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Ouzbékistan : « Chavkat Mirzioïev nous réserve encore bien des surprises »

Alexandre Knyaziev, politologue expert de l’Asie centrale, affirme que la visite récente du président ouzbek au Kazakhstan pourrait augurer d’un changement, même mineur, de relation entre l’Ouzbékistan et ses voisins.

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Le président ouzbek, Chavkat Mirzioïev, bouleverse les lignes établies en Asie centrale.

Alexandre Knyaziev, politologue expert de l’Asie centrale, affirme que la visite récente du président ouzbek au Kazakhstan pourrait augurer d’un changement, même mineur, de relation entre l’Ouzbékistan et ses voisins.

Novastan reprend et traduit ici un article paru à l’origine sur Sputnik Kazakhstan.       

La visite de Chavkat Mirzioïev au Kazakhstan est-elle un symbole d’un renouveau en Ouzbékistan, alors que le pays ne connaît que son deuxième président depuis 1991 ? Pour le politologue Alexandre Knyaziev, l’accession de Chavkat Mirzioïev à la présidence, depuis décembre dernier, ne modifiera pas drastiquement les principes de la politique extérieure de l’Ouzbékistan.

La visite du chef de l’Etat ouzbek à Astana, et au Turkménistan avant cela, a montré un rapprochement avec ses voisins. Une ligne Almaty-Tachkent a été inaugurée à l’occasion de sa visite au Kazakhstan, créant un pont d’amitié reliant les deux pays.

Pourquoi ne faut-il pas s’attendre à une métamorphose de la politique régionale de l’Ouzbékistan ? Dans une entrevue accordée à Sputnik Kazakhstan, Alexandre Knyaziev brosse un tableau large des relations entre Kazakhstan et Ouzbékistan, mais aussi entre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan.

Chavkat Mirzioïev s’est rendu en au Kazakhstan, mais il a réservé sa première visite au Turkménistan. Ce fait a-t-il de l’importance quant à la distribution des cartes d’amitiés politiques dans la région ?

La première visite d’un président revêt effectivement une symbolique particulière. Mais le fait qu’Achgabad ait eu la priorité face à Astana n’est pas le plus important selon moi. Il convient plutôt de souligner que Mirzioïev n’a pas choisi Moscou, Beijing ou Bruxelles, sans même parler de Washington, comme première voire deuxième destination. En avril, il ira à Moscou, en mai, à Beijing. Cet ordre de priorités, cet itinéraire, soulignent que l’arrivée au pouvoir de Chavkat Mirzioïev à la présidence de l’Ouzbékistan ne va pas transformer les grandes lignes de la politique étrangère du pays.

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Les deux grandes lignes de celles-ci restent en vigueur : premièrement, l’Ouzbékistan se maintient éloigné des grands centres politiques internationaux et deuxièmement, il préfère opter pour des relations bilatérales avec les plus de pays possibles plutôt que de s’engager dans des mouvements d’intégration plurilatéraux, où de rejoindre des unions.

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La seule nouveauté au programme de la politique extérieure de l’Ouzbékistan a été qu’une partie des priorités de politique régionale a été revue. Cette réévaluation est flagrante depuis l’accession de Chavkat Mirzioïev à la présidence. Il est certain que qu’Astana lui importe bien plus qu’Achgabad, qui est un volet concret de la politique ouzbèke. A l’inverse, la visite à Astana n’a pas seulement donné le ton des relations bilatérales entre les deux pays, elle a aussi acté le choix de priorités pour la région dans sa totalité.

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Chavkat Mirzioïev (à droite) a réalisé une visite remarquée au Kazakhstan, en compagnie de Noursoultan Nazarbaïev (à gauche).

Cela ne pouvait pas être Bichkek ni Douchanbé, un seul choix s’imposait : Astana. D’un point de vue pratique, ce choix engendre de nombreuses questions. Noursoultan Nazarbaïev a semble-t-il évoqué l’absence de problèmes latents entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. En vérité, il y en a, comme partout. Mais pour l’instant, les deux pays sont en pleine phase de prises de décisions pratiques et de consultations. Les contentieux ont été résolus, pas d’antagonismes à l’horizon.

Cette visite est décisive à d’autres égards : il faut faire naître un dialogue permanent et créer des collaborations entre Astana et Tachkent afin d’influencer la région tout entière. Il est question de cette fameuse responsabilité régionale sur laquelle ont insisté Nazarbaïev et Mirzioïev.

Certains experts se sont exprimés en diverses occasions sur la lutte entre l’Ouzbékistan d’Islam Karimov et le Kazakhstan pour la mainmise politique régionale et sur les quelques refroidissements dans les relations bilatérales. Si les rumeurs de concurrence venaient à se confirmer, la question du réchauffement des relations se poserait-elle ?

Je ne parlerais pas de réchauffement parce qu’il n’y a pas eu de refroidissement. Ces rumeurs de lutte pour une domination régionale ne sont que des mythes sans preuves. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan forment un binôme qu’on pourrait qualifier de « créateur » : ils créent un système, une région. Tous les autres se rallient à ce tandem. Ces deux pays ont des économies qui se complètent, dès lors, les questions de concurrence politique ou économique ne sont pas légions.

Par exemple, quand Noursoultant Nazarbaïev évoquait la croissance des échanges commerciaux, il sous-entendait une relation du type « un donné pour un rendu » : vous achetez notre blé et nous achetons votre production agricole.

C’est une dépendance mutuelle : le Kazakhstan est tributaire des axes routiers ouzbeks qui ouvrent les portes du sud et l’Ouzbékistan dépend des routes kazakhes qui le connectent à la Russie et à la Chine. Les intérêts des deux pays les unissent, ils ne les divisent pas.

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Chavkat Mirzioïev (à gauche) lors de sa visite très amicale avec Noursoultan Nazarbaïev (à droite).

J’ai eu l’occasion d’observer une entrevue entre les présidents Nazarbaïev et Karimov. Je peux en conclure qu’on a beaucoup fantasmé leur relation. Évidemment, lors de ses dernières années à la présidence, Islam Karimov était malade et la pratique établie en Ouzbékistan n’acceptait aucune initiative n’émanant pas du président. Le nouveau président ouzbek est plus jeune, il est plein d’énergie et cela explique pourquoi les relations entre les deux chefs d’Etat s’améliorent.

Qu’en est-il du Kirghizstan ? Qu’est-ce que Bichkek peut attendre de Mirzioïev ?

Tout d’abord, Chavkat Mirzioïev pourrait être plus dur qu’Islam Karimov si les relations entre les deux pays venaient à se tendre. Par exemple, lors des événements de 2010 dans le sud du Kirghizstan, une partie significative de l’élite politique tadjike militait en faveur d’une intervention de l’armée ouzbèke au Kirghizstan  afin de protéger les populations ouzbèke de la province de Jalal-Abad et d’Och. Islam Karimov a fini par trancher, mais selon certaines rumeurs, Mirzioïev était partisan d’une solution plus dure pour résoudre le problème.

En septembre, Islam Karimov est mort alors qu’un conflit territorial était en cours à la frontière entre le Kirghizstan et l’Ouzbékistan. L’Ouzbékistan a alors mis le holà et a désengagé unilatéralement ses troupes du territoire contesté. Je pense que c’était une mesure d’ordre purement pratique.

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Après la mort de Karimov et pendant la période électorale, Chavkat Mirzioïev voulait éviter tout conflit superflu. C’est encore le cas aujourd’hui. Toutefois, chaque différend frontalier heurte les intérêts des Ouzbeks vivant à la frontière, après tout la vallée de Ferghana est très peuplée.

Je pense que Mirizyoyev est pragmatique, qu’il agit en bon père de famille et qu’en pesant le pour et le contre, il estime que les conflits peuvent bien attendre. Cela ne veut pas pour autant dire que l’Ouzbékistan est prêt à faire des concessions. En définitive, je crois que le nouveau président nous réserve encore bien des surprises.

Almazbek Atambaïev Chavkat Mirzioïev
Le président kirghiz, Almazbek Atambaïev (à gauche) s’est particulièrement rapproché de son homologue ouzbek, Chavkat Mirzioïev (à droite).

Aujourd’hui, le 24 mars, on célèbre l’anniversaire de la révolution des Tulipes (la première révolution kirghize en 2005, ndlr). Il est intéressant de noter que cette première révolution a servi de point de départ à Tachkent pour établi une ligne politique stable par rapport au Kirghizstan. Elle se résume en une phrase : à Bichkek, il n’y a pas d’interlocuteur valable.

De plus, si on s’intéresse aux autorités kirghizes, on se rend compte qu’il y a environ deux ans, Almazbek Atambaïev avait affirmé qu’Islam Karimov serait mort deux ans plus tard, une saillie que Tachkent n’a pas oubliée. Une prévision correcte, mais dont la réalisation ne tient que du hasard.

Tant que les autorités kirghizes resteront en place, tant que Bichkek ne fera pas preuve d’une loyauté plus convaincante envers Tachkent, tout espoir sera vain. Heureusement, la question de la construction de la centrale de Kambarata n’est plus à l’ordre du jour. Mais la façon dont le problème a été abordé à Astana donne un indice quant à la position claire d’Astana et de Tachkent à ce sujet. Ce qui donne au Tadjikistan et au Kirghizstan matière à réflexion.

Traduit du russe par Thomas Rondeaux

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