Dans la capitale kirghize, des centaines de personnes se sont réunies pour une marche à l’occasion de la journée mondiale des droits des femmes. Cependant, au Kazakhstan, les autorités ont interdit un rassemblement et procédé à des arrestations de militantes féministes.
En cette journée du 8 mars, une marche pacifique pour les droits des femmes s’est tenue à Bichkek. Elle a été organisée par des militantes de l’association locale Initiatives Féministes de Bichkek, d’après Radio Azattyk, la branche kirghize du média américain Radio Free Europe.
La marche a commencé à midi devant l’ancien bâtiment du ministère des Affaires étrangères, près de la Vieille Place. Elle s’est poursuivie pendant une heure jusqu’au parc Maxime Gorki.
Les organisatrices ont noté que le 8 mars était la journée de solidarité pour toutes les femmes, qu’elles travaillent à domicile, au bureau ou en usine, pour défendre leurs droits sociaux, économiques et politiques.
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« Pas de droits, pas de progrès »
Selon plusieurs sources, entre 300 et 500 personnes ont participé à la marche. D’après la police locale, le nombre est estimé à plus de 150.
Différents slogans ont été scandés durant la manifestation. Les pancartes affirmaient : « Les femmes continuent d’être tuées », « Nous avons besoin de sécurité, pas de fleurs », « L’avortement est une décision personnelle, pas un débat juridique », « Une fille soutient une autre fille », ou encore, « Pas de droits, pas de progrès ».
D’autre part, un hymne en l’honneur des droits des femmes a été chanté, relate Kaktus. Selon le service de presse de la police de Bichkek, près d’une centaine de policiers ont été déployés afin d’assurer l’ordre public et la sécurité des participants et participantes.
L’inefficacité du système dénoncée
Pendant l’événement, Roza Jekchenova, la mère d’Aïjan Alykoulova, une jeune fille tuée brutalement par son conjoint en février 2024, a pris la parole. Elle a souligné l’importance de cet événement en raison de la montée des violences envers les femmes et les décisions de justice jugées injustes dans ce type d’affaire. « Dans le monde d’aujourd’hui, les femmes sont plus fortes que les hommes et agissent plus, mais malgré cela, elles subissent des pressions et de la discrimination », a-t-elle déclaré.
Sa fille parlait cinq langues et a travaillé à l’étranger pendant de nombreuses années, envoyant de l’argent au pays.
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Interrogée par le média 24.kg, l’ex-médiatrice du Kirghizstan, Atyr Abdrakhmatova, également présente lors de cette marche, a affirmé que grâce à celle-ci, les femmes et les filles disposent d’une plate-forme pour traiter les problèmes de discriminations de genre et les faits de violence.
« La violence touche déjà presque toutes les familles. Dans chaque famille, une fille ou un enfant en a souffert. Il y a une compréhension du problème et une atténuation des réactions agressives à notre marche. Même les forces de l’ordre disent qu’ils se sont trouvés dans de telles situations et qu’ils ne pouvaient pas protéger. Ils comprennent déjà qu’en fait, le système ne protège aucun d’entre nous, malheureusement. […] Toutes les filles du Kirghizstan devraient être protégées. Aborder le sujet, parler, ne pas se taire, ce n’est pas une honte. Chaque fille et chaque femme doit comprendre que personne n’a de droits sur son corps et son âme », selon ses mots.
Un programme d’Etat pour le leadership féminin
La marche pacifique s’est terminée par l’hymne kirghiz. Aucun trouble à l’ordre public n’a été constaté.
La veille de l’événement, le président Sadyr Japarov a adressé un message de félicitations à la gent féminine pour la journée du 8 mars, notant leur rôle important dans la société et exprimant sa gratitude pour leur contribution au développement du pays. Il a déclaré : « Le Kirghizstan adhère fermement aux principes de l’égalité des sexes, de l’autonomisation des femmes, qui est la clé du développement durable du pays. »
Le chef de l’Etat a fait savoir que le pays mettait en œuvre un programme national visant à promouvoir le leadership des femmes jusqu’en 2030, afin d’assurer la participation active des femmes à l’économie et à la vie publique, ainsi qu’à développer leur potentiel et à renforcer leur indépendance financière.
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Il a également rappelé que cette année, le Kirghizstan célèbre le centenaire du mouvement des femmes, qui constitue une étape importante dans la reconnaissance des réalisations des femmes kirghizes dans divers domaines. « Votre gentillesse, votre attention, votre sagesse et votre clairvoyance constituent une base solide pour la stabilité et la prospérité du Kirghizstan. Eduquer les générations futures, préparer les jeunes aux épreuves de la vie, préserver les traditions des ancêtres – tout cela est possible grâce à votre excellent travail », a-t-il dit.
Une recrudescence des violences domestiques l’année dernière
Le ministère kirghiz de l’Intérieur a rapporté que sur les dix premiers mois de 2024, 14 293 cas de violences domestiques ont été enregistrés dans le pays, soit 37,2 % de plus qu’en 2023.
La médiatrice Jamilya Jamanbaïeva a noté que, bien que le Kirghizstan ait été l’un des premiers pays d’Asie centrale à adopter une loi sur la protection contre les violences domestiques en 2003, le nombre de cas n’a fait qu’augmenter ces dernières années.
D’autre part, le bureau du procureur général a signalé qu’au cours des deux dernières années et demie, 34 femmes sont mortes au Kirghizstan des suites de violences domestiques, selon des informations obtenues par Radio Azattyk.
Une manifestation interdite au Kazakhstan
Du côté du Kazakhstan, mi-janvier, la mairie d’Almaty a refusé d’autoriser un groupe de militantes féministes à organiser un rassemblement pour le 8 mars. Dans leur réponse, les autorités municipales ont évoqué une « menace à l’ordre public », sans donner de précisions.
Sur Instagram, les organisatrices ont déclaré qu’elles envisageaient de faire appel de la décision. Selon elles, il s’agit de la 15ème tentative d’organiser un rassemblement et une marche.
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L’année dernière, le bureau du maire d’Almaty a déjà refusé un rassemblement et une marche pour le 8 mars sur le thème « Liberté et sécurité des femmes kazakhes », avec un motif similaire, selon le média kazakh Vlast. Interrogé par ce dernier, la mairie a rapporté qu’au cours des actions, les organisatrices et les participants « se sont écartés à plusieurs reprises des thèmes déclarés et, dans leurs discours, y ont substitué d’autres concepts. »
La mairie a affirmé avoir reçu une vingtaine d’appels avec des demandes catégoriques de ne pas autoriser le rassemblement, et plus de 100 documents sur le rejet et l’interdiction des actions féministes ont été publiés sur les réseaux sociaux. « Dans les appels qui nous sont adressés et dans les messages sur les réseaux sociaux, il est allégué que ces citoyennes, lors des actions dédiées à la Journée internationale de la femme, se cachant derrière la lutte pour les droits des femmes, en fait, ont promu des valeurs non traditionnelles qui nous sont étrangères : les relations et les mariages homosexuels, les symboles LGBT », selon leurs déclarations.
Dernière manifestation autorisée en 2021
Certaines militantes ont manifesté à plusieurs reprises afin de réclamer le droit d’organiser une marche, en vain.
Dans le même temps, les autorités municipales ont autorisé un rassemblement « pour une vie décente pour les femmes ! » le 7 mars 2024, dans le parc Gandhi. Il a été organisé par Bibinour Cheralieva, la fondatrice de la maison sociale Rahym pour les femmes en situation difficile et membre du conseil public régional de la famille et de la protection sociale, sous le parti au pouvoir Amanat.
La dernière fois qu’une marche et un rassemblement pour le droit des femmes ont été autorisés à Almaty pour un 8 mars, c’était en 2021, a rappelé Radio Azattyq, la branche kazakhe de Radio Free Europe. Le cortège, ayant réuni environ un millier de personnes, avait défilé sans incident.
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Cette année, d’autres villes du Kazakhstan ont autorisé des rassemblements pour la journée des droits des femmes, menés par des représentantes d’organisations gérées par l’Etat.
Des militantes arrêtées
La veille du 8 mars, Janar Sekerbaïeva, cofondatrice de Feminita, un collectif de féministes LGBT+, a été arrêtée par la police à Almaty. Elle a été accusée d’avoir enfreint la procédure de tenue des rassemblements pacifiques en ayant participé à une manifestation en mai 2024. Un tribunal a placé la militante en détention administrative pendant dix jours.
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Pour un chef d’accusation similaire, une autre militante féministe, Aktorgyn Akkenjebalasy, a été placée en état d’arrestation, avec la même durée de détention.
Janar Sekerbaïeva a été libérée le 10 mars. Quant à Aktorgyn Akkenjebalasy, ce sera pour le 13 mars.
William Onkur
Rédacteur pour Novastan
Relu par Charlotte Bonin
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