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Tadjikistan : Des dizaines de personnes tuées dans le Haut-Badakhchan

Le Haut-Badakhchan, l'une des régions les plus reculées du Tadjikistan, connaît une nouvelle vague de contestations, réprimées violemment par le gouvernement. Selon les sources, entre 21 et 47 personnes seraient décédées.

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Le Haut-Badakhchan a été victime de plusieurs répressions depuis le 14 mai (illustration).

Le Haut-Badakhchan, l’une des régions les plus reculées du Tadjikistan, connaît une nouvelle vague de contestations, réprimées violemment par le gouvernement. Selon les sources, entre 21 et 47 personnes seraient décédées.

La région du Haut-Badakhchan (GBAO), située dans l’est du Tadjikistan, est le théâtre de violents affrontements depuis le 16 mai dernier. Dernier décès en date, celui de Mamadbokir Mamadbokirov, qui aurait été abattu par un tireur d’élite le 22 mai dernier, décrivent trois sources indépendantes de Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe. Cet ancien commandant des forces d’autodéfense était accusé par le gouvernement de diriger des manifestations prônant l’autonomie de la région.

Dans une déclaration, le ministère de l’Intérieur tadjik affirme quant à lui que le commandant aurait été abattu lors d’un conflit criminel. Mamdbokir Mamadbokirov était une figure au Haut-Badakhchan.  Cette disparition n’est que la dernière après de longs jours d’affrontements. Radio Ozodi décrit que 21 victimes étaient déjà à déplorer le 19 mai dernier. Selon des décomptes effectués par les habitants de Rouchan le 21 mai, les affrontements ont fait 46 morts dans cette seule ville. Cependant, l’ensemble des chiffres communiqués par les deux camps sont impossibles à vérifier. La coupure d’Internet depuis le 17 mai dernier et la diminution des communications compliquent le travail des médias, comme le rappelle le média russe Fergana News.

Des manifestations pacifiques réprimées

Tout commence le 14 mai dernier. Suite à une condamnation à 8 ans et demi de prison pour le champion de MMA Chorchanbe Chorchanbiev originaire de la région, des manifestations pacifiques sont organisées à Khorog, la capitale du GBAO. Les manifestants veulent dénoncer les accusations de persécution et de harcèlement de la part des autorités tadjikes, selon Radio Ozodi.

Bien que la région représente 45 % du territoire, seulement 3 % de la population totale y vit. La population locale à majorité ismaélienne, une des branches chiites de la religion musulmane, est minoritaire face aux Tadjiks sunnites. Selon eux, cette différence confessionnelle serait le moteur de ces discriminations. En réaction à ce mouvement social, le procureur régional Parviz Orifzoda a menacé la population de sanctions sévères, d’après le média The East. Constatant l’ampleur des manifestations, les forces de l’ordre ont ordonné aux personnes présentes de quitter la place avant 16 heures, le 16 mai, sous peine d’y être expulsées par la force.

Comme le décrit le média américain Eurasianet, « obtenir une vérification indépendante pour l’une des réclamations officielles qui ont suivi depuis le début des incidents est presque impossible », puisque la région est très difficile d’accès. Dans la soirée, de nouvelles manifestations sont organisées suite au refus des autorités de demander la démission du président de la région et du maire de Khorog.

Des violences dénoncées par une partie de la communauté internationale

Le 17 mai, Internet est coupé dans la région. Les autorités tadjikes sont coutumières de ce blocage, qui est largement admis comme étant un moyen de lutter contre les possibles dissensions locales. Autour de la ville de Rouchan, tout signal téléphonique était également absent.

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Ce fait n’est pas passé inaperçu auprès de la communauté internationale. Dans une déclaration commune publiée le 18 mai dernier, les ambassades d’Allemagne, de Grande-Bretagne, des États-Unis et de France ont fait part de leur préoccupation concernant la région autonome. Les diplomates mettent en exergue « les rapports d’intimidation et de poursuites contre les citoyens et les journalistes, ainsi que la restriction généralisée évidente de l’accès à l’information, sapent les perspectives d’une désescalade rapide et d’un retour à l’ordre normal ».

Une opération « antiterroriste »

Le même jour, le ministre de l’Intérieur tadjik a annoncé le début d’une opération « antiterroriste» dans le district de Rouchan où, selon le gouvernement, 200 personnes ont bloqué l’autoroute reliant la capitale Douchanbé à Khorog. Alors que le gouvernement dénonce des actes terroristes dans certains districts, la chaîne Télégram Pamir Daily News et le média kazakh Vlast.kz affirment que selon des témoins oculaires, un « nettoyage de masse » dans les villages aurait lieu.

Selon Vlast.kz,  « les personnes armées entrent dans les maisons des civils et y emmènent tous les hommes. Dans le même temps, la population locale enregistre des faits de pillage, notant qu’après le passage de l’armée, l’argent et l’or disparaissent de leurs maisons ». Alors que les confrontations entre les forces de l’ordre et les manifestants dégénèrent régulièrement, le leader de la communauté ismaélienne Karim Aga Khan IV a appelé à « maintenir la paix et être des citoyens respectueux des lois », selon le Talika Mubarak publié le 19 mai dernier.

Une guerre de l’information

Plus largement, l’ampleur exacte de cette crise reste délicate à mesurer du fait des atteintes à la liberté d’expression, qui ne se résument pas aux moyens de télécommunications. Dans une déclaration publiée sur leur site internet, le média tadjik Asia-Plus a annoncé qu’il ne serait plus en capacité de couvrir les manifestations, à cause de pressions gouvernementales. Le seul média indépendant et tadjik dans le pays aurait reçu « un avertissement officiel » qui accuse le média de « déstabiliser la situation dans le pays ». Asia-Plus est l’un des médias les plus populaires du pays, couvrant les évènements à la fois en anglais, en tadjik et en russe.

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Le 17 mai, des journalistes de Radio Ozodi et de Current Time ont été frappés et volés après avoir interviewé la journaliste indépendante Oulfathonim Mamadchoïeva, arrêtée le 18 mai. Dans une déclaration du 17 mai, le ministère de l’Intérieur  a rapporté la décision du procureur du GBAO d’ouvrir une affaire pénale à l’encontre des organisateurs du rassemblement du 16 mai à Khorog. La journaliste faisait partie des personnes concernées par cette enquête. Dans une interview accordée à Fergana News avant son arrestation, Oulfathonim Mamadchoïeva qualifiait ces accusations d’absurdes.

Des affrontements réguliers dans la région

Ces affrontements interviennent alors que le Haut-Badakhchan est étroitement surveillé par les autorités. En novembre 2021, des heurts avaient déjà éclaté après la mort de Goulbiddine Ziyobekov, originaire du district de Rochtkala dans le sud-est du pays. Accusé d’avoir pris en otage l’assistant du procureur du district, il serait mort lors de son interpellation, même si les déclarations divergent selon les versions.

Après quatre jours de manifestations, des négociations entre le gouvernement et les représentants des manifestants ont permis d’arrêter les violences. Cependant, le gouvernement n’a pas tenu ses engagements, créant un climat délétère jusqu’aux manifestations actuelles.

Paul Mougeot
Rédacteur pour Novastan

Relu par Emma Jerome

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