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Rimajon Khoudojberganova, une femme au pouvoir en Ouzbékistan soviétique

Les femmes ouzbèkes ayant exercé de hautes fonctions politiques se comptent sur les doigts de la main. Parmi elles, Rimajon Khudojberganova, qui fut à la tête de la région du Khorezm pendant trois années à la fin des années 1980, tient un rôle de premier plan. Elle revient sur son expérience au pouvoir.

Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan
Rimajon Khoudoyberganova a été la première femme politique ouzbèke à diriger une région, entre 1988 et 1991. Ici, parmi les vétérans de la guerre et du travail.

Les femmes ouzbèkes ayant exercé de hautes fonctions politiques se comptent sur les doigts de la main. Parmi elles, Rimajon Khudojberganova, qui fut à la tête de la région du Khorezm pendant trois années à la fin des années 1980, tient un rôle de premier plan. Elle revient sur son expérience au pouvoir.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 22 février 2020 par le média ouzbek Kun.uz.

Le 18 février dernier, Dilfouza Ouralova est devenue hokim (gouverneure) du district de Bayavutsky dans la région de Syr-Daria. Il s’agit de la seule femme à ce poste actuellement en Ouzbékistan et la cinquième depuis 1991. À cette occasion, le média ouzbek Kun.uz dresse le bilan des femmes ayant exercé des fonctions politiques dans le pays.

Elles sont en effet plusieurs à avoir occupé des postes similaires, comme Manzoura Egamova, hokim du district de Jalaqoudouq, dans la région d’Andijan, Shakarjon Khoujaniyazova, hokim du district de Bagat dans le Khorezm, Tohirakhon Marizaïeva (district de Kasansay) ou encore Rakhima Khakimova, hokim du district de Samarcande.

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Mais un tel bilan serait partiel s’il ne retraçait pas l’histoire de Rimazhon Khoudoyberganova qui, à partir de 1988, dirigea l’importante région du Khorezm pendant trois années dans un pays qui était encore la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan.

Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan
Rimajon Khoudojberganova en 2020.

Rimajon Matnazarovna Khoudoyberganova est née en 1942 dans la région de Khorezm, dans l’ouest de l’Ouzbékistan. Dans les années 1960, elle étudie à l’Institut du textile de Tachkent. En 1966, elle commence à travailler à l’usine textile d’Ourguentch et en devient dès 1972 la directrice. À partir des années 1980, elle occupe divers postes administratifs et politiques avant de finalement devenir en septembre 1988 première secrétaire de la région du Khorezm, une fonction alors équivalente à celle de hokim. À cette époque, Rimajon Khoudoyberganova est alors la seule femme en URSS à diriger une région.

Rimajon Matnazarovna a aujourd’hui 78 ans. Retraitée, elle vit à Ourguentch avec son mari Karim Zaripov et profite de ses petits-enfants et arrière-petits-enfants. L’ancienne femme politique a particulièrement apprécié cette plongée dans le passé qu’a constitué l’entretien. Elle a fait de l’une des pièces de sa maison un véritable musée,  rempli de nombreux livres et photographies historiques originales retraçant son parcours ainsi que celui de personnalités politiques. En reconnaissance pour l’ensemble de ses années de travail, Rimajon Matnazarovna a reçu en mai 2019 le plastron de vétéran du travail 1er degré, un titre honorifique en Fédération de Russie.

Kun.uz : Rimajon Khoudoyberganova, pourriez-vous revenir sur le processus qui vous a permis d’être nommée à la tête de la région de Khorezm ?

Rimajon Khoudoyberganova : Avant de diriger la région de Khorezm, j’ai occupé différents postes. Pendant de nombreuses années, j’ai été à la tête de l’usine textile d’Ourguentch, l’organisation régionale de textile de Khorezm.

En 1983, j’ai été diplômée de l’Académie des sciences sociales du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Après cela, je suis devenue responsable du Département de l’industrie, des transports et des communications de la région. Pendant plusieurs années, j’ai également travaillé comme responsable de l’idéologie. En 1987, j’ai été élue au Soviet suprême de la République socialiste et soviétique d’Ouzbékistan.

En 1988, le secrétaire général du Comité central du Parti communiste d’Ouzbékistan, Inomjon Ousmonkhodjaïev, s’est rendu à Ivanovo en Russie, une région célèbre pour ses usines de textile. Il s’est en particulier intéressé au travail de Zoé Pouhova, une femme qui dirigeait avec un certain succès la région. Il en est revenu convaincu qu’une femme pouvait gérer de manière efficace une grande région. Je pense que cette situation a influencé ma nomination. La même année, alors que le poste de premier secrétaire du comité régional du parti du Khorezm était vacant, Inomjon Ousmonkhodjaïev a sélectionné ma candidature et fait parvenir mes documents à Moscou. Mikhaïl Gorbatchev, alors secrétaire général du Comité central du PCUS et que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer à Tachkent, a alors décidé de m’accorder un entretien.

Rimazhon Khudoyberganova Ouzbékistan
Rimajon Khoudoyberganova avec un groupe de députés, appartenant au Congrès des députés du peuple de l’URSS, dont Mouhammad Sadyk.

Comment s’est déroulé cet entretien à Moscou?

L’entretien était organisé par une commission spéciale comprenant des membres du Politburo, des scientifiques et des universitaires. Je me souviens en particulier du secrétaire du Comité central du PCUS, Egor Ligatchev, un redoutable politicien, qui m’interrogea sur mes enfants.  « J’ai trois fils, dont deux partis au service militaire, l’un dans la région de Moscou et l’autre en Biélorussie”, ai-je répondu. Les membres de la commission n’ont pu masquer leur surprise : « Nous avons du mal à envoyer ne serait-ce qu’un seul enfant au service militaire, et vous en avez envoyé deux ? ».

Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan
Rimadzhon Khudoyberganova parmi des soldats internationalistes/ archives personnelles

Par ailleurs, j’avais obtenu mon diplôme de l’académie avec mention, et nous avions évoqué le sujet de ma thèse qui les intéressait. Enfin, et même si j’avais fréquenté l’école ouzbèke, j’avais une très bonne connaissance du russe, ce qui à l’époque était fondamental.  Globalement, j’ai bien réussi l’entretien.

Le fait d’être une femme à la tête d’une région ne vous effrayait-il pas ? 

Bien sûr que si, et j’ai clairement traversé des moments de peur et de doute. J’ai vite compris que le travail serait dur. C’est une chose que d’être à la tête d’une entreprise, c’en est une autre de diriger une région. La responsabilité était donc grande, mais j’étais très motivée.

Comment votre famille a-t-elle accepté votre nomination ?

Je ne serais même pas allée étudier sans la bénédiction de ma belle-mère et la permission de mon mari, il en était donc de même pour ma nomination.

Concrètement, comment se passait une journée de travail type en tant que dirigeante de région ?

À vrai dire, un dirigeant régional se doit d’être sur tous les fronts. À 5 heures du matin, j’enfilais des bottes et sortais dans les champs. Je vérifiais les travaux des semis, la culture, le labour, la mise en valeur des terres, enfin, de manière générale, tout ce qui concernait le coton. J’avais avec moi des spécialistes sur ces questions.

Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan
Rimazhon Khudoyberganova dans un champ de coton / archives personnelles

Après 4 à 5 heures sur le terrain, je partais travailler dans mon bureau afin d’accomplir un travail davantage opérationnel. Je vérifiais la bonne organisation des écoles, maternelles, crèches, hôpitaux, orphelinats ou encore des cantines. Tout devait être contrôlé. Pendant la saison du coton, je ne restais pas au bureau, j’étais toujours sur le terrain. Je rentrais chez moi exténuée tard le soir, parfois même sans même avoir le temps de manger quelque chose pendant la journée.

Comment communiquiez-vous avec les habitants ?

J’étais directement en lien avec celles et ceux qui déposaient des plaintes. Alors que mes prédécesseurs transféraient cette tâche à leurs adjoints, je m’en occupais personnellement. J’avais mis en place une permanence d’accueil pour recevoir les habitants, je notais les plaintes, assurais le suivi et, le cas échéant, prenais des mesures.

Que pouvez-vous dire de Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du Comité central du PCUS de l’URSS ?

J’ai eu l’occasion de le rencontrer plusieurs fois, c’était une personne simple et ouverte, comme l’illustre la scène sur cette photo (ci-dessous). Tout le monde voulait prendre une photo avec lui. Je me tenais un peu sur le côté, et c’est Mikhaïl Gorbatchev lui-même qui m’a proposé de m’asseoir à côté de lui. Anatoli Loukianov, le président du Soviet suprême de l’URSS, s’est même levé pour me laisser la place (rires). Naturellement, cela ne voulait pas dire que, sur un plan politique, j’étais d’accord avec toutes ses décisions, et je m’étais même permise de le critiquer.

Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan Gorbatchev URSS
Rimajon Khoudoyberganova avec le secrétaire général de l’URSS Mikhail Gorbachev / archives personnelles

Si, sous votre direction, des routes, des ponts ou encore des équipements sociaux ont été construits, on considère que le projet le plus important de votre mandat a été la construction d’un pont au-dessus de l’Amou-Daria

Oui, à l’époque le pont sur l’Amou-Daria était en bois et vétuste. Un beau jour, alors que j’assiste à une réunion avec le ministre de la Défense de l’URSS, celui-ci évoque le déclassement de nombreux équipements militaires. J’y ai vu une opportunité intéressante et lui ai demandé de nous autoriser l’usage des ponts hors service. J’ai en particulier expliqué les difficultés rencontrées par les familles qui vivaient dans les régions du Khorezm et du Karakalpakistan et devaient traverser ce fleuve. C’est grâce à cela qu’un pont a été érigé pour faciliter le passage de l’Amou-Daria, et il  a été utilisé de nombreuses années avant la construction d’un pont plus moderne.

Pourriez-vous nous raconter les circonstances qui vous ont permis de recevoir la médaille d’argent de l’UNESCO ? 

L’UNESCO a souhaité reconnaître les efforts entrepris pour préserver les monuments culturels et historiques de la région du Khorezm. En particulier, nous avons entrepris une très importante reconstruction du complexe historique d’Itchan Kala à Khiva. Nous avons également restauré le tombeau de Pahlavon Mahmoud et l’avons rendu accessible au public.

Médaille argent UNESCO
Médaille d’argent de l’UNESCO / archives personnelles

Quelles ont été les raisons de votre mutation après trois années passées à la tête de la région ?

Je pense que la question électorale a été la principale raison. Lors de l’élection présidentielle, Islam Karimov a recueilli seulement 36,7 % des voix dans notre région, contre 57 % pour Mouhammad Solih. D’ailleurs, j’ai moi-même lancé à Islam Karimov : « Vous pouvez me retirer de mes fonctions. À votre place, c’est ce que je ferais. »

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Par ailleurs, mes rivaux ont certainement joué un rôle. J’ai entendu que certains hommes haut placés s’étaient plaints, considérant qu’une femme au pouvoir empêchait les hommes de pouvoir marcher la tête haute.

Islam Karimov Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan Valentin Pavlov
Le Premier ministre de l’URSS Valentin Pavlov (à gauche) et le président de la RSS d’Ouzbékistan Islam Karimov (à droite) accompagnant Rimajon Khoudoyberganova en 1991.

Mais, dans le fond, ils ne pouvaient rien me reprocher. Ils ont essayé en vain de m’accuser de posséder telle maison ou voiture. Ma situation, ainsi que celle de mes proches, a été vérifiée plusieurs fois et aucune preuve n’a jamais pu étayer ces accusations cousues de fil blanc.

Comment cette décision a-t-elle été entérinée ?

Une réunion était programmée avec une importante délégation venue de Tachkent, Islam Karimov à sa tête. À en juger par l’attitude des membres de la délégation, j’ai tout de suite compris que j’allais perdre mon poste. Je me suis exprimée pendant la réunion : « Qui dit travail dit contraintes. Je ne serai pas contrariée, j’ai presque 50 ans et suis prête à passer du temps avec mes petits-enfants. Vous pouvez me retirer de mes fonctions, mes mains sont habituées à travailler. Si vous me donnez un poste, je travaillerai, si vous ne m’en donnez pas, cela m’est égal ».

Nous vous donnerons un emploi”, a déclaré Islam Karimov, devant une assistance visiblement hostile. “Rimajon a bien travaillé. Nous ne pouvons que lui donner un emploi”, a réitéré le président ouzbek (1989-2016).

J’ai été démise de mes fonctions et on m’a confié un autre poste. Je me suis occupée pendant quinze années de sériciculture (élevage du ver à soie) et je suis à la retraite depuis 2007.

Rimajon Khoudoyberganova Ouzbékistan
Rimajon Khoudoyberganova récompense les travailleurs de l’industrie de la soie

Suivez-vous les actualités en Ouzbékistan et qu’en pensez-vous ? 

Oui naturellement. Je regarde les informations à la télévision et les changements actuels me semblent très positifs. Les anciens dirigeants n’étaient pas capable d’assurer ne serait-ce qu’un dixième des affaires courantes. Notre nouveau président (Chavkat Mirzioïev, ndlr) est humain, prend soin des citoyens, de ceux qui en ont besoin, permet l’accès au logement, facilite les conditions de vie. Les détenus sont remis en liberté et réhabilités. La situation matérielle des gens s’améliore. Il s’agit d’une personne remarquable. S’il avait été le chef de l’État il y a 10 ans, nous aurions peut-être pu travailler ensemble (rires) …

Propos recueillis par Nourmouhammad Said
Journaliste pour Kun.uz

Traduit de l’ouzbek par Vadim Sultanov 

Traduit du russe par Anna Bellocq 

Edité par Grégoire Odou

Relu par Anne Marvau

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