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Le renouvellement des présidents peut-il entraîner une transformation de toute l’Asie centrale ?

Depuis l’arrivée de Chavkat Mirzoïev à la tête de l’Ouzbékistan, en 2016, le pays s'ouvre et se positionne de plus en plus comme un aimant à investissements dans la région, tout comme le Kazakhstan depuis l'élection de Kassym-Jomart Tokaïev en mars 2019. Ces changements à la tête des deux puissances de la région ont-ils modifié le visage de l’Asie centrale ? Plusieurs politologues et économistes se sont penchés sur la question lors de la réunion Expert Update sur la « nouvelle Asie centrale », organisée par le magazine en ligne Vlast et le groupe Verny Capital.

Conférence Asie centrale Economie
La conférence "Expert Update" sur la nouvelle Asie centrale a tenté de savoir si un renouvellement de deux présidents allait changer la donne dans la région.

Depuis l’arrivée de Chavkat Mirzoïev à la tête de l’Ouzbékistan, en 2016, le pays s’ouvre et se positionne de plus en plus comme un aimant à investissements dans la région, tout comme le Kazakhstan depuis l’élection de Kassym-Jomart Tokaïev en mars 2019. Ces changements à la tête des deux puissances de la région ont-ils modifié le visage de l’Asie centrale ? Plusieurs politologues et économistes se sont penchés sur la question lors de la réunion Expert Update sur la « nouvelle Asie centrale », organisée par le magazine en ligne Vlast et le groupe Verny Capital.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 11 octobre 2019 par le média kazakh Vlast.

C’est une question qui revient régulièrement depuis les changements de présidents en Ouzbékistan et au Kazakhstan : l’Asie centrale peut-elle se transformer ? Alors que les dirigeants centrasiatiques restent en général au moins une décennie à leur poste, les arrivées au pouvoir de Chavkat Mirzioïev en Ouzbékistan en décembre 2016 et de Kassym-Jomart Tokaïev en juin 2019 ont représenté une nouvelle page dans l’histoire de leur pays. Mais cela signifie-t-il que la région se transforme mécaniquement ? Des politologues et économistes centrasiatiques se sont penchés sur le sujet.

Pour Askar Nourcha, politologue, on ne peut parler de nouvelle Asie centrale que pour l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, où le pouvoir a changé de mains et où la société civile se développe. Bien que les Républiques d’Asie centrale jouissent traditionnellement d’un solide ancrage local, certaines pistes d’intégration eurasienne élargie sont apparues, mais leur mise en œuvre dépend uniquement de la future stratégie économique ouzbèke.

Pour son confrère Roustam Bournachev, la mort de l’ancien président ouzbek Islam Karimov (1989-2016) a coïncidé avec un changement de paradigme de la part des autorités, qui se sont plus volontiers tournées vers leurs voisins. « L’Asie centrale change-t-elle du point de vue du Kazakhstan ? Bien entendu. Mais d’autres processus sont à l’œuvre également, comme la création de l’Union économique eurasiatique (UEE) et l’Union douanière. Le Kazakhstan se considère désormais dans l’espace de l’UEE plutôt qu’en Asie centrale. On peut parler de nouvelle Asie centrale, mais elle est différente pour chaque pays qui la compose. C’est là toute la subtilité : les États commencent à se construire leur propre Asie centrale », a-t-il expliqué.

Les investissements étrangers comme moteur d’une nouvelle Asie centrale ?

En 2018, le Boston Consulting Group (BCG) a présenté un rapport intitulé « Investir en Asie centrale : une région pleine d’opportunités », qui estime les capitaux investis dans la région à 170 milliards de dollars, dont 100 milliards rien que pour le Kazakhstan. Pour l’économiste Almas Tchoukine, le Kazakhstan sera en mesure de maintenir cet afflux d’investissements malgré le développement actif de l’économie du voisin ouzbek, en raison de la médiocrité du réseau de transports de l’Ouzbékistan et du manque de ressources humaines.

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Le politologue Roustam Bournachev

« L’accessibilité des transports ouzbeks est désastreuse, il est souvent nécessaire de traverser des frontières pour voyager. En ce sens, il est primordial que Tachkent coopère étroitement avec Nur-Sultan dans le projet, largement sous-estimé, de route reliant la Chine et l’Europe. En outre, l’éducation de qualité n’a pas été développée au cours des 25 années du mandat d’Islam Karimov. Une génération entière en subit les conséquences. C’est là un défi qu’il faut relever », a estimé Almas Tchoukine.

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Les experts ont également abordé l’éventuelle adhésion de l’Ouzbékistan à l’Union économique eurasiatique, dont la décision finale devrait tomber sous peu. Pour le politologue Dossym Satpaïev, cette adhésion est le désir non seulement des autorités ouzbèkes, mais aussi de Moscou. Roustam Bournachev approuve, mais ajoute que les avis du Kazakhstan et du Kirghizstan seront également examinés par Chavkat Mirzioïev.

Le rôle des partenaires historiques : la Chine et la Russie

La sinophobie a augmenté au cours des derniers mois au Kazakhstan. Les Kazakhs s’opposent à l’expansion chinoise et appellent au boycott des produits fabriqués en Chine. Almas Tchoukine condamne ces actions et note que le Kazakhstan a toujours été un allié de Pékin. Il est convaincu de l’intérêt pour le Kazakhstan de coopérer avec la Chine, ne fût-ce que parce que Khorgos représente un accès direct au commerce mondial.

« Les produits à faible valeur ajoutée que nous produisons peuvent être livrés à la Chine, le plus grand marché du monde, à 300 kilomètres de chez nous. Les économies de la Chine et du Kazakhstan sont complémentaires. Les investissements chinois ont déjà dépassé ceux de Moscou et ce chiffre est en constante augmentation, alors que les investissements russes sont au point mort. Le grand jeu pour l’Asie centrale est en place », a décrit Almas Tchoukine. « L’intérêt de Pékin est très simple : toutes ses routes de commerce maritimes passent soit par Singapour, soit par les États-Unis. Dans les deux cas, Washington a la mainmise. Les Chinois ont compris qu’ils ne pouvaient compter uniquement sur ces voies maritimes et ils ont privilégié une route directe via l’Asie centrale. Ils souhaitent faire de l’Asie le centre du monde. À leurs yeux, nous représentons une autoroute et non une mine de ressources », a-t-il poursuivi. Selon lui, la non-ingérence de Pékin dans les affaires de politique intérieure de ses partenaires en fait un allié de choix.

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Le deuxième partenaire commercial du Kazakhstan est la Russie. Selon Askar Nourcha, Moscou désire aujourd’hui préserver non seulement un espace économique unique en Asie centrale, mais également un espace politique et militaire. « Lorsque Nur-Sultan déclare n’être intéressé que par une intégration économique, il suscite l’étonnement et le rejet des Russes, qui se sentent lésés. Nous entretenons d’ailleurs une certaine schizophrénie à l’égard de la Russie : si nous en avons besoin en raison de notre faiblesse sur les plans militaire et politique, nous fuyons comme la peste l’influence qu’elle pourrait avoir sur nous », a décrit Askar Nourcha. « Dans le futur, la Chine va muscler sa stratégie alors que Moscou va l’assouplir. Dès lors, la Russie redeviendra bientôt un partenaire commercial attrayant », a-t-il ajouté.

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L’économiste Almas Tchoukine et le politologue Askar Nourcha

Askar Nourcha considère la question de la « grande Russie » comme essentielle dans les relations entre Moscou et les républiques d’Asie centrale. La Russie attire à l’heure actuelle les travailleurs migrants de l’ensemble de l’Asie centrale, certains ayant même acquis la nationalité russe et ne souhaitant pas retourner dans leur pays d’origine. Selon le politologue kazakh, la nouvelle Asie centrale est en train de se former en Russie. D’ici quelques années, Moscou utilisera ces diasporas soit comme un moyen de communication, soit comme un instrument de pression politique sur la région.

Vers une nouvelle Asie centrale ?

Les pays d’Asie centrale pourront-ils tisser des liens entre eux ? Pour Roustam Bournachev, certains obstacles demeurent, tels que la présence de seulement deux des cinq pays, le Kazakhstan et le Kirghizstan, dans l’Union économique eurasiatique.

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« La question se pose : est-il nécessaire de former un bloc ? Nous entretenons le mythe construit autour de l’Asie centrale dans les années 1980. Mais ce sont avant tout des mots, ils ne nous permettent plus d’avancer. Si nous voulons vraiment interagir avec nos voisins, nous devons créer une nouvelle Asie centrale en déconstruisant le concept qui s’est formé par accident à la chute de l’URSS », a déclaré Roustam Bournachev. Askar Nourcha va dans le même sens. « La question n’est pas de savoir si l’Asie centrale existe ou non. Pour être en forme, il faut faire du sport. Nous, nous voulons être en forme, mais sans faire de sport ».

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Dossym Satpaïev souligne quant à lui la difficulté pour les États d’Asie centrale d’établir un dialogue constructif, ce pour trois raisons : l’âge avancé des présidents, la présence de puissances géopolitiques voisines aux intérêts marqués et l’absence d’identité régionale unique dans la région. « Avec ce nom (« nouvelle Asie centrale », ndlr), les organisateurs de cette réunion souhaitaient poser une question : existe-t-il une nouvelle Asie centrale ? Au bout du compte, nous n’avons même pas encore esquissé les grandes lignes de ce sujet. Mais les interactions économiques étroites qui se tissent vont tôt ou tard faire tomber de nombreux murs. L’Union européenne a été créée par des pays qui se sont affrontés durant des siècles. Nous avons survécu à toutes les guerres. Pourquoi ? Parce que nous faisions de l’économie notre priorité avant de discuter d’intérêt politique. Aujourd’hui, la politique passe le plus souvent au premier plan », a-t-il résumé.

Iouna Korosteliovaïa
Journaliste pour Vlast

Traduit du russe par Pierre-François Hubert

Edité par Frédérique Faucher

Corrigé par Aline Simonneau

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