrasser au plus vite ont déjà envahi la plaie.
L’équipée fait demi-tour. Elizaveta Vitouleva tient la tortue dans ses bras – c’est plus sûr et cela la tient au chaud – et parle des perspectives de la fondation. En avril dernier, Tasbaga a obtenu ses premiers financements : un premier pour le projet de protection des tortues face aux tranchées agricoles et un second à but éducatif, pour que les écologistes interviennent auprès des enfants, organisent des sorties dans les steppes pour relâcher les animaux dans la nature.
Les collaboratrices de Tasbaga estiment que travailler avec les enfants est primordial. Non seulement parce que ces animaux sont essentiellement attrapés pour être offerts aux enfants comme des jouets vivants, mais aussi car il faut former une attitude bienveillante envers la nature dès l’enfance.
Akhmet Isaïev
Journaliste pour Cabar Asia
Traduit du russe par Nataliya Matviychuk
Edité par Paulinon Vanackère
Relu par Léna Marin
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Vincent Gélinas, 2024-10-31
À lire les conditions très serrées nécessaires à leur survie, c’est à se demander comment il peut y avoir des tortues au Kazakhstan. Un pays sec, souvent trop froid ou trop chaud: qu’est-ce qu’une tortue fait là? Je ne serais pas surpris qu’elle s’éteignent même sans l’intervention de l’Homme.
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