Les conditions d’accueil des touristes, correctes dans la capitale Douchanbé ou à Khodjent, deviennent très rudimentaires dès que les visiteurs s’éloignent en milieu rural. Les villages sont difficiles d’accès, particulièrement dans le Pamir, alors que la région pourrait devenir par la beauté de ses paysages la destination privilégiée des touristes. Des améliorations, nécessaires, apporteraient en outre aux habitants un bien-être qui leur manque souvent cruellement.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 27 septembre 2020 par le média tadjik Asia-Plus.
Le 27 septembre 2020, la journée mondiale du tourisme a été consacrée au thème : « Tourisme et développement rural ». Selon le chef de l’Organisation mondiale du tourisme, Zourab Pololikachvli, il s’agissait de « placer le développement rural au centre de la politique du tourisme grâce à l’éducation, l’investissement et la technologie qui peuvent contribuer à transformer la vie de millions de personnes, à préserver l’environnement et la culture. Cela est particulièrement pertinent dans les conditions de la crise actuelle sans précédent liée à la pandémie de coronavirus », a-t-il affirmé dans un communiqué.
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Le Tadjikistan a devancé l’ONU d’un an, en annonçant les années 2019-2021 comme une période de développement rural, de tourisme et des métiers d’artisanat. En 2020, le gouvernement tadjik a concentré ses efforts sur le tourisme intérieur, en particulier sur la création des infrastructures nécessaires dans le milieu rural. Mais il reste encore beaucoup à faire et il sera nécessaire d’investir des sommes non négligeables pour le développement du tourisme dans les régions.
Chômage et ressources humaines
Le taux de chômage dans les zones rurales du Tadjikistan reste élevé. Dans le secteur agricole, où plus de la moitié de la population active du pays travaille, il n’y a pas de capacité pour créer suffisamment d’emplois afin de répondre à l’offre de main-d’œuvre en croissance rapide. De plus, ce secteur reste peu attrayant en raison de salaires très bas. Pour cette raison, la majorité de la population des villages en recherche active d’emploi part travailler en Russie ou dans d’autres pays.
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Récemment, l’entreprenariat rural a commencé à se développer, notamment avec une agriculture de location, du maraîchage, du commerce, de l’artisanat. Mais en raison de sa faible rentabilité, ce sont principalement les personnes âgées et les femmes qui s’en occupent.
En parallèle, le développement du tourisme agraire, historique, culturel et de montagne, en passant par la renaissance des métiers d’artisanat et la prestation de divers services dans certaines grandes localités et villages pourraient réduire le nombre de chômeurs. Cependant, les jeunes entrepreneurs manquent de soutien, en particulier venant de l’État, pour démarrer leur propre entreprise et permettre son développement.
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La question des ressources humaines se pose également pour le tourisme. Tout d’abord, de nombreux jeunes ne parlent ni le russe ni l’anglais, ce qui les empêchent d’accompagner les touristes étrangers. Les guides et autres personnels de service viennent pratiquement tous de la capitale Douchanbé.
L’état déplorable des routes
Le problème le plus actuel pour toute région rurale du Tadjikistan est l’état déplorable des routes intérieures. Celles qui relient les villages aux centres des districts et aux centres régionaux ainsi que celles à l’intérieur des villages eux-mêmes (les kichlaks) nécessitent de grands travaux. Les routes de montagne sont souvent d’étroites pistes caillouteuses coincées entre paroi montagneuse et ravin, fréquemment coupées par des éboulements, et bloquées par le passage de nombreux troupeaux.
Le pays a pourtant fait des progrès considérables dans la construction des lignes principales, à ce jour, plus de 2 100 kilomètres de grandes routes au départ et autour des villes ont été construits ou reconstruits. Mais les campagnes sont encore délaissées.
Parfois, la population récolte des fonds pour réparer les voies, mais dans les villages isolés et pauvres, c’est tout simplement impossible.
Compte tenu de l’absence de bonnes routes, les ambulances elles-mêmes ne peuvent pas accéder aux malades dans les kichlaks éloignés. Les enfants doivent également parcourir de longues distances à pied pour aller à l’école.
Des transports trop peu nombreux
Les liaisons de transport dans les localités qui se situent à une grande distance de tout centre régional fonctionnent mal. Dans les campagnes, il n’y a pas de compagnies de taxis et de bus. Les chauffeurs locaux jouent le rôle de taxi et se dispensent souvent des licences et des brevets. Leurs services sont chers : en dehors des grands axes, on ne peut circuler qu’en 4×4, voitures qui restent coûteuses à l’achat et à l’entretien. Ajouté à l’état des routes, cela explique le prix élevé d’un transport touristique privé. Les locaux et les touristes choisissent parfois la solution moins coûteuse du taxi partagé, dans lequel le chauffeur entasse un maximum de passagers et de bagages.
En raison de la mauvaise qualité des routes et du coût élevé des services de transport, les producteurs agricoles ne peuvent pas proposer la vente de leurs produits à un prix abordable.
L’état des ponts qui enjambent les nombreux cours d’eau est un autre problème qui rend tout trajet en voiture dans les régions rurales et isolées aventureux. Heureusement, les chauffeurs tadjiks ont une grande expérience pour gérer ce type d’obstacle. Quelques ponts, dans le corridor du Wakhan, entre Tadjikistan et Afghanistan ont toutefois déjà été rénovés. Les transports aériens intérieurs sont quant à eux très limités également.
De l’eau non potable
Une étude de la Banque mondiale estimait en 2017 que 53 % de la population rurale du Tadjikistan n’avait pas accès à l’eau potable. La plupart des villageois boivent de l’eau des sources ouvertes : rivières, canaux, canaux d’irrigation et puits. Certaines sont parfois polluées.
Le système d’approvisionnement en eau se dégrade et disparaît. Le manque d’eau potable conduit à la propagation de diverses maladies.
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Dans un pays qui par ses ressources en eau est parmi les leaders mondiaux, seule l’eau minérale en bouteille est conseillée aux touristes.
Un manque d’infrastructures commerciales et touristiques
Un autre besoin des campagnes est représenté par les institutions publiques, commerciales, éducatives et culturelles dont les villageois ont autant besoin que les touristes. Ce pourrait être des clubs, des bains publics, des coiffeurs, des salons de thé, des gymnases et des terrains de sport, des locaux pour des évènements, ainsi que des structures d’hébergement et de restauration pour les touristes locaux et internationaux.
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Après l’effondrement de l’URSS, les bibliothèques, les clubs, les terrains de sport ont disparu des kichlaks. Des moyens financiers importants sont nécessaires afin de rénover toute cette infrastructure. L’état des postes de secours dans les kichlaks éloignés est également critique : il n’y a pas assez de personnel ni d’équipements de base.
Pour les touristes et autres voyageurs, il n’y a pas assez de toilettes, d’auberges, de cafés et autres installations. En dehors des grandes villes, la notion d’hôtel n’existe pas. Ce sont des auberges, qui proposent quelques chambres et assurent parfois les repas. Dans les villages de dimension moyenne, les chambres sont privées, avec deux lits. Les toilettes sont la plupart du temps une cabane dehors et les repas se prennent, quand ils sont proposés, avec la famille, sur un grand tapis. Dans les secteurs les plus reculés comme les hauts plateaux du Pamir ou les petits villages à l’extrême sud du pays, juste avant la frontière afghane, les lits n’existent pas, les visiteurs dorment sur un tapis, le chauffage est très rudimentaire et il n’y a pas d’eau courante, seul le seau d’eau permet de se laver. Mais l’accueil est toujours chaleureux, les hôtes donnent tout ce qu’ils ont pour un budget minime. Le voyageur qui accepte ces conditions un peu spartiates approche la vie réelle des Tadjiks vivant en milieu rural et en montagne.
Déchets
L’un des problèmes les plus urgents dans le milieu rural est la collecte et le recyclage des ordures ménagères. La population doit gérer les déchets organiques et les utilise parfois comme engrais.
L’enlèvement des plastiques usagés, des lampes à économie d’énergie, des piles, des couches et d’autres déchets reste une tâche insoluble. Les habitants les mettent dans des sacs en plastique et les laissent sur le bord des routes, les dispersent le long des canaux.
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Au contraire de la ville, il n’y a pas de lieux spéciaux pour la collecte des déchets dans les kichlaks. L’enlèvement des déchets n’est pas organisé.
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Dans certains villages plus prospères, les habitants commandent une voiture une fois par semaine et elle enlève les ordures. Cependant, personne ne sait où va la voiture. Le problème de la collecte des lampes à économie d’énergie usagées n’a pas encore été résolu, elles sont simplement jetées dans la pile de déchets.
Ainsi, le Tadjikistan devra user de « cerveaux » et de fonds pour transformer le milieu rural en un objet de tourisme. Il est urgent, dans un premier temps, d’apporter les quelques rénovations indispensables : l’état des routes et des ponts, un minimum de confort dans les lieux d’accueil des touristes. Si le Tadjikistan parvient à réaliser ces investissements urgents, son potentiel touristique deviendra vite très attractif, entre autres grâce aux superbes paysages du Pamir et du corridor du Wakhan, qui laissent apercevoir les villages afghans de l’autre côté de la rivière Piandj, et offrent, à l horizon, de superbes vues sur les chaînes du Karakoram, du Tian Shan, et l’Hindou Kouch.
Souffiddine Karaïev
Journaliste pour Asia-Plus
Traduit du russe par Olga Solovyeva
Edité par Christine Wystup
Relu par Anne Marvau
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