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Deux pays, deux styles : en quoi les approches de la migration économique de Douchanbé et de Bichkek se distinguent ?

Le Tadjikistan et le Kirghizstan sont deux fournisseurs importants de main d’œuvre pour la Russie. Si leurs migrants se heurtent souvent aux mêmes problèmes sur le territoire russe, les approches de Bichkek et de Douchanbé pour les résoudre ne sont pas toujours similaires.

Poutine Japarov Rahmon
Les présidents Sadyr Japarov, Vladimir Poutine et Emomali Rahmon. Photo : Radio Ozodi.

Le Tadjikistan et le Kirghizstan sont deux fournisseurs importants de main d’œuvre pour la Russie. Si leurs migrants se heurtent souvent aux mêmes problèmes sur le territoire russe, les approches de Bichkek et de Douchanbé pour les résoudre ne sont pas toujours similaires.

Les restrictions à différents niveaux visant les migrants en Russie se poursuivent. En plus de l’adoption de mesures plus sévères au niveau légal, les migrants ne cessent de se plaindre des refus d’entrée sur le territoire russe dans les aéroports et les points de passage terrestres. Le 2 août dernier, Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe, a rapporté que plus de 50 citoyens du Tadjikistan s’étaient vu refuser l’entrée sur le territoire russe à l’aéroport Cheremetevo de Moscou. Les migrants avaient alors expliqué qu’ils n’avaient pas pu contacter les représentants du consulat du Tadjikistan qui devaient les aider.

Alors que les officiels du Tadjikistan affirment que la pression sur les migrants n’est pas liée à la politique de Moscou mais est le résultat de l’activité des médias, les autorités kirghizes reconnaissent la responsabilité du Kremlin dans les refus d’entrée sur le territoire auxquels sont confrontés leurs citoyens.

Le vice-ministre des Affaires étrangères du Kirghizstan, Almaz Imangaziev, en a fait l’annonce lors d’une rencontre avec l’ambassadeur russe au Kirghizstan, Sergueï Vakounov, le 29 juillet dernier. Dans le même temps, le fonctionnaire kirghiz a noté que « la partie kirghize comprend les mesures adoptées par la partie russe pour garantir la sécurité dans le pays. »

Malgré la dépendance à peu près équivalente de Bichkek et de Douchanbé vis-à-vis de la migration de travail vers la Russie, les personnes interrogées par Radio Ozodi remarquent que les autorités et les représentants diplomatiques de ces pays défendent de façon différente les intérêts de leurs citoyens.

« Certains sont assez indépendants, d’autres beaucoup moins »

Un observateur des questions liées à la migration de travail en Russie note dans une discussion avec Radio Ozodi que la politique migratoire de ces deux pays se distingue d’abord par la relation à cette migration.

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« Le fait est que les autorités kirghizes reconnaissent au niveau officiel l’importance des migrants pour soutenir l’économie du pays, c’est pour cela qu’il est entré dans l’UEE (Union économique eurasiatique, ndlr) : pour proposer à cette catégorie de citoyens des conditions favorables avec un marché du travail unique. De plus, par rapport aux diasporas tadjikes, les diasporas kirghizes en Russie sont bien plus autonomes dans leurs interactions avec les citoyens et les autorités russes, et c’est ce qui peut être observé pour leurs sections consulaires également. Cela les rend plus mobiles et peut-être plus efficaces », indique cette source.

« Le système tadjik est complètement centralisé, que ce soit au sein du pays ou à l’étranger. Toute décision nécessite l’approbation de la direction au plus haut niveau. Ni les diasporas ni les sections consulaires n’ont le niveau d’autonomie nécessaire, et les autorités ne veulent pas reconnaître officiellement la migration économique comme une composante importante de l’économie, minimisant les statistiques migratoires », explique le journaliste.

Des restrictions de plus en plus nombreuses

Selon les estimations officielles, les citoyens du Kirghizstan ayant obtenu la citoyenneté russe sont au nombre de 600 000. En février 2022, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, ce nombre était supérieur à un million de personnes. Selon les dernières statistiques officielles du côté kirghiz, le nombre de migrants kirghiz en Russie dépasse les 400 000 personnes.

Le Kirghizstan fait partie de l’alliance d’intégration de l’UEE, garantissant à ses citoyens un accès au marché du travail russe. Les dernières restrictions adoptées par la politique migratoire russe ont poussé les autorités kirghizes à réagir.

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Le vice-Premier ministre kirghiz, Edil Baïsalov, a publié sur X (anciennement Twitter) une réponse à un post du média The Insider qui révélait que la Douma russe discutait de projets pour interdire aux migrants de travailler dans les sphères de la médecine, de l’éducation et de la livraison si le salaire dépassait 100 000 roubles (940 euros). Il a exprimé l’espoir que ces propositions de changements législatifs ne concerneraient pas les citoyens du Kirghizstan. « Autrement, il nous sera très difficile de justifier auprès de notre peuple d’être membre de l’UEE », a écrit Edil Baïsalov.

Une diminution de la migration

Le nombre de migrants issus du Tadjikistan en Russie reste un point de discorde entre Douchanbé et Moscou. La partie russe prétend chaque année qu’environ deux millions de citoyens tadjiks se trouvent sur son territoire, tandis que Douchanbé parle de centaines de milliers seulement.

Selon les données du ministère du Travail, de la Migration et de l’Emploi du Tadjikistan, le nombre de migrants économiques qui partent en Russie a diminué de 16 % et était de 392 000 personnes pour les six premiers mois de 2024. La diminution du flux découle des pressions continues sur les migrants de la part des structures de l’exécutif, surtout après l’acte terroriste au Crocus City Hall à Moscou.

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Le 29 avril dernier, le ministère de l’Intérieur du Tadjikistan a adressé une note de protestation à la Russie et a exprimé une sérieuse inquiétude quant à la mauvaise considération des Tadjiks. Le président Emomali Rahmon a aussi soulevé le thème de la migration lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine le 9 mai dernier, affirmant que le terrorisme et l’extrémisme n’ont pas de nationalité. Cependant, les restrictions contre les migrants du Tadjikistan se sont, semble-t-il, accentuées.

« La peur que les migrants reviennent »

La journaliste et politologue indépendante Galina Ibraguimova remarque que les autorités des deux pays ne soutiennent que faiblement leurs migrants sur le territoire russe.

« Nous n’avons entendu des annonces de la part des autorités tadjikes et kirghizes en soutien à leurs migrants qu’au cours de ces dernières années. Mais pendant les années précédentes, les autorités de ces pays ne s’intéressaient qu’aux transferts d’argent de ces migrants, et ce qu’il arrivait à ces personnes n’était qu’une question de second ou de troisième ordre », détaille-t-elle.

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« Après l’attaque terroriste au Crocus, le président du Tadjikistan ne pouvait plus ne pas réagir. L’image de son régime autoritaire en faisait déjà les frais. On peut dire la même chose du Kirghizstan. Ces raids commençaient même à concerner le personnel diplomatique du pays », explique Galina Ibraguimova. Pour elle, s’ils ne défendent pas du tout leurs migrants, cela pourrait provoquer leur retour dans leur pays d’origine. Cela menacerait directement la stabilité sociale et l’autorité de ces autocrates.

Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds vers le Tadjikistan constituaient la somme record de 5,7 milliards de dollars (5,2 milliards d’euros) en 2023, soit 6,6 % de plus que l’année précédente. Pour cette même période, 2,7 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) ont été transférés vers le Kirghizstan : 97 % de cette somme provient de Russie.

Khoursand Khourramov
Journaliste pour Radio Ozodi

Traduit du russe par Paulinon Vanackère

Édité par Claude Foucaud

Relu par Elise Medina

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