Une entreprise ouzbèke a élaboré une marmite en fonte qui se vend de plus en plus à l’étranger. Fergana News s’est entretenu avec le directeur des exportations.
Les produits traditionnels de cuisine ouzbèke, dont le lieu où est disposé le chaudron, dit otchag, font une percée remarquable sur le marché international et séduisent de plus en plus de consommateurs.
L’otchag se retrouve dans plusieurs régions d’Asie centrale. Malgré des différences culturelles, les peuples centrasiatiques aspirent tous à l’harmonie, au bonheur, au confort et à la chaleur familiale. Symbole de ce lien culturel, l’otchag unit et réchauffe les personnes, cultive l’espoir et leur permet de cuisiner.
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Les historiens font remonter l’otchag à des temps immémoriaux, à une période où une cavité dans le sol était creusée, où l’on empilait du bois dedans et où l’on posait un chaudron sur le dessus. Petit à petit, l’otchag s’est transformé et est devenu ce four tant estimé. Mais ce four, constitué de briques, est difficilement transportable.
Un concept innovant qui mêle traditions et cuisine ergonomique
Si auparavant les anciennes générations d’Asie centrale vivaient majoritairement au même endroit, aujourd’hui le monde a changé : pour le travail, pour tenter leur chance ailleurs, les jeunes générations centrasiatiques sont amenées à partir loin du foyer parental et à s’établir dans un autre pays, voire sur un autre continent. Dans cet autre lieu, où l’organisation de l’espace domestique est très différente, la nostalgie de la culture d’origine peut se faire sentir.
À la question : est-ce qu’il serait envisagable de transporter son otchag avec soi ? Il semblerait que oui, car il existe des otchag transportables.
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Ce concept a été développé par l’entreprise ouzbèke Davr Metall. Située à Namangan, dans l’Est du pays, sur la bordure Nord de la vallée de Ferghana, elle produit divers ustensiles de cuisine, tels que des chaudrons, des rôtisseurs, des sajaï et des otchag. Pour mieux comprendre la percée de ces ustensiles sur la chaine d’approvisionnement mondiale, Fergana News a interrogé Choukhrat Toursounov, directeur du département des exportations de Davr Metall.
Officiellement, l’entreprise a été ouverte en 1993. Mais l’histoire a commencé bien plus tôt, avec la création de clous ordinaires. En 1991, quand l’URSS s’est effondrée, les anciennes républiques soviétiques se sont retrouvées seules face à elles-mêmes. C’est à ce moment-là que le fondateur de l’entreprise décide de revendre les clous arrivés de Russie en Ouzbékistan. Désireux de développer l’industrie locale en Ouzbékitan, il ouvre sa propre compagnie, et c’est là que l’histoire commence véritablement.
Fergana News : Pourquoi la compagnie s’appelle-t-elle Davr Metall, que cela signifie-t-il ?
Choukhrat Toursounov : Il y a une arrière-pensée philosophique dans ce nom. « Davr », en ouzbek, signifie le temps, l’époque ou la période. « Metall », ici, signifie tout simplement quelque chose de solide, qui a de la flexibilité et de la force, qui est difficile à détruire. Le fondateur, Abdoulkhodi Samatov, a souhaité illustrer la ténacité et l’espoir de longévité de l’entreprise.
Comment s’est déroulée la transition de la fabrication de clous à la production plus vaste d’ustensiles de cuisine ?
En 1995, nous avons ouvert notre première fonderie. À partir de ce moment-là, nous avons produit des objets en fonte et en acier. Au début, nous produisions des pièces diverses : vannes de gaz et d’eau, puis nous avons commencé à travailler pour des usines de tracteurs et de machines agricoles.
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Plus tard, dans les années 2000, nous avons commencé à fabriquer des chaudrons.
Par la suite, le fils de notre fondateur, Dilmourod Samatov, a pris la direction de notre compagnie et a réussi à l’agrandir en ouvrant quatre autres usines.
Comment cela vous est-il venu à l’esprit ? Vous produisiez des petites pièces détachées, des choses de grande dimension, solides, et du jour au lendemain des chaudrons ?
Un acheteur s’est déplacé quelques fois de Russie et nous disait qu’il avait absolument besoin de chaudrons. En consultant diverses sources historiques, on s’est aperçu que c’est à Namangan qu’étaient fabriqués les chaudrons en fonte. Nous étions déjà spécialisés dans la production industrielle, c’était une nouvelle opportunité et nous avons donc commencé à en produire.
Mais cela n’a pas été si simple, contrairement à ce que l’on pourrait croire, car nos tous premiers chaudrons n’étaient pas assez travaillés, pas esthétiques.

D’ailleurs, afin d’améliorer continuellement nos produits, nous conservons encore aujourd’hui d’anciens exemplaires de chaudrons dans notre entrepôt. Le premier exemplaire de la machine rapportée de Russie par notre fondateur Abdoulkhodi Samatov a aussi été conservé, ainsi que les premiers clous fabriqués et les premiers clous rapportés de Russie.
Vous nous avez dit que les premiers chaudrons n’étaient pas esthétiques, pourquoi ?
Au départ, tout se faisait à la main, et le risque, c’est que le facteur humain ait une incidence sur la qualité du produit. Adopter la méthode « hand made », c’est accepter que chacun des produits ait sa particularité. Les produits fabriqués dépendaient souvent de l’humeur de son artisan, de son état de santé et de fatigue, du pied sur lequel il s’était levé le matin. À présent, nous avons automatisé le processus, mais l’intérieur, le meulage et les finitions se font à la main.
Au départ, aviez-vous des concurrents ?
Oui, nous en avions. D’autres entreprises produisaient la même chose, mais pour un prix moins onéreux. Les acheteurs souhaitaient naturellement des prix plus bas. Cependant, nous ne pouvions pas compromettre la qualité, car cela aurait nui à notre réputation. Nous avons donc amélioré la qualité, mais les coûts sont devenus plus élevés.
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Pour résoudre ce dilemme, nous avons investi dans de nouvelles machines et technologies de moulage, optimisé et perfectionné le processus de fabrication. Cela nous a permis d’augmenter nos volumes de vente et de maintenir une qualité élevée tout en offrant des prix compétitifs.
Sur votre site, il est écrit qu’en 2010 votre entreprise a lancé une chaîne de production d’acier galvanisé et plus tard une autre d’armatures. Qu’est-ce que vous produisez aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous avons quatre usines à Namangan qui sont très polyvalentes. Dans la première usine créée, nous fabriquons des produits en fonte, des clous, des fils galvanisés et des fils de différents diamètres. Elle travaille encore aujourd’hui principalement pour l’export.
La deuxième est consacrée à l’importation : on y produit des armatures, des électrodes et surtout, on y travaille la pierre de travertin et le granite, et nous y fabriquons également des agglomérats. Dans la troisième usine, on trouve des productions métallurgiques et de béton.
Enfin, la quatrième est consacrée à l’extraction de pierre qui est ensuite travaillée dans la deuxième usine. À l’avenir, nous envisageons l’ouverture d’une cinquième usine, en 2026, qui serait chargée des productions en fonte et d’otchag.
D’accord. Mais au départ, la production nationale intéressait le demandeur principal ?
Il y a quelques années, nous avons lancé notre atelier de soudure, dans lequel étaient fabriqués des otchag, des mangals, des trépieds, des anneaux spéciaux qui s’adaptent à différents formats de chaudrons. Vous pouvez aussi bien opter pour des chaudrons de dix litres que pour des otchag de 22 litres. En fonction des demandes des clients, il est tout à fait possible d’assembler le chaudron avec l’otchag, qui ont des dimensions différentes, en déposant un anneau d’adaptation.
Où exportez-vous vos productions ?
Bien sûr, nous les exportons vers les pays des États membres de la Communauté des États indépendants et avant tout vers la Russie, qui est notre partenaire principal. En Russie, 140 millions de personnes utilisent, depuis l’époque soviétique, la vaisselle en fonte pour cuisiner, car, en plus d’être considérée comme moins dangereuse, elle est appréciée pour sa durabilité et sa capacité à améliorer le goût des aliments cuits.
De plus, nous exportons progressivement vers l’Union européenne et vers l’Amérique. Nos productions sont même présentes sur la célèbre plage Brighton Beach à New York, connue pour sa forte concentration de diasporas russes.
Mais ces dernières années, c’est vraiment vers l’Union européenne que les exportations ont augmenté, elles arrivent presque à égalité avec celles vers la Russie. Le bouche-à-oreille nous permet de nous faire un nom et une place, et d’année en année, la demande au sein de l’Union européenne ne fait qu’augmenter.
Par exemple, j’ai entendu qu’en Allemagne, il y avait des demandes de bechiks (berceaux traditionnels et peints), de matelas traditionnels cousus, de suzani et d’assiettes en céramiques originaires de Richtan.
Est-ce que vous avez déjà rencontré des problèmes de livraison ?
Non, nous n’avons aucun problème de ce point de vue-là, grâce à d’excellents partenaires et en particulier Posylka.de. Cependant, nous avons eu de drôles de mésaventures, mais qui n’avaient pas vraiment de lien avec notre business.

Un jour, nous avons envoyé une commande vers la Bulgarie. Lorsque le véhicule était à la frontière, il a été arrêté et fouillé. Après quelques minutes, le chauffeur a été informé du fait que des réfugiés s’étaient glissés à l’arrière du camion, dans la cargaison. Il s’est avéré que les deux jeunes filles avaient réussi à monter dans le véhicule pendant que le chauffeur dormait afin de pouvoir entrer sur le territoire européen clandestinement.
Sur votre site, vous vendez des chaudrons et des otchag séparément ou en lot. Acheter en lot revient-il beaucoup moins cher ?
Oui, tout à fait. Le lot coûte 292 euros. Il est constitué d’un four, d’un chaudron, d’une cuillère, d’une spatule, d’un thermomètre, de bruiteurs et d’un couteau de chef. Mais si le four et le chaudron sont achetés séparément, cela revient à 290 euros. Acheter le lot, c’est faire une économie de 20 %.
Je me souviens qu’à l’époque de l’URSS, les gens achetaient un divan et il restait en excellent état pendant des décennies. Aujourd’hui, la société de consommation incite à acheter constamment et les produits sont remplacés avant même que la date limite de garantie ne se termine. Cela nous intéresserait de connaître le nombre d’années de garantie de vos produits.
Le four a une garantie de cinq ans. Cela signifie que si vous ne l’utilisez pas de manière excessive, vous ne l’abîmerez pas et il ne brûlera pas la nourriture. Mais dans les faits, il peut durer beaucoup plus longtemps.
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En ce qui concerne notre production en fonte, sur le paquet nous indiquons une garantie illimitée. Officiellement, la réglementation exige un cadre formel avec le dépôt d’une garantie, et nous fixons donc légalement la garantie à 100 ans. En réalité, la durabilité de ces produits dépasse largement cette période, au point qu’elle en devient difficile à estimer. C’est pourquoi, sur l’emballage, il est plus adapté d’indiquer que la garantie est illimitée.
Alekseï Vinokourov
Journaliste pour Fergana News
Traduit du russe par Léna Marin
Edité par Emma Fages
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