À Tachkent, des employés de la ville tentent de reconstituer l’histoire des lieux emblématiques de la capitale en s’appuyant sur des cartes inédites retrouvées dans les archives. La municipalité cherche ainsi à développer le tourisme et à reconstruire des monuments détruits depuis des dizaines voire des centaines d’années.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 20 mai 2021 par le média ouzbek gazeta.uz. La mairie de la capitale ouzbèke, Tachkent, a défini l’emplacement des 12 anciennes portes de la ville et d’une ancienne forteresse. L’administration de la ville s’est vu accorder la mission de restaurer ces 12 anciennes portes et de les introduire dans les itinéraires touristiques. Le département du développement numérique travaille à la création d’un système d’information géographique de la capitale. La base de ce système est constituée par la comparaison de différentes cartes, contemporaines ou issues d’archives.
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Le directeur adjoint pour les infrastructures des données spatiales, du système d’information géographique (SIG) et de la cartographie du département du développement numérique, Kamoliddin Faïzoullaïev, a la charge de ce projet. Gazeta.uz publie son article sur la recherche menée autour des cartes et des changements que la ville a subis lors de ces 150 dernières années.
Une ville ancienne
Tachkent est une ville ancienne : elle a environ 2 200 ans. Au cours des siècles, son apparence a beaucoup évolué. De nouvelles citadelles, forteresses et maisons ont été érigées, des zones d’habitation et des quartiers résidentiels se sont formés. À quoi exactement ressemblait la ville dans l’antiquité ? Il est très difficile de le savoir. En revanche, de nombreux chercheurs essayent de comprendre comment était l’actuelle capitale de l’Ouzbékistan il y a 150 ou 200 ans. L’histoire des portes et du mur de la forteresse de Tachkent est plus particulièrement passionnante. La forteresse entourait la ville et la protégeait des attaques d’ennemis et d’autres menaces extérieures. Le nombre de portes était différent d’une époque à l’autre : au XXème siècle, Tachkent, qui s’appelait alors Binket, comptait sept portes. Au début du XIXème siècle, il y en avait huit et vers 1864, lorsque la ville s’est davantage élargie, une douzaine. Lire aussi sur Novastan : Les édifices remarquables et lieux uniques à découvrir à Tachkent, la capitale ouzbèke Après la prise de Tachkent par les troupes russes, la population de la nouvelle ville a démonté les murs pour en faire des matériaux de construction. Entre 1865 et 1872, toute une partie du mur de l’enceinte entre les portes de Kachgar et de Bechagatch, d’une hauteur de 3 700 mètres et comprenant les portes de Kokand et de Koïmas, a été détruite.
Des projets de reconstruction
Le programme d’État pour l’année 2021 impose que les portes soient reconstituées à leurs endroits d’origine. C’est un projet complexe car leur localisation était auparavant définie par rapport aux cartes de 1890, alors que la plupart des portes étaient déjà détruites à cette époque. Toutefois, grâce à des documents uniques retrouvés dans les archives du département du développement numérique, les autorités ont réussi à localiser avec précision les endroits où les portes ont existé. Cette découverte a été permise grâce aux cartes de Tachkent de 1865-1872. Elles n’étaient pas accessibles dans les fonds des archives d’Ouzbékistan ni sur Internet. Elles ont été découvertes dans les fonds de la fédération de Russie. Lire aussi sur Novastan : À Tachkent, des militants veulent préserver la vieille ville L’un de ces documents est intitulé Plan de la ville de Tachkent et de ses environs. Il a été exécuté par le lieutenant Kolesnikov et le sous-officier Timofeïev dans les années 1865 – 1866, tout de suite après la conquête russe de Tachkent. À ce jour, il n’y a pas de données attestant de l’existence de cartes antérieures à celle-ci. Ainsi, c’est la première carte reflétant le territoire de la ville de Tachkent et de ses environs connue à ce jour. La carte représente le territoire de l’oasis de Tachkent, d’une superficie d’environ 15 kilomètres carrés. Elle couvre la zone allant jusqu’au quartier de la gare du Sud, Kouloktepa dans le quartier Khasanbaï au nord, le quartier du marché Ourikzor à l’ouest et le quartier du jardin botanique à l’est.
Quelques chiffres
En 1865, la ville de Tachkent faisait 17 kilomètres carrés. La ville comptait environ 52 000 habitants. Aujourd’hui, la capitale est 25 fois plus grande : 434 kilomètres carrés avec 2,62 millions d’habitants, soit 50 fois plus qu’il y a 150 ans.
Sur la carte ci-dessus sont représentées toutes les anciennes portes de Tachkent. La ligne rouge décrit l’ensemble du mur de la forteresse de la ville. En superposant cette carte à une carte contemporaine, il a été possible d’identifier l’emplacement précis de toutes les portes et du mur de la forteresse. La marge d’erreur est de dix mètres environ.
Par exemple, la porte Sagban : sur la carte, la ligne jaune indique la rue qui y mène. En traçant cette ligne sur le plan topographique de Tachkent de 1977, il apparaît que ce chemin y figure toujours en tant que rue Sagban. Il est alors possible de situer la porte par rapport aux repères d’aujourd’hui.
Nogaï-Kourgan
Le contour sud de la carte de Kolesnikov s’arrête au niveau de la gare du Sud actuelle. Au même endroit sur la carte de 1866 est indiqué le village de Nogaï-Kourgan, devenu aujourd’hui la mahalla du même nom (une mahalla est un quartier en tant qu’unité à la fois architecturale et communautaire) dans le quartier Sergueli. La planification des rues de cette zone est également conservée. Lire aussi sur Novastan : L’Ouzbékistan participe pour la première fois à la Biennale d’architecture de Venise En 1866, Nogaï-Kourgan était le seul endroit de Tachkent où les habitants, originaires de régions musulmanes de Russie, cultivaient des pommes de terre. Les spécialistes de la ville ont découvert également une partie du mur de la forteresse de l’ancienne ville qui mesure environ 350 mètres de long. Le mur a été réutilisé pour construire une nouvelle forteresse après la prise de Tachkent.
La citadelle du gouverneur
Il est à noter qu’à la place de la nouvelle forteresse, de 1810 à 1821, se trouvait la forteresse de Kokand, aussi appelée l’ourda, ou la citadelle du gouverneur. Plus tard, elle a été déplacée vers le nord. Après ce déplacement, l’ourda mesurait environ 420 mètres sur 480. Les dimensions de l’ancienne forteresse sont inconnues. L’ourda abritait autrefois le palais du gouverneur de Tachkent, le Khan. Des documents historiques confirment que tout de suite après la prise de Tachkent en 1865, l’ourda a été reconstruite ainsi que de nouveaux quartiers. Leur plan a été conçu par des topographes militaires. Le projet de construction de la nouvelle ville a été mené sous l’égide de l’ingénieur militaire Kolesnikov. La ville a été pensée pour être rectangulaire. Déjà vers 1870, le territoire entre les canaux Ankhor et Tchaouli était peuplé.
Sur la carte de l’officier Vasiliev datant de 1870, le plan des premières constructions érigées entre les canaux de Tchaouli et Salar est visible. La morphologie radiale du centre-ville est respectée jusqu’à nos jours, avec la place Amir Timour en son centre.
Ming O’rik
À 700 mètres au sud de la place Amir Timour se trouvait le jardin Ming O’rik, de 12 hectares. L’enceinte du même nom existe toujours, vers la gare du Nord. Avant, sa surface était de 16 hectares. Avec la construction de la nouvelle ville et après la prise de Tachkent, la fortification de Mingouriouk a progressivement disparu : il n’en reste plus que 13 ares. En plus des portes et des murs, les cartes contiennent d’autres éléments intéressants. Par exemple, la façon dont les topographes russes ont modifié les noms à Tachkent est surprenante. Ming O’rik s’est transformé en Min-Ouriouk, Ok-tepa en Okh-tioubé, Koukeldach en Kougandach, les portes Kamolon en portes Kamelan. Le canal Ankhor a été nommé aryk Angar (les aryks sont des canaux d’irrigation utilisés dans les villes centrasiatiques, ndlr). Lire aussi sur Novastan : La surprenante toponymie de Tachkent Les topographes écrivaient probablement les noms tels qu’ils les entendaient. Par exemple, l’aryk Tchoukour Kouprik est rebaptisé sur leur carte Tchoukour Kouprou, comme le disent les locaux.
Un site interactif pour décrire l’histoire de la capitale
Sur la carte se trouve également le bourg Koulak-tchin tioubé, qui est devenu avec le temps Kouloktepa. Aujourd’hui, c’est le territoire de la mahalla Tiklanich, dans le quartier de Younousabad. Ce quartier est désormais inscrit sur la liste du patrimoine culturel matériel. Il est à noter que dans tous les États ouzbeks anciens, comme le Khanat de Kokand, le Khanat de Boukhara et d’autres, la correspondance officielle se faisait en perse. Seul l’État de Tachkent (1784-1808) avait comme langue officielle l’ouzbek. La calligraphie est un autre point important : toutes les cartes étaient rédigées à la main.
Cet article n’est qu’un début. Les spécialistes ont collecté un grand nombre de données qui seront intéressantes pour les lecteurs et utiles aux chercheurs. Ces données concernent l’histoire du palais de Khoudaïar Khan, différents quartiers de Tachkent, la construction d’une nouvelle ville après la conquête russe, l’élargissement de son territoire et l’augmentation de sa population. Lire aussi sur Novastan : Une carte interactive pour connaître l’âge des bâtiments de Tachkent Le département développe un site interactif qui permettra à ses utilisateurs de voir en détail chaque ancienne porte, d’en apprendre davantage sur son histoire et son emplacement précis. Ce site permettra de renseigner le public sur l’histoire de la capitale.
Kamoliddin Faïzoullaïev pour Gazeta.uz
Traduit du russe par Ariadna Goulevskaya
Édité par Paulinon Vanackère
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