Plus de 30 Kirghiz et 10 Tadjiks ont péri après des affrontements à la frontière entre les deux pays. Débutées par des jets de pierres entre habitants, les hostilités ont été amplifiées par une bataille rangée entre militaires des deux États, la pire de ces dernières années.
C’est l’un des accrochages les plus violents entre Kirghiz et Tadjiks. Entre le 28 et le 30 avril dernier, des affrontements entre habitants des deux pays puis leurs militaires respectifs ont entraîné la mort de 33 Kirghiz, relaie le média kirghiz Kloop et 10 Tadjiks, selon le média tadjik Asia-Plus.
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Depuis le 30 avril, la situation semble sous contrôle après un accord de cessez-le-feu, confirmé ce samedi 1er mai entre le président kirghiz Sadyr Japarov et son homologue tadjik Emomalii Rahmon, décrit Kloop. Cet affrontement est cependant l’un des plus violents observés ces dernières années. Sur cette portion de territoire, où les frontières ne sont pas ou peu délimitées, les affrontements sont fréquents. Comme de rigueur, le déroulé des faits varie grandement selon la nationalité de la source.
Un conflit entre résidents locaux dégénère
Les hostilités ont débuté le 28 avril dernier près du village de Kok-Tach dans la province de Batken située dans le sud du Kirghizstan, à la frontière avec le Tadjikistan. Selon l’agence de presse kirghize 24.kg relayant des informations venant des autorités kirghizes, des habitants du Tadjikistan ont installé une caméra de vidéosurveillance sur un poteau électrique non loin de la prise d’eau de Golovnoy sur le cours supérieur de la rivière Isfara.
Les Kirghiz perçoivent cette installation comme une provocation et tentent de scier le poteau de la caméra vidéo. 24.kg rapporte ensuite qu’environ 30 à 40 personnes se rassemblent des deux côtés et commencent à se jeter des pierres.
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Côté tadjik, les autorités ne mentionnent pas l’installation de la caméra de surveillance. Le 28 avril, l’agence de presse officielle tadjike Khovar estime que « les autorités de la République kirghize mobilisent spécifiquement leurs citoyens des colonies éloignées et les incitent à des conflits interethniques. » Les autorités tadjikes mentionnent alors 7 blessés.
Les armées mobilisées
Cet échange de pierres a dégénéré le lendemain, au petit matin du 29 avril. Selon la police kirghize citée par l’agence de presse kirghize AKIPress, des citoyens du Tadjikistan ont utilisé des armes et ont tiré en direction d’un unité militaire kirghize située dans le village. Selon le Service des frontières du Comité d’État pour la sécurité nationale kirghiz relayé par AKIPress, à partir de 4 H 40 environ dans la région de Kocho-Boyu, un incident avec utilisation d’armes s’est également produit.
À partir de ces premiers échanges par armes à feu, la situation bascule : les forces armées des deux pays s’affrontent le long d’un tronçon contesté de la frontière, décrit AKIPress. Une vidéo prise sur les lieux montre un déploiement de soldats kirghiz, soutenus par la population locale.
« Les militaires de la République kirghize ont ouvert le feu sur les militaires des troupes frontalières de la République du Tadjikistan aujourd’hui, à 13 H 05, sur le site du point de distribution d’eau de Golovnaya, situé dans le cours supérieur de la rivière Isfara, près du village de Khojai Alo du jamoat Chorkukh d’Isfara », décrivent les autorités tadjikes relayées par Asia-Plus.
Les postes-frontières sont attaqués des deux côtés dans l’après-midi du 29 avril, relaie AKIPress. « Vers 17 heures, la partie tadjike a ouvert le feu aux postes-frontières de Kapchigai, Min-Boulak, Dostouk, ainsi qu’aux postes-frontières de Kojogar et Boulak-Bachi. À la suite du bombardement au mortier, le bâtiment de l’avant-poste-frontière de Dostouk du détachement frontière de Batken a été incendié », décrivent les autorités kirghizes.
Un cessez-le-feu signé le 29 avril
Plus de 800 résidents kirghiz de plusieurs villages menacés sont alors évacués. Les conflits ont engendré des incendies dans certaines maisons mais aussi dans des postes-frontières et d’autres bâtiments publics des deux bords. Des blessés et des morts sont à déclarer des deux côtés alors que les lieux d’affrontements se multiplient.
Cet élan de violence est cependant contrebalancé par des efforts diplomatiques au niveau national. Le président kirghiz demande sur sa page Facebook « à rester calme, à ne pas succomber aux provocations, à ne pas inciter à l’hostilité et à la discorde ». En début de soirée, les deux ministres des Affaires étrangères discutent et entament des négociations pour un cessez-le-feu, décrit Asia-Plus.
Dans la soirée, les deux parties acceptent de signer un cessez-le-feu et de retirer les troupes de la région, rapporte Kloop. Toutefois, un porte-parole de la police kirghize à Batken, Damira Yousoupova, a déclaré que de violents tirs avaient éclaté à nouveau avant l’aube vendredi, selon l’agence de presse Interfax.
L’un des bilans les plus lourds depuis des années
Depuis le 30 avril, la situation est relativement sous contrôle, malgré des accrochages à signaler de part et d’autre, décrit Asia-Plus. La communauté internationale s’inquiète de ces accrochages, notamment les Nations unies, l’Union européenne, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) ou encore les voisins kazakh et ouzbek, relaie Kloop.
Le bilan de ces évènements est lourd : 33 Kirghiz ont été tués et plus de 160 blessés, décrit Kloop. Côté tadjik, 10 morts et 90 blessés sont à déplorer, estime Asia-Plus. Les autorités tadjikes restent encore peu disertes sur cet accrochage.
Un tracé encore non délimité
Depuis la dislocation de l’URSS en 1991, les accrochages frontaliers entre ces deux pays d’Asie centrale sont récurrents et plus ou moins intenses. Au coeur des frustrations se trouve le tracé de la frontière entre les deux pays : sur les 971 kilomètres de frontière commune, seuls 504 ont été correctement délimités.
En février 2020, une solution d’échange de terres entre les deux États avait été évoquée mais ne s’était pas concrétisée. Une rencontre en juillet 2019 entre Emomalii Rahmon et Sooronbaï Jeenbekov, alors président kirghiz, avait débouché sur une déclaration affirmant qu’il n’existait plus de « problèmes irrésolus » entre les deux États. Les accrochages du 28 et 29 avril montrent qu’il n’en est rien.
Reste cependant une promesse de campagne de l’actuel président kirghiz Sadyr Japarov. En novembre dernier, alors Premier ministre par intérim, il avait promis de « pacifier » la frontière avec le Tadjikistan après un incident en octobre.
Juan-Martin Mounier-Sales
Rédacteur pour Novastan
Relu par Anne Marvau
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Stern, 2021-05-2
Merci à vous pour votre travail. Je sais enfin ce qu’il s’est passé là-bas, et ce n’est pas grâce à nos bons médias qui ont sans doute un poil plus de moyens que vous !
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