Lola Islamova, rédactrice en chef de l’agence de presse ouzbèke Anhor.uz, partage dans une interview son point de vue sur l’état de la liberté de la presse en Ouzbékistan.
Malgré les réformes entreprises par le président Chavkat Mirzioïev pour construire son « Nouvel Ouzbékistan », la situation en matière de liberté d’expression n’est pas très différente de celle des pays voisins. Alors qu’en 2022 le pays avait amélioré sa position dans le classement annuel de l’ONG Reporters sans frontières en passant de la 157ème à la 133ème place, en 2023 celui-ci occupait déjà la 137ème place.
Selon le rapport, les autorités contrôlent de manière importante les médias, y compris un certain nombre de blogueurs liés au gouvernement. Beaucoup de médias n’ont toujours pas réussi à obtenir une indépendance financière complète. Le document indique : « Les fonctionnaires n’hésitent pas à exercer des pressions économiques ou à essayer de corrompre les journalistes. Le développement des médias indépendants est principalement bloqué par des lois qui restreignent les financements, surtout ceux venant d’organisations étrangères qui soutiennent la liberté d’expression. »
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En vous abonnant à Novastan, vous soutenez le seul média européen spécialisé sur l’Asie centrale. Nous sommes indépendants et pour le rester, nous avons besoin de votre aide !Lola Islamova, rédactrice en chef de l’agence de presse Anhor.uz et directrice du Centre de développement du journalisme contemporain en Ouzbékistan, répond aux questions de Cabar Asia et explique la situation des médias dans le pays. Elle travaille depuis plus de 25 ans dans le journalisme, et l’édition d’analyse qu’elle dirige est présente dans la sphère médiatique ouzbèke depuis 2014.
Anhor.uz est l’un des rares médias d’Ouzbékistan à fournir, outre des informations sur l’Ouzbékistan et le monde, des évaluations et des analyses d’experts. Anhor.uz est réputé auprès des lecteurs et des personnes qui occupent des postes à responsabilité comme étant un média indépendant et faisant autorité.
Cabar Asia : Comment évaluez-vous la situation concernant la liberté d’expression en Ouzbékistan ?
Lola Islamova : Cette évaluation en Ouzbékistan demande de prendre en considération de nombreux facteurs. La liberté d’expression dans le pays n’est pas une priorité, et ceci pour plusieurs raisons.
Les principaux problèmes auxquels se confrontent les médias en Ouzbékistan sont l’autocensure et l’instabilité financière. Cette instabilité est en partie due au poids du marché publicitaire dans le pays qui est estimé à environ 75-78 millions de dollars (67-70 millions d’euros) en 2023 par les experts. Cela dit, une part significative du budget publicitaire est réservée aux chaînes de télévision.
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L’instabilité et l’indépendance financières et, par conséquent, le manque de ressources, ne permet pas aux rédactions d’être indépendantes. Il est difficile d’embaucher du personnel qualifié qui puisse produire du contenu correspondant à des critères d’un journalisme de qualité.
Certaines organisations internationales de défense des droits de l’Homme considèrent que la situation de la liberté d’expression en Ouzbékistan s’est détériorée par rapport aux premières années du mandat de l’actuel président. Dans certains rapports est fait état d’un « revirement de situation » en Ouzbékistan. A quoi cela est-il lié selon vous ?
Pendant une longue période, la liberté d’expression en Ouzbékistan a été perçue comme la possibilité d’exprimer son opinion sans toujours tenir compte des cadres juridiques, des droits d’autrui et des libertés privées. Par conséquent, certains documents diffusés dans les médias, le plus souvent par des blogueurs, n’ont pas respecté des normes étiques et législatives. En réponse à cela, les personnes critiquées ont commencé à prendre des mesures qui ont été interprétées comme des contraintes à la liberté d’expression.
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Par ailleurs, lorsque l’information publiée touche aux intérêts de certains groupes ou de certaines personnalités, en dévoilant des faits de corruption ou d’infraction à la loi, les journalistes et les blogueurs peuvent faire l’objet de pressions ou de tentatives de « bâillonnement ». Il s’agit d’une pratique courante qui s’exerce sans justification. C’est pourquoi nous avons une règle au sein de notre rédaction qui est la suivante : « écris comme si cela était déposé sur le bureau du procureur demain. »
Quels sont les problèmes les plus courants rencontrés par les journalistes et les rédacteurs en chef dans les médias indépendants ou non-étatiques ?
La pression exercée sur les journalistes ces derniers temps est de plus en plus mêlée au pouvoir judiciaire. Cela exacerbe le problème de la faible protection des représentants des médias.
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Cela est dû à la fois au manque de connaissances juridiques des journalistes et au coût élevé des dépenses judiciaires qui rendent financièrement difficile d’obtenir une défense juridique de qualité et l’accès aux services d’un avocat. C’est pourquoi il est important que le pouvoir judiciaire soit indépendant car il joue un rôle clé dans la défense des droits des journalistes et dans la garantie de la liberté d’expression.
Ces dernières années, nous avons été témoins de plusieurs arrestations de blogueurs en Ouzbékistan, qui critiquaient les actions des autorités locales. Y-a-t-il eu l’année dernière des cas de pression sur les journalistes en raison de leurs activités professionnelles ? Pouvez-vous nous parler d’affaires impliquant des journalistes ?
Il y a effectivement des cas de pression focalisée sur les blogueurs et les journalistes en Ouzbékistan, surtout lorsqu’ils abordent des thèmes sensibles ou qu’ils critiquent les actes des autorités ou de structures privées.
L’année dernière, les cas de pression n’ont rien eu d’inhabituel et je peux vous faire part de ma propre expérience. En 2023, le comité de rédaction auquel je suis rattachée a subi une longue confrontation judiciaire qui a duré sept mois. Cette affaire était liée à la publication d’un document qui analysait l’activité d’une entreprise monopolistique.
En réponse à la publication, la société a intenté un procès contre la rédaction en déposant une plainte auprès du ministère de l’Intérieur pour diffamation et atteinte à la réputation commerciale. Cela a été jusqu’à la convocation d’une expertise linguistique auprès de l’institut judiciaire d’expertise. Toutefois, les résultats n’ont pas donné raison à la société qui continuait à faire pression sur notre rédaction et à se plaindre auprès des autorités.
Je fais un don à NovastanLa situation a changé seulement après que l’affaire ait été rendue publique et l’entreprise a été obligée de retirer sa plainte. Ce cas souligne l’importance de la protection de la liberté d‘expression et de l’indépendance des journalistes et aussi la nécessité d’un soutien juridique décent aux médias qui subissent de telles pressions.
En Ouzbékistan, les journalistes peuvent-ils pleinement remplir leurs objectifs professionnels ? De quoi ont-ils besoin pour cela ?
Les journalistes peuvent remplir leurs obligations professionnelles s’ils disposent de certaines conditions et ressources. Tout d’abord, ils doivent avoir des connaissances et compétences, ce qui inclut la compréhension des normes journalistiques et les méthodes de collecte de données et de vérification des faits. C’est une base fondamentale qui garantit la qualité et l’authenticité de leur travail.
Les outils ne sont pas seulement des moyens techniques pour le recueil de données et leur diffusion mais aussi l’accès aux ressources d’information, à des bases de données juridiques, à la communauté d’expertise et à d’autres ressources nécessaires et importantes pour mener des enquêtes et des reportages. A cet égard, il y a des problèmes. Tous les organismes étatiques ne publient pas leurs données à temps et dans leur intégralité. Souvent, nous devons acheter des informations auprès de l’Agence de statistiques.
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La stabilité financière est nécessaire pour garantir l’indépendance des comités de rédaction par rapport aux pressions politiques et commerciales. Cela permet aux journalistes de se concentrer sur leur travail sans être distraits par la recherche de moyens de subsistance ou de développement de projets.
La protection du gouvernement est un des aspects clés puisqu’elle implique à la fois une sécurité juridique et physique pour les journalistes. Le soutien de l’Etat peut aussi se concrétiser par l’instauration de lois qui favorisent la transparence et l’accès à l’information. Mais ces mesures n’existent pas encore aujourd’hui.
Avez-vous remarqué des changements positifs à cet égard l’année dernière ?
Je pense que nous sommes témoins d’une évolution dans la défense des journalistes en Ouzbékistan. Un des plus grands changements a été le renforcement de l’engagement civique des blogueurs et journalistes. Considérant que la protection de leurs droits n’est pas seulement une responsabilité étatique ou de certaines organisations compétentes mais aussi de leur propre intérêt, les journalistes ont commencé à s’unir plus activement.
Par exemple, le Centre du journalisme contemporain gère depuis plus de quatre ans une clinique juridique destinée aux journalistes et blogueurs, auprès de laquelle ils peuvent s’adresser et obtenir une consultation, montrer des textes. Cela créé des conditions où les journalistes peuvent se sentir plus confiants et protégés tout en poursuivant une activité importante et parfois risquée.
De plus, la solidarité professionnelle a montré que la position unie des journalistes pouvait servir d’instrument puissant pour la protection de la liberté d’expression. Les journalistes ont commencé à s’organiser en toute indépendance et cela constitue une avancée importante.
Quel est, selon vous, l’avenir du journalisme en Ouzbékistan ? Quelles sont vos prévisions ?
Je pense qu’il n’y aura pas de changement extraordinaire.
La rédaction de Cabar Asia
Traduit du russe par Léna Marin
Edité par Paulinon Vanackère
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