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De Squeezie à Seb : comment l’Asie centrale est vue par YouTube France

L’Asie centrale est peu représentée dans les médias français, et YouTube ne fait pas exception. Cependant, les quelques évocations récentes de la région par des youtubeurs francophones aux millions de vues donnent l’occasion de se pencher sur la façon dont est abordée la question.

Seb Kirghizstan YouTube
Le youtubeur Seb s'est rendu au Kirghizstan. Capture d'écran de son documentaire Seb au Kirghizistan.

L’Asie centrale est peu représentée dans les médias français, et YouTube ne fait pas exception. Cependant, les quelques évocations récentes de la région par des youtubeurs francophones aux millions de vues donnent l’occasion de se pencher sur la façon dont est abordée la question.

Les youtubeurs Squeezie et Seb, anciennement Seb la frite, comptent parmi les rares personnalités de YouTube France à s’être intéressées à l’Asie centrale. Leurs vidéos permettent non seulement d’apporter la culture des pays de la région à un public francophone, mais également de comprendre le regard que posent généralement les Français sur ces pays.

Dans l’esprit occidental, l’Asie centrale est encore et toujours associée à l’ancienne URSS. Les « pays en -stan » sont d’ordinaire associés au mode de vie nomade, à la pauvreté qui sévit, ou encore aux régimes dictatoriaux. C’est justement sur ce dernier point que le youtubeur Squeezie se focalise dans sa vidéo Ce dictateur a vraiment existé, et on dirait une blague.

Une image avant tout politique

Le jeune français se penche sur la présidence de Saparmourat Niyasov – ou Turkmenbachy, « le père des Turkmènes », dictateur du Turkménistan de 1990 à sa mort en 2006.

Dès les premières secondes, Squeezie pose une image classique de l’Asie centrale : il part du principe qu’aucun de ses quelques 18,7 millions d’abonnés ne sait placer le Turkménistan sur une carte ni prononcer son nom, installant la vision d’un pays méconnu de tous.

Ensuite, le titre de la vidéo parle de lui-même : « on dirait une blague ». Au fur et à mesure que Squeezie raconte la présidence de Saparmourat Niyasov, il est lui-même surpris par le récit qu’il transmet, tant celui-ci lui semble inconcevable. Afin d’instaurer un culte de sa personnalité, le président turkmène a en effet mené de nombreuses actions que le youtubeur juge « loufoques, pathétiques » et même « complétement folles ».

La représentation d’un fossé entre les populations

Le youtubeur détaille entre autres les statues érigées en or, les affiches de gigantesques portraits, les rues renommées en l’honneur du président. Malgré quelques imprécisions et l’écueil des fake news dont le Turkménistan est spécialiste, les anecdotes données par le youtubeur émanent globalement d’un réel travail de recherches.

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Mais de ce point de vue, Squeezie montre à son public une Asie centrale totalement sous pression, et sans aucune liberté individuelle.

Le passé communiste reste ancré dans l’image renvoyée par le Turkménistan, tandis que le youtubeur ne montre rien de ce à quoi ressemble le quotidien des Turkmènes aujourd’hui. Aussi, en accentuant la vision d’une population soumise et d’un cadre de vie hostile, et en listant succinctement les prises de décisions de l’ancien dictateur que l’Occidental moderne croit impensables, la vidéo renforce la perception d’un faussé séparant les populations occidentales et centrasiatiques.

Des pays présentés comme ancrés dans leurs traditions

Aujourd’hui, les régimes politiques d’Asie centrale restent majoritairement autoritaires, et c’est peut-être la représentation la plus répandue de la région auprès des Français. Mais les pays qui la composent ne se réduisent pas simplement à cela.

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Pour établir une approche plus moderne de la vie en Asie centrale, Seb s’est rendu directement sur place, au Kirghizstan. A travers son expérience propre, le créateur de contenu a tenté de transmettre une vision différente de l’Asie centrale que celle de l’ancienne URSS, en s’appuyant sur les merveilles naturelles et les coutumes.

Dans son documentaire Seb au Kirghizistan, le youtubeur explore un glacier et se plonge dans les coutumes et légendes du pays, dont la plus connue est l’épopée de Manas, une œuvre littéraire orale.

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Le youtubeur s’attarde sur cette légende, qui se transmet oralement depuis plus de 1000 ans et a la particularité d’être l’un des contes les plus longs du monde, pouvant prendre plusieurs jours pour être relaté. Une région qui a su conserver un tel héritage apparait comme ancrée dans ses traditions.

Un choc des cultures

D’autres youtubeurs relativement connus ont eu la même approche, comme Daniil le russe. Dans sa vidéo Raisons de visiter le Kazakhstan, il pointe du doigt le choc culturel entre l’Asie centrale et l’Europe. Le youtubeur parle ainsi de « sujets sensibles », notamment en ce qui concerne le rapport aux animaux. Si en France il est de plus en plus mal vu de tuer les animaux, que ce soit pour les manger ou en faire des accessoires de mode, la viande reste un élément majeur de la culture kazakhe. Les Kazakhs sont de grands consommateurs de viande, notamment de cheval, utilisé pour le plat national bechbarmak.

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Il est également courant de tuer une chèvre uniquement pour s’en servir de balle, lors des tournois de kok-borou, un sport traditionnel nomade où les joueurs à cheval se disputent une carcasse décapitée. Aussi ces pratiques sont-elles parfois jugées arriérées, voire primitives ou violentes.

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Ici, si l’intervention de YouTube permet d’élargir les connaissances générales des Français sur l’Asie centrale, ce qui est montré ne cesse de creuser le fossé entre les deux cultures. Pour dernier exemple, Seb rappelle que la majorité des Kirghiz sont pro-russes. Une nouvelle qui ne peut passer inaperçue, puisqu’au moment de la sortie de la vidéo, la presse occidentale se concentre sur la guerre en Ukraine. Ce moment marque ainsi une culture politique bien différente entre les Français et les Kirghiz.

Une terre insolite et touristique

D’autres vidéos, comme celles du Grand JD ou de Cyrilmp4 qui sont tous deux partis explorer la partie abandonnée de la base spatiale de Baïkonour au Kazakhstan, ont vu le jour. Mais la plupart de ces vidéos évoquées sont majoritairement partie prenante d’un point de vue politique, historique, militaire ou anthropologique. Et quasiment toutes abordent le sujet de l’Asie centrale sous un point de vue insolite et peu représentatif du mode de vie de la région. Finalement, les préjugés des Français se trouvent souvent renforcés par ce qui est montré de l’Asie centrale.

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Les autres contenus disponibles sur YouTube abordant l’Asie centrale sont principalement des chaînes de séries documentaires comme Voyages au bout du monde. Mais celles-ci, étant des émissions de voyage, ont en commun de présenter la région comme une terre de trek, un lieu touristique à visiter.

Ce sont finalement des chaines moins connues qui peuvent offrir une autre approche. LaGéozone par exemple établit un World Tour sur le Tadjikistan qui met en lumière l’existence d’une culture plus moderne au travers de nombreux artistes et athlètes olympiques originaires du pays. Ainsi, la chaine rappelle au public que si l’Asie centrale est peu présente dans les médias, elle est pourtant bien active sur le plan international.

Une région à préserver

Cependant, Seb aborde un sujet commun à l’Asie centrale et au reste du monde : le réchauffement climatique. Il présente ainsi l’Asie centrale sous l’angle d’une terre à préserver. Dans son documentaire, le youtubeur explore un glacier et explique à son auditoire le phénomène de vidange brutale de lac glaciaire, un phénomène naturel qui provoque des inondations et qui s’intensifie avec le réchauffement climatique.

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En choisissant de sensibiliser sa communauté à la question environnementale, Seb cherche à créer une proximité, une réciprocité entre le quotidien européen et celui d’Asie centrale. Dans son documentaire, un scientifique remarque que « l’on protège ce que l’on aime et l’on aime ce que l’on connait » : en publiant sa vidéo sur une plateforme accessible à tous, le youtubeur tente d’informer le grand public et d’expliquer en quoi la distance géographique ne peut être un facteur d’ignorance.

Si la France ne connaît que très peu de choses de l’Asie centrale ou a une vision déformée de celle-ci, elle peut y remédier. Grâce à YouTube, il est possible de multiplier les sources d’informations. Mais parfois, cela ne suffit pas à pallier le manque de diversité.

Candice Vavon
Rédactrice pour Novastan

Relu par Charlotte Bonin

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