Par manque de traductions, la littérature ouzbèke ainsi que la poésie sont isolées du monde littéraire international. Une situation que regrette Vika Osadtchenko, poète et écrivaine ouzbèke.
Novastan reprend un article initialement publié par les éditions Jentayu, éditrices d’une revue semestrielle sur l’Asie.
La littérature ouzbèke est vivace mais elle reste dans son coin. C’est le triste constat fait par la poète et écrivaine ouzbèke Vika Osadtchenko. La Tachkentoise, auteure de « La domestication », une nouvelle récemment traduite du russe (Ouzbékistan) en français, fait partie d’une nouvelle génération d’auteurs ouzbeks. Ils ont créé à Tachkent, la capitale, un courant littéraire indépendant revendiquant une identité à la fois russophone et nettement post-soviétique qui se différencie également de la littérature écrite en Russie.
Pour en apprendre davantage sur son quotidien, les éditions Jentayu ont rencontré Vika Osadtchenko à Tachkent.
Editions Jentayu : Vika, les lecteurs et lectrices francophones connaissent en général peu de choses sur l’Ouzbékistan. Pouvez-vous nous expliquer la situation linguistique des écrivains ouzbeks, et la place du russe dans votre pays aujourd’hui ?
Vika Osadtchenko : Malheureusement, en Ouzbékistan, les littératures de langue ouzbèke et de langue russe se cantonnent chacune dans leur domaine. Ces deux courants littéraires ne se croisent pas principalement en raison d’un manque de traductions. En tant qu’auteurs de langue russe, nous nous sentons à vrai dire complètement coupés de la culture ouzbèke.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours littéraire ? Vous écrivez de la poésie, mais aussi des récits qui se rattachent à la science-fiction ainsi qu’au genre fantasy. Quels sont les livres ou les auteurs qui vous inspirent le plus, et quelles sont vos lectures actuelles ?
Je préfère laisser les critiques et les biographes répondre à cette question. Pour ce qui est de mes lectures, tout ce que j’ai lu m’a influencé à vrai dire, mais mon auteur culte est probablement Max Frei. (Max Frei, en russe Макс Фрай, est le pseudonyme littéraire d’un couple d’auteurs, Svétlana Martyntchik et son mari Igor Stiopin, qui écrivent à quatre mains et connaissent un grand succès dans le domaine de la fantasy en langue russe avec les séries légendaires Les labyrinthes de l’Écho et Les chroniques de L’Écho, ndlr)
On retrouve souvent dans vos récits le thème des relations entre humains et animaux. Dans quel contexte s’établissent ces relations en Ouzbékistan ? Et comment ce thème est-il venu se glisser dans votre prose ?
Je suppose qu’il serait de bon goût de dire que j’adore les animaux. En fait, non, j’aime certes les chats, mais ils sont loin de représenter le plus grand amour de ma vie. Il serait plus honnête de dire que je suis entourée de chats, chaque année une âme charitable me ramène des chatons à la maison. C’est pourquoi c’est un thème récurrent dans ma vie. Mais je tiens à souligner qu’en Ouzbékistan nous n’avons quasiment pas de lois garantissant ou protégeant les droits des animaux, du coup les mauvais traitements sont souvent la norme. Toutefois, on note des changements et on a même vu apparaître les premières campagnes de défense des droits des animaux. Espérons que les gens vont changer peu à peu leurs habitudes.
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Vous participez également à des mises en scènes au théâtre d’avant-garde Ilkhom. Peu de gens en dehors de l’Ouzbékistan et de la Russie savent que de grands écrivains comme Anna Akhmatova (Анна Ахматова) vécurent et écrivirent à Tachkent. D’où vient cette initiative qui mêle théâtre et mémoire littéraire, et quels sont vos futurs plans dans ce projet ?
Nous avons créé au théâtre Ilkhom le projet « Litéra » auquel participent des poètes, des prosateurs et des acteurs du théâtre. Il s’agit d’un projet expérimental, à chaque fois on tâtonne sans trop savoir de quoi aura l’air le spectacle, mais ça nous plaît d’imaginer le spectacle suivant.
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« Litéra » est une adaptation théâtrale portée par des acteurs qui déclament de la poésie, lisent des textes et chantent. Ce projet est né dans la tête du grand maître d’échecs international kazakh Murtas Kajgaléïev, qui est aussi écrivain et a déménagé à Tachkent car il n’a pas su résister au charme du théâtre Ilkhom. Depuis qu’il s’est installé chez nous, nous avons décidé de réaliser ensemble des choses qu’on n’osait pas réaliser auparavant. Nous voulons expérimenter de nouveaux formats dans un contexte différent. Nous produisons donc nos spectacles un peu partout : dans des bars, dans des parcs à ciel ouvert, ou sur la scène du théâtre Ilkhom.
Quels sont les auteurs les plus marquants de ces dernières années que devraient faire traduire et publier des éditeurs audacieux pour que les lecteurs francophones aient accès à votre littérature ?
Tout d’abord, je tiens à recommander Soukhbat Aflatouni (pseudonyme de Yevguéni Abdoullaïev, présenté par ici, ndlr), un poète remarquable qui est aussi romancier et auteur de nouvelles. Parmi les poètes de langue ouzbèke, j’admire particulièrement la poétesse Guzal Béguim. En ce qui concerne les écrivains qui nous ont hélas quittés, je voudrais citer Aleksandr Feinberg (1939-2009), considéré comme le poète préféré des Tachkentois, et qui a longtemps animé un atelier d’écrivains russophones dont sont issus la plupart des écrivains contemporains. Enfin, pour ce qui est de la prose, la première place revient sans conteste aux romans historiques d’Alekséï Oustimenko.
Propos recueillis et traduits par Filip Noubel
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