Obstétricienne passionnée, Goulsoum Asfendiyarova a dirigé sa propre maternité et créé des formations pour sages-femmes. En plus de sa double activité de médecin et d’enseignante, elle était engagée politiquement, jusqu’à devenir membre du conseil municipal de Tachkent. TengriMIX revient sur la vie hors du commun de la première femme médecin kazakhe au début du XXème siècle.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 8 mars 2021 par le média kazakh TengriMIX. Il a toujours été difficile d’être la première d’une profession, surtout pour une femme au tournant des XIXème et XXème siècles. Une incroyable passion, une grande persévérance et beaucoup de courage ont été nécessaires à Oumma Goulsoum Asfendiyarova, l’une des premières femmes médecins kazakhes. Bien que le nom des Asfendiyarov soit largement connu grâce au frère cadet – Sandjar Asfendiyarov, l’homme d’État qui a donné son nom à l’université de médecine d’Almaty – c’est Goulsoum qui, la première, l’a associé à la médecine.
Des études prestigieuses
Goulsoum Asfendiyarova naît de parents kazakhs à Tachkent en 1880. Elle est la fille du traducteur militaire Seitjafar Asfendiyarov et de Gouliandam Kasimova, arrière-petite-fille du Khan Abylaï. Son père est au service du gouverneur général du Turkestan. Il prend sa retraite au grade de gouverneur général en 1916. Il est également chevalier de l’Ordre de l’étoile d’or de Boukhara, 1er degré. Tous les enfants de la famille reçoivent une éducation à domicile. Le père de Goulsoum lui permet en outre de poursuivre ses études malgré la forte tradition patriarcale qui domine dans la région. En 1891, elle entre au lycée pour filles de Tachkent, dont elle ressort munie d’un certificat de réussite en 1899.
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En 1897, l’Institut médical pour femmes ouvre ses portes à Saint-Pétersbourg, devenant le premier établissement d’Europe où les jeunes filles peuvent recevoir un enseignement supérieur. Être admise à l’Institut dans la capitale impériale constitue une démarche courageuse et responsable pour une jeune fille de la région du Turkestan, qui quitte son foyer pour la première fois. Goulsoum Asfendiyarova réussit les examens d’entrée et part à 22 ans étudier dans la lointaine capitale avec une autre Kazakhe, Zeïnab Abdroukhmanova, également boursière de l’Institut.
« Fragile mais tenace »
La vie de la jeune fille à Saint-Pétersbourg au début du XXème siècle est empreinte de difficultés. L’Empire est en proie à des révoltes paysannes, à des attentats terroristes visant des hommes d’État, à des manifestations ouvrières qui mènent à des grèves de masse. Loin de chez elle pour la première fois de sa vie, Goulsoum Asfendiyarova doit faire face seule aux difficultés de la vie dans la capitale. Elle est souvent contrainte de jeûner et n’a pas toujours de quoi lutter contre le froid de Saint-Pétersbourg.
En 1906, malgré tout, elle a la chance de voir son père alors qu’il se rend à Saint-Pétersbourg avec des envoyés de Boukhara. Au cours de sa dernière année à l’Institut, la jeune fille reçoit la visite de son jeune frère Sandjar, qui veut, tout comme sa sœur, entrer dans une université de médecine, mais se retrouve par un concours de circonstances parmi les cadets de l’Académie de médecine militaire. La jeune fille, fragile mais tenace, est soutenue en tout point par les hommes de sa famille.
Un choix audacieux
Goulsoum Asfendiyarova réfléchit sérieusement à son futur travail en tant que médecin dans sa région natale et à son engagement au service de la population. Elle rédige alors deux requêtes pour obtenir un poste de médecin de famille dans le district militaire du Turkestan. Elle adresse la première à la direction médicale militaire du Turkestan : « Achevant le cours de l’Institut médical pour femmes de Saint-Pétersbourg et connaissant bien les langues kirghize et sarte, j’aimerais infiniment travailler auprès de ce peuple qui m’est proche.Je vous demande humblement de me nommer médecin du village de Tamerlanovka dans l’ouïezd de Tchimkent (aujourd’hui Chymkent, ndlr). » Goulsoum Asfendiyarova a l’audace d’adresser la deuxième lettre, demandant un emploi dans le même village, directement au tsar Nicolas II : « Ayant le désir d’entrer au service de Votre Majesté en tant que médecin dans le district militaire du Turkestan, dans le village de Tamerlanovka de l’ouïezd de Tchimkent, dans la région de Syr-Darya, je demande par la présente lettre qu’il soit ordonné d’accepter cette requête et de me nommer comme susmentionné au service du district militaire du Turkestan. »
Au service du peuple
La requête de Goulsoum Asfendiyarova est satisfaite en moins d’un mois. Elle est engagée dans la fonction publique et nommée médecin dans un petit dispensaire du village de Tamerlanovka, où elle prend en charge à elle seule environ huit mille patients. Lire aussi sur Novastan : Plongée dans l’Asie centrale des années 1910 Après plusieurs années de dur labeur, elle est transférée dans l’antenne médicale du village de Pop, où les conditions de travail sont légèrement moins pénibles, mais dont les normes sanitaires nécessitent également une amélioration considérable. La pauvreté de la population et l’absence de médicaments accessibles amènent Goulsoum Asfendiyarova, professionnelle soucieuse, à inspecter en personne les logements des patients et à s’entretenir avec la population rurale de l’hygiène personnelle et des soins de santé.
À l’invitation du grand vizir
En 1912, la construction de l’hôpital municipal se termine dans le khanat de Khiva et le grand vizir de la région invite Goulsoum Asfendiyarova – par l’intermédiaire de son père – à y travailler. Seitjafar Asfendiyarov, après avoir remis à sa fille la missive du grand vizir, reçoit en réponse cette lettre : « CherPapa,À votre lettre du 14 novembre concernant les conditions dans lesquelles je pourrais intégrer l’hôpital de Khiva, dont les activités débutent au mois de juin de l’année 1913 prochaine, en tant que femme médecin, je peux répondre ce qui suit :1) Je travaille dans le service public russe depuis quatre ans en tant que médecin et je m’attends à recevoir une pension de ce gouvernement à la fin de mon service pour assurer ma vieillesse.2) Actuellement, dans ce service, je dispose d’un salaire annuel de 2 680 roubles et 59 kopecks, d’indemnités pour les repas, d’un interprète, de remboursement de frais, et à partir du mois de juin de l’année prochaine, je recevrai un paiement supplémentaire par rapport aux cinq premières années d’un montant de 20 % de mon salaire, soit 290 roubles. En tout, à partir de juin prochain, je recevrai 2 970 roubles.J’habite sur la ligne de chemin de fer, et ai donc beaucoup de plaisir à pouvoir communiquer avec vous. Vous m’avez envoyé une lettre de l’honorable Vizir Akbar Islam Khodja, dans laquelle Son Excellence vous demande de m’informer des conditions dans lesquelles je peux servir à Khiva dans l’hôpital nouvellement ouvert. Cette question m’a mise dans une position très difficile car les effectifs des institutions telles que les hôpitaux, les hôpitaux militaires et les cliniques sont élaborés à l’avance et publiés dans le domaine public.Si les conditions qui me sont proposées sont différentes de celles qui ont été énoncées, je me trouverai dans une position très délicate, et je ne peux donc pas vous répondre maintenant. Cette question, comme je le crois, pourrait être la faveur gracieuse de Sa Grâce le Khan Khazreti.Je vous prie, papa, d’informer Son Excellence le Vizir Akbar Islam Khodja de tout cela en réponse à la lettre qu’il vous a adressée le 25 octobre de cette année.J’ai été extrêmement flattée par l’offre généreuse qui m’a été faite d’occuper un poste à l’hôpital pour femmes de Khiva, dans lequel il n’y avait guère de femmes médecins auparavant.Si ma nomination à Khiva a lieu par la grâce du Khan Khazreti, je serai très heureuse d’avoir l’occasion de travailler de bonne foi au profit de la population musulmane de mon pays, et d’essayer de mériter la haute attention du Khan, des dignitaires qui sont sous les ordres de Son Excellence, ainsi que la confiance et la faveur du peuple de Khiva.Oumma Goulsoum Asfendiyarova, qui vous aime sincèrement. » Cette lettre en dit long sur le caractère de la jeune fille et sur le respect qu’elle portait à son père, qui lui aussi la traitait avec beaucoup de révérence.
Vocation pour la médecine obstétrique
En 1913, l’hôpital municipal du khanat de Khiva ouvre ses portes et Goulsoum Asfendiyarova commence à travailler en tant qu’assistante obstétricienne sous la supervision d’un médecin expérimenté. Elle est incroyablement enthousiaste à propos de son nouveau poste, et aide volontiers la population malgré le financement médical local misérable. C’est à l’hôpital municipal de Khiva que Goulsoum Asfendiyarova pratique la toute première césarienne de la région, sauvant ainsi une mère et son bébé. Lire aussi sur Novastan : Comment l’émirat de Boukhara et le khanat de Khiva ont été détruits par les Bolcheviks Cependant, en 1914, en raison de l’entrée de la Russie dans la Première Guerre mondiale, Goulsoum Asfendiyarova est contrainte de retourner à Tachkent à la demande de son père, qui est lié à l’armée. Avec son aide, elle réussit à ouvrir à Tachkent son propre service de gynécologie-obstétrique de 30 lits. En plus de son travail médical à Tachkent, elle rejoint la vie politique. En 1918, elle est déléguée de Tachkent au congrès panrusse des femmes musulmanes. Elle est également élue membre du Bureau central provisoire d’organisation des femmes musulmanes de Russie.
Engagement politique, enseignement et sensibilisation de la population
Après son retour à Tachkent, Goulsoum Asfendiyarova continue son travail médical en tant que directrice de la maternité de la ville et participe en même temps à la vie politique de la région du Turkestan, aidant son frère Sandjar à organiser l’aide aux plus défavorisés.
En 1920, Goulsoum Asfendiyarova crée des formations de sages-femmes, soutenues par le Bureau musulman, et donne personnellement des cours sur la physiologie des femmes enceintes. Un peu plus tard, les cours sont transférés à l’école technique médicale de Tachkent, où elle enseignera pendant de nombreuses années.
Elle réussit à combiner l’enseignement avec son nouveau travail à l’hôpital pour enfants de Tachkent, qu’elle commence en 1922. Goulsoum Asfendiyarova est également élue membre du conseil municipal, continue à sensibiliser la population à l’importance des soins de santé et écrit des articles dans des revues sur les questions de santé maternelle et infantile.
Une fin de carrière inconnue
Goulsoum Asfendiyarova ne se mariera pas et n’aura pas d’enfants. Elle consacrera sa vie entière à la médecine et au service du peuple. Malheureusement, les dernières années de sa vie sont peu connues, car elle se retire de la vie publique après que son jeune frère Sandjar a été déclaré ennemi du peuple. Néanmoins, le nom et la mémoire d’Oumma Goulsoum Asfendiyarova font partie intégrante de l’histoire du peuple kazakh. Malgré de nombreux obstacles sur son chemin, Oumma Goulsoum Asfendiyarova est devenue non seulement la première femme médecin kazakhe, mais a également apporté une contribution importante au développement de la médecine et aidé des milliers de femmes à donner naissance.
La rédaction de TengriMIX
Traduit du russe par Lou Fejer
Édité par Laure de Polignac
Relu par Anne Marvau
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