Six représentants de la communauté LGBTI tadjike ont partagé leur histoire à travers un court-métrage documentaire intitulé Le silence assourdissant. Avec trois minutes par interview, ces citoyens décrivent leur quotidien dans un pays où les personnes LGBTI sont victimes de discriminations permanentes.
Novastan reprend ici et traduit un article publié le 15 juillet 2020 par le média russe spécialisé sur l’Asie centrale, Fergana News.
« Nous avons peur de parler parce que nous savons que nous sommes un sujet tabou. Après le tournage, certains de nos héros ont été victimes d’intimidation et l’équipe de tournage a dû résider en dehors du pays le temps que l’affaire se tasse », annonce une voix off au début du documentaire Le silence assourdissant. Ce court-métrage, le premier du genre au Tadjikistan, décrit le quotidien des personnes lesbiennes, gay, bisexuels, transsexuels et intersexuels (LGBTI) dans un pays où ils ne sont pas les bienvenus.
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Le tournage a duré deux semaines en 2019. Si les prises de vues se sont faites au Tadjikistan, le montage et le mixage l’ont été à l’étranger. Les auteurs sont des militants et sont soutenus par le Centre anti-discrimination (ADC) de l’association Memorial.
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Dans le générique du film, il est expliqué que pour des raisons de sécurité, il a été décidé de ne pas montrer les visages des interviewés, de changer leurs noms et leurs voix. Les voix ont été prêtées par d’autres ressortissants de la communauté LGBTI qui ont vécu une expérience semblable au Tadjikistan et qui sont désormais exilés en Europe pour échapper aux persécutions liées à leur orientation sexuelle. D’après le guide de voyage pour gay Spartacus, être gay au Tadjikistan est très risqué et peut mettre sa vie en danger. En 2019, dans le classement des pays les plus gay-friendly, Spartakus a positionné le Tadjikistan à la 110ème place sur 197.
« Si tu n’es pas dans la norme, on ne te témoigne que de la violence »
Les protagonistes du film vivent dans différentes régions du pays. Ils racontent leurs expériences compliquées sur fond de paysages connus. Ainsi, Hussein confie avoir découvert qu’il aimait les hommes à treize ans et que déjà, il tâchait de le cacher à ses proches. Mais plus tard, il a tout de même dû faire face à une discrimination imputée à son homosexualité.
» Mes proches avaient honte de moi, ils ont rompu nos liens. On m’a mis en garde à vue, frappé, j’ai démissionné plusieurs fois, ne pouvant plus supporter les moqueries de mes collègues. Si tu n’es pas dans la norme, on ne te témoigne que de la violence « , explique-t-il.
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Tous révèlent leur peur de découvrir et de vivre leur orientation sexuelle. En plus du rejet de leur famille, les homosexuels doivent parfois affronter la violence de la société. Il leur sera impossible de trouver un emploi.
Bien que l’homosexualité ne soit plus un délit pénal depuis plus de vingt ans, les gays ont souvent des problèmes avec la police. « Nous avons beaucoup d’ennuis avec les forces de l’ordre. Ils font la rencontre de gays sur les réseaux sociaux, puis leur font du chantage, leur mettent la pression en menaçant de tout raconter à leur famille », expose Vafo.
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Les transgenres et les homosexuels porteurs du VIH doivent, eux, faire face à une double discrimination.
L’expérience de Noura, lesbienne
Nouria, lesbienne, confirme cette agressivité. Elle a été mariée contre sa volonté à un homme. Quand elle lui a annoncé qu’elle aimait les femmes, il lui a répondu que maintenant elle n’avait pas d’autre choix que de vivre avec lui.
» Les lesbiennes sont forcées à se marier avec des hommes. Quand elles s’y opposent, leurs parents leur disent qu’elles ont des impuretés en elles, qu’il suffit de prier pour que ça passe « , raconte Nouria.
Elle continue en disant qu’au Tadjikistan, les lesbiennes sont violées pour qu’elles » puissent essayer les hommes « et rejeter leur orientation, ce qui inflige un traumatisme encore plus grave aux femmes homosexuelles. D’autres témoins confirment ces faits. Les Tadjiks sont tenus de fonder tôt leur famille. Si un homme ou une femme refuse de se marier, ils vont soulever des interrogations. Alors, beaucoup de membres de la communauté LGBTI vont se marier pour cacher leur véritable orientation.
» La plupart des gays ont une famille, font des enfants, mais intérieurement il leur est difficile de faire taire ce qu’ils sont. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui se réduise à sa sphère conjugale et tous continuent de côtoyer des hommes en cachette « , relate Vafo dans le film.
Une situation plus que difficile
L’une des voix dans Le silence assourdissant appartient à Islom Alizoda (pseudonyme), l’auteur du film. En 2015, il a dû quitter le pays avec son compagnon pour l’Europe après des déconvenues avec les forces de l’ordre.
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» L’idée de ce film me trottait dans la tête depuis cinq ans. Elle n’est venue qu’après que je suis devenu réfugié. J’ai parlé à l’administration de l’oppression des homosexuels tadjiks. Ils m’ont demandé si je pouvais prouver mes propos par des articles de médias en ligne, il n’y avait rien. Le sujet des LGBTI est tellement tabou, que malgré le sort de la communauté, les journalistes n’en parlent pas « , décrit Islom Alizoda à Fergana News.
Un constat confirmé par le rapport de soixante pages du Centre anti-discrimination de Memorial intitulé LGBTI+ en Asie centrale : répression, discrimination, isolement. Rendu public en mai dernier, il décrit qu’effectivement, excepté les quelques agences de presse étrangères, les médias tadjiks passent la thématique sous silence.
» Les journalistes les plus progressistes parlent du manque de médias prêts à publier leurs articles ainsi que de l’homophobie à laquelle leurs collègues font face quand ils proposent de telles publications. Ils dénoncent un manque d’information sur l’orientation sexuelle. En outre, il n’y a presque pas d’experts, de défenseurs des droits de l’Homme, de militant et d’activistes dans le domaine public capables de commenter la situation réelle des personnes LGBT « , indique le rapport.
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La condition de la communauté est aggravée par un vide représentatif : ni personnalité, ni organisation publique ne porte leur voix. » Jusqu’à présent, l’enregistrement des groupes d’initiative qui affichent directement un travail avec des personnes LGBTI est impossible au Tadjikistan, car la protection des droits des personnes LGBTI est vue comme une violation de la morale publique. Il en résulte que plusieurs associations exercent sans s’enregistrer, d’autres adoptent un champ d’action plus vaste, comme celui de la santé « , indique le rapport.
» Après m’être installé en Europe, je suis allé, de moi-même, vers les journalistes. Je leur proposais des sujets à aborder et les aidais à trouver des personnes souhaitant témoigner, ou répondais moi-même aux interviews. J’ai fait tout ça pour montrer au monde que nous existons, que nous sommes en grande difficulté et pour que les personnes ayant fui le pays puissent acquérir le statut de réfugié en s’appuyant sur ces publications « , explique Islom Alizoda.
Un tournage de film compliqué et risqué
Le projet de film dédié à la communauté LGBT n’a pas trouvé de partisans dans l’espace médiatique tadjik car le tournage d’un tel film, même d’un court-métrage, est une affaire compliquée et risquée.
» Je tenais particulièrement à filmer au Tadjikistan. Bien sûr, nous pouvions organiser le tournage en Europe, d’autant plus qu’il y a suffisamment de réfugiés LGBTI venant de toute l’Asie centrale pouvant partager leurs histoires. Toutefois, il était important pour nous de montrer que des homosexuels vivent aujourd’hui et partout au Tadjikistan. Pour certains ce sont des choses évidentes, mais l’essentiel de la société tadjike préfère penser que nous n’existons certainement pas dans le pays « , décrit Islom Alizoda.
C’est précisément parce que le réalisateur connaît personnellement tous les protagonistes qu’ils ont bien voulu se laisser filmer. L’équipe de tournage fait également partie du cercle d’amis d’Islom Alizoda, encore au Tadjikistan. Néanmoins, vers la fin du tournage, l’un des personnages du film a été contacté par des policiers qui l’ont questionné sur une certaine journaliste étrangère cherchant des informations sur la communauté LGBTI du pays.
» En vérité, la journaliste en question travaillait sur notre projet et était tadjike. À Douchanbé, une équipe d’experts étrangers était effectivement venue observer le tournage. Cependant, les policiers ont été pour nous une piqûre de rappel et pour contrer tout risque, nous avons décidé de quitter le pays « , raconte Islom Alizoda.
Pour rencontrer les différents interprètes du film, l’équipe a sillonné toutes les régions du pays, à l’exception de la région autonome du Haut-Badakhchan. » Faute de budget, nous n’avons pas pu aller là-bas. À l’origine, nous avions prévu d’inclure aussi des personnes ne venant pas de la communauté queer, comme des médecins, des journalistes et des fonctionnaires d’État liés à notre sujet. J’espère qu’à l’avenir nous aurons l’occasion de construire une œuvre plus complète « , confie le militant.
Des stéréotypes présents au sein même de la communauté LGBTI
Malgré les appels répétés des comités des Nations Unies, les autorités tadjikes refusent toujours d’adopter une législation protégeant des discriminations les minorités sexuelles et de genre. En 2019, en réponse à ces recommandations, Zarif Alizoda, le médiateur des droits de l’Homme du Tadjikistan a déclaré qu’il était impossible de les suivre en raison des « normes morales et de l’éthique des relations entre les individus du pays », a rapporté Fergana News.
À chaque mention du thème des LGBTI, les médias locaux se heurtent à une tempête d’indignation publique. De plus, des stéréotypes discriminatoires continuent d’exister au sein même de la communauté. Le rapport de Memorial cite des témoignages de militants qui dénigrent la cause lesbienne en la qualifiant de moins grave et ne nécessitant pas autant de protection que celle des hommes. Tout cela s’explique par les stéréotypes patriarcaux, dont les représentants LGBTI eux-mêmes n’ont pas conscience, et par le fait que le niveau de rejet des lesbiennes par la société n’est pas le même que pour les hommes homosexuels.
Lola Khodjaïeva
Journaliste pour Fergana News
Traduit du russe par Daniel Le Botlan
Édité par Christine Wystup
Relu par Anne Marvau
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