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Kazakhstan : quand l’État promeut une vision obéissante de la femme

Au Kazakhstan, les autorités ne manquent pas d’incohérence : si elles promeuvent officiellement l’égalité des sexes, elles soutiennent aussi financièrement des dizaines de projets qui prônent l’obéissance des femmes. La brochure « Le mariage, une affaire délicate ! Choisir un compagnon de vie », publiée à la demande du Centre du soutien familial est l’un des exemples de projet faisant polémique. Les valeurs moyenâgeuses dudit document n’ont pas manqué de révolter la journaliste Aïssoulou Toïchibiekova.

Kazakhstan mariage couple
Au Kazakhstan , les autorités ne manquent pas d'incohérences dans le domaine du mariage (illustration).

Au Kazakhstan, les autorités ne manquent pas d’incohérence : si elles promeuvent officiellement l’égalité des sexes, elles soutiennent aussi financièrement des dizaines de projets qui prônent l’obéissance des femmes. La brochure « Le mariage, une affaire délicate ! Choisir un compagnon de vie », publiée à la demande du Centre du soutien familial est l’un des exemples de projet faisant polémique. Les valeurs moyenâgeuses dudit document n’ont pas manqué de révolter la journaliste Aïssoulou Toïchibiekova.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 26 mai 2020 par le média kazakh Vlast.kz.

Officiellement, l’État kazakh soutient l’égalité hommes-femmes. Mais dans le même temps, des projets visant à valoriser l’obéissance des femmes sont toujours financés. C’est notamment le cas d’une brochure intitulée « Le mariage, une affaire délicate ! Choisir un compagnon de vie ». La brochure provocante, rédigée par Madina Baïbolova et publiée grâce à des fonds publics, tente d’influencer l’attitude des jeunes femmes en âge de se marier.

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Elle traite du mariage, de la famille, du rôle de la femme et de son énorme responsabilité. La brochure s’adresse aux jeunes femmes, « qui souhaitent trouver leur moitié et fonder une famille forte, ainsi qu’à tous ceux et celles qui s’intéressent aux questions du mariage et de la famille en général ». C’est du moins ce que prétend le document. Cependant, il est évident que l’autrice vise uniquement les jeunes femmes dans le but de leur inculquer  « ce qu’elles devraient faire pour réussir leur mariage ».

Pour autant, la brochure ne définit pas le mariage comme le but de toute une vie et recommande de se libérer de l’adage « le temps perdu ne se rattrape plus ». En dépit de cet éclaircissement, le contenu du texte ne va certainement pas empêcher les militantes féministes de critiquer de manière véhémente ce document d’un autre temps.

Pour se marier, « il faut se rendre digne de l’amour d’un homme »

Chaque page traite d’un sujet différent concernant la préparation d’une femme au mariage. Une jeune fille doit répondre à toute une série de critères pour se rendre digne de l’amour d’un homme et pouvoir se marier.

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La brochure « Mariage est une affaire délicate. Choisir un compagnon de vie ».

La lectrice se voit analysée sous le prisme de ce qu’elle peut apporter au mariage, comme cela pourrait être le cas lors d’un entretien d’embauche. Des qualités telles que la sagesse, la compassion et la gentillesse s’opposent à l’infantilisme, au caprice et à l’égoïsme. Les femmes doivent apprendre à combattre leurs défauts et à cultiver leurs qualités.

Millennials, une génération gâtée

L’autrice s’en prend directement aux Millennials, génération qu’elle considère comme narcissique, gâtée et égocentrique, et minimise leur originalité et leur potentiel. Madina Baïbolova écrit ainsi que « les gens ne respectent plus les droits d’autrui, mais imposent qu’on les respecte et qu’on les comprenne » dans la brochure où elle fait la liste des caractéristiques exigées pour une future mariée. Une liste unilatérale qui ne prend en compte que les intérêts de l’homme et de ses parents.

L’autrice poursuit avec un verdict accablant : « les statistiques de divorces entre jeunes diplômés d’universités prestigieuses, à qui les parents ont tout donné au point d’en faire des monuments d’égocentrisme, font peine à voir ».

En réalité, ce ne sont pas tant les divorces de ces jeunes gens qui sont tristes, mais la façon dont l’autrice tente d’éblouir les jeunes filles pour leur inculquer le devoir de tout supporter et d’abandonner leurs ambitions pour devenir l’épouse parfaite. Tout au long des 19 pages de ce manuel à la gloire de la soumission des femmes, Madina Baïbolova dépeint l’homme comme au centre de tout, idéal que toute femme doit viser et, bien sûr, respecter en toutes circonstances.

« Faites attention à l’énergie que vous dégagez »

Pour rendre plus efficace ce lavage de cerveau, l’autrice parle en abondance de condition féminine, tendresse et autres stupidités pseudo-ésotériques sur l’énergie entre hommes et femmes. Par exemple, si vous ouvrez une porte sans attendre qu’un homme le fasse pour vous, vous manquez de féminité. Car l’homme ressent l’énergie que vous dégagez ; or, c’est lui le chasseur énergique, pas vous.

« L’homme est un chasseur par nature. Il remarque une femme bien avant qu’elle ne le remarque. Cette faculté lui permet d’évaluer rapidement comment elle se comporte dans la vie : comment elle parle, s’habille, quel regard elle a et avec quelles personnes elle s’associe », décrit la brochure. « Si ces éléments lui déplaisent, il ne se manifestera pas à elle. Souvenez-vous qu’un homme de qualité ne confiera son bonheur qu’à celle qui le rendra heureux », ajoute le texte.

La brochure ne se singularise pas que par sa stupidité, elle provoque également une tempête d’émotions négatives. Elle n’a plus sa place en 2020, ni même dans les décennies précédentes, car elle définit l’essence de la relation entre une femme et un homme à une relation de troc, dans laquelle la femme occupe toujours une position inférieure.

« Adaptez-vous, remettez-vous en question »

Le ton humiliant que Madina Baïbolova utilise pour apprendre aux filles à s’adapter aux hommes frappe en ce qu’il se présente comme la norme. « Adaptez-vous, remettez-vous en question, soyez une source de confort et de patience dédiée à un homme, c’est sans aucun doute la seule façon d’obtenir son amour... « , décrit la brochure.

Et si vous réussissez, le chemin à travers les sept cercles de l’enfer féminin ne fait que commencer, car une femme doit poursuivre ses efforts après le mariage : être douce, patiente, sexy, toujours attrayante, le cœur et l’âme ouverts, prête à admirer les idées de son mari et à attendre son retour à toutes les heures de la nuit.

Abandonner ses ambitions au nom du mariage parfait

L’autrice écrit avec le plus grand sérieux que pour garantir la tranquillité d’esprit de leur mari, les femmes devraient abandonner leurs ambitions professionnelles dans le but de devenir indépendantes et cela pour consacrer plus de temps au ménage, quitte à gagner moins.

« La meilleure opportunité professionnelle pour une femme mariée est un emploi d’indépendante, par exemple en ligne, via Instagram, en coaching, en tout cas avec un horaire libre. L’homme pourra alors rentrer chez lui et retrouver quelqu’un qui l’attend avec impatience et lui a préparé de quoi manger et le divertir, plutôt que quelqu’un qui sort crevé d’une journée de travail », décrit Madina Baïbolova.

L’objectif des autorités : la diminution des divorces

Avec plus ou moins de subtilité, l’autrice enseigne aux jeunes femmes que le divorce est négatif, que le mariage est un acte définitif. Ce principal moral sert les intérêts de l’État, qui s’empresse donc de fournir des subventions. La fondation à l’origine de cette brochure n’est d’ailleurs pas la seule à diaboliser le divorce.

L’Union des centres de crise du Kazakhstan a par exemple reçu une subvention de 300 millions de tengués (600 000 euros) pour mettre en œuvre un projet visant à ouvrir des centres de soutien psychologique pour les couples en cours de divorce, leur conseillant autant que faire se peut une réconciliation. Pour justifier la fin, à savoir la réduction du nombre de divorces, tous les moyens sont bons.

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En réalité, le nombre de mariages enregistrés n’est pas plus un indicateur de la réussite de la stratégie des autorités que le divorce n’est un indicateur de leur échec. L’État kazakh ne sait d’ailleurs plus que faire et finit par se contredire : certains documents officiels vont dans un sens, d’autres à l’opposé.

Le divorce souvent considéré comme un échec de la femme

Le concept de politique familiale et d’égalité des sexes au Kazakhstan à l’horizon 2030 est un document qui indique que l’égalité des sexes contribue à accroître la responsabilité de tous les membres de la famille pour « les fonctions domestiques, économiques, morales, éducatives, protectrices et d’autres fonctions importantes » au sein du cercle familial. C’est-à-dire qu’avec les mêmes droits et responsabilités, les membres de la famille peuvent prendre des décisions éclairées qui doivent être respectées à l’intérieur et à l’extérieur de ce cercle.

Cependant, dans les faits, la politique des autorités publiques considère que les femmes sont plus responsables de la sécurité de la famille. Comment expriment-elles cette position ? En soutenant des projets comme celui de la brochure. Au lieu de promouvoir réellement l’égalité des sexes, l’État s’évertue à dissuader les divorces. Et s’engage à faire baisser de 25 % le nombre de divorces d’ici 2030. Or, le problème est ailleurs : dans la société kazakhe, le mariage demeure un gage de qualité de vie sociale.

L’État n’est pas en faveur de la cause des femmes

Au lieu d’encourager l’égalité des sexes et d’aider les femmes à s’affranchir de la tutelle sociale et financière des hommes et du mariage, l’État dépense ainsi des millions pour stigmatiser le divorce, intimider autant que possible les couples qui y songent et leur imposer une pression psychologique. Le constat actuel est sans appel : les organisations qui promeuvent les stéréotypes sexistes et encouragent les filles à assumer les responsabilités du ménage sans prendre part aux décisions familiales se voient octroyer des subsides pour leurs projets. Ce n’est certainement pas le Kazakhstan dans lequel des milliers des femmes auraient envie de vivre.

Aïssoulou Toïchibiekova
Journaliste pour Vlast.kz

Traduit du russe par Pierre-François Hubert

Edité par Gulafiya Chatayeva

Relu par Anne Marvau

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