Plus de 30 ans après la chute de l’Union soviétique, une partie de l’identité nationale dans l’espace urbain est encore liée à l’époque soviétique en Asie centrale. Pourtant, la question de savoir s’il faut renoncer à ce passé n’est pas si évidente, tant la période russe a été marquante et sert de cadre aux relations actuelles avec la Russie.
A quoi ressembleraient les villes des pays d’Asie centrale si la culture des peuples qui y vivent n’avait pas été influencée par l’Union soviétique ? Les villes auraient-elles été plus confortables et plus pittoresques que celles d’aujourd’hui ?
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Cabar : Qu’est-ce que l’urbanisme décolonial et sur quoi repose-t-il ?
Rada Valentinova kyzy : L’urbanisme décolonial se développe dans le cadre de la conception des processus décoloniaux. Pour ce qui est de l’Asie centrale, cela correspond à l’époque post-soviétique. Le discours postcolonial n’est pas encore suffisamment pensé ni institutionnalisé au Kirghizstan.
Avant de commencer à parler du processus de décolonisation, il est important de prendre conscience du passé colonial. Ce n’est un processus ni facile ni rapide, puisque le Kirghizstan est un partenaire et entretient même des rapports amicaux avec la Russie, laquelle perçoit douloureusement toutes les discussions associées à ce thème.
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Le processus décolonial est apparu assez récemment sur le territoire post-soviétique, il y a environ 15 ans. La plupart du temps, il concerne des disciplines humanitaires et a un rapport direct à la langue et à la culture.
L’urbanisme est un élément du développement de la ville. Les processus urbains reflètent ce qu’il se passe dans la culture, l’économie et d’autres sphères de la vie des citoyens. Si les questions de décolonisation ne sont pas suffisamment discutées dans la sphère sociale, alors ils ne trouveront pas de reflet dans une sphère pratique comme celle de l’urbanisme.
Aujourd’hui, en particulier au Kirghizstan, le processus de décolonisation se reflète dans le changement de noms d’éléments géographiques, de villes, de villages et de rues. Mais les noms, dans la plupart des cas, sont écrits en langue russe et non en kirghiz. En plus, il arrive que les noms soviétiques soient encore aujourd’hui reflétés dans le paysage urbain. Il est possible que ce soit par manque de financement ou parce que les services urbains négligent ce travail.
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L’urbanisme décolonial se manifeste de d’autres façons également, par exemple par les ornements et l’aménagement de la ville, les toponymes locaux, les noms des magasins et des centres commerciaux, ou encore les nouvelles statues reflétant la culture kirghize. Le fait que le kourout (fromage sec traditionnel, ndlr) et le maksym (boisson traditionnelle à base de lait fermenté, ndlr) sont devenus une partie indissociable du commerce de rue et de l’aspect de Bichkek est également un reflet des processus décoloniaux dans l’urbanisme.
Comment l’Union soviétique et l’Empire russe ont-ils pu influencer le processus d’urbanisation de l’Asie centrale ? Et s’il n’y avait pas eu d’influence, comment auraient alors pu se dérouler les processus d’urbanisation de la région aujourd’hui ?
L’aspect urbain de Bichkek et des autres villes kirghizes prend racine dans l’époque soviétique. Frounzé, ancien nom de Bichkek, se développe avec les tendances communes à tous les pays soviétiques. Les architectes et spécialistes russes participent à la planification des villes d’URSS : les habitations et les bâtiments culturels se construisent alors selon un modèle commun.
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Grand nombre de monuments architecturaux dans les différents pays de la Communauté des Etats indépendants se ressemblent, comme par exemple les expositions des réalisations économiques, les théâtres d’opéra et de ballet, les maisons de la culture, etc. On ne saura jamais quelles auraient été nos villes sans l’influence soviétique. Mais probablement qu’elles auraient été plus variées et plus inclusives.
Dans quelle mesure les spécificités locales ont-elles été prises en compte dans la conception des villes à l’époque soviétique ?
Sur l’exemple de Bichkek, je sais qu’à l’époque soviétique, une grande attention a été accordée au climat local lors de la planification de la ville. Des canaux d’irrigation artificiels ont été construits et de nombreux arbres ont été plantés. Sans eux, l’air de la capitale serait très sec.
Que propose le concept d’urbanisme décolonial à la place des villes existantes ?
Pour le moment, dans les sphères urbaines, ce sujet commence à peine à être abordé. Selon moi, les processus sont particuliers à chaque pays et dépendent du régime politique et de la démocratisation de la société.
Est-il important que la ville reflète l’identité du peuple qui y habite ? Quelle influence cela a-t-il sur les habitants ?
Bien sûr, c’est important. Pour que la population perçoive sa ville comme sa maison, elle doit refléter ses valeurs, sa culture, ses traditions, ses intérêts et ses besoins. C’est exactement pour cela qu’aujourd’hui la planification commune est populaire : les habitants prennent part aux décisions de planification des espaces urbains.
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A l’époque soviétique, les idéologies étaient imposées. Toutes les décisions venaient d’en haut, ce qui a habitué la population à l’impuissance. Maintenant, cela se voit avec l’exemple des territoires urbains, lorsque les habitants n’arrivent pas se mettre d’accord pour aménager leur propre quartier. Ils se sont habitués au fait que toutes les décisions doivent venir d’en haut.
Propos recueillis par Zlata Teter
Journaliste pour Cabar
Traduit du russe par Fatimetou Hamoudi
Edité par Lucas Morvan
Relu par Eva Costes
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Rovillé Gérard, 2023-05-31
La question de base de cet article se justifie-t-elle ? Comment pourrait-on imaginer les villes des cinq Républiques d’Asie centrale ex-soviétiques sans l’apport de l’urbanisme et de l’architecture soviétique. Déjà la Russie impériale, après la conquête (coloniale) de l’Asie centrale au XIXe siècle, avaient imprimé l’urbanisme et l’architecture, les témoignages sont encore nombreux. Des villes comme Bishkek (Frounze soviétique), Duchambe, etc., n’étaient que des villages, ce sont d’abord la Russie impériale, puis surtout le monde soviétique qui en a fait des villes, mai qui ont aussi redessiné complètement les urbanismes et architectures. Par contre, dans un certain nombre de villes qui ont été considérées comme d’intérêt historique (et touristique), les autorités soviétiques ont assaini, rénové de nombreux quartiers sans pour autant les détruire, en conservant les structures traditionnelles. C’est après la chute de l’URSS que ces quartiers traditionnels ont été largement détruits par les autorités des nouveaux États qui se sont lancer dans des architectures plus proches de celles de Dubaï que de la culture centre-asiatique (Astana – Nur-Sultan, certains quartiers de Tashkent, l’Ashkhabat de Tukmenbashi, etc), sans oublier la destruction de plusieurs quartiers traditionnels d’habitation qui avaient été préservés par les Soviétiques et qui ont été carrément rasés autour des monuments historiques à valeur touristique comme à Tashkent, Samarqand, Buxoro, en remplaçant ces quartiers par de véritables esplanades constituant autant de glacis permettant d’éviter autant que faire se peut les contacts entre populations locales et touristes.
J’ai eu le temps, fréquentant régulièrement l’Asie centrale depuis 1975 (au moins cinquante voyages) de constater toutes ces évolutions. Et ce n’est pas parce qu’on installe quelques statues de héros locaux (Manas, Alpomysh, Abaï, … à la place de Marx, Lénine, Engels) ou de chameaux de la « Route de la Soie » qu’il y a réappropriation culturelle de l’espace. Mais, en même temps, la vie, la société ont beaucoup changé (constat factuel sans jugement de valeur), la mondialisation est entrée aussi en Asie centrale, mais il n’y a pas que l’Asie centrale où les urbanismes et architectures traditionnelles ont été bouleversés au cours du XXe et du début du XXIe siècles.
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