Zone stratégique des échanges gaziers et pétroliers, la mer Caspienne pourrait devenir incontournable selon Edward Chow, si les pays qui la bordent s’entendent et diversifient leurs sources de revenus.
Novastan reprend et traduit ici un article publié initialement par le Central Asian Analytical Network.
Edward Chow, plus ancien spécialiste du programme sur les énergies et la sécurité dans la Communauté des Etats indépendants (CEI), est un expert international avec plus de 35 années d’expérience dans l’industrie, dont 20 chez Chevron. Cet Américain a travaillé en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine, en Europe, en Russie et dans la région de la Caspienne.
Edward Chow a développé des projets commerciaux complexes à plusieurs millions d’euros, conseillé des gouvernements, des institutions financières internationales, les principales compagnies pétrolières et les principales sociétés multinationales. Le site d’informations centrasiatique Central Asian Analytical Network l’a interviewé sur les futurs projets énergétiques de la Caspienne. La mer Caspienne est l’un des points clés des transports d’énergie actuels, avec à l’ouest la Russie, l’Azerbaïdjan, l’Iran au sud et à l’est le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan.
Les pays de la région de la Caspienne ont été confrontés à de sérieuses difficultés économiques après la chute des prix du pétrole. Que doivent entreprendre ces pays pour maintenir leur croissance économique ?
Les pays riches en pétrole doivent être préparés à la possibilité d’une chute des prix du pétrole, et avoir les réserves financières nécessaires appropriées. De fait, les fonds souverains sont du côté du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan, et de la Russie. Mais même de cette façon, ils ne font qu’acheter du temps. Il est indispensable pour tous ces pays de diversifier leur économie et sortir d’une dépendance excessive au gaz et au pétrole. Car aujourd’hui, les investissements dans le gaz et le pétrole ralentissent.
Le Turkménistan rencontre le plus de difficultés, avec une annulation des subventions généreuses pour la population (en particulier pour le gaz et l’essence), alors qu’ il y a encore une fois, une pénurie de nourriture …
Le Turkménistan n’a pas de fonds de réserve, alors qu’avec des revenus élevés, il pourrait accumuler en cas de baisse du prix du gaz. Je ne sais pas si l’économie turkmène est en réalité forte, même avec des prix hauts ou si elle a toujours été faible. L’absence d’investissement étranger dans ce pays signifie également que le Turkménistan assume l’intégralité du risque lié aux prix et ne le partage pas avec les investisseurs.
Comment percevez-vous les perspectives de développement des produits pétrochimiques en Caspienne comme la possibilité d’une diversification ?
Les produits pétrochimiques ne sont pas utiles à la diversification s’il n’y a pas de branche industrielle dans le pays avec une transformation plus profonde, comme les textiles par exemple et d’autres industries légères qui pourraient consommer des produits pétrochimiques. Bien au contraire, les produits pétrochimiques compliquent réellement les problèmes de transport dans une région enclavée, puisque le pétrole brut ou le gaz naturel sont plus faciles à transporter.
Les pays de la Caspienne peuvent-ils compter sur de nouveaux projets, comme celui de “Kachagan” ou de nouveaux projets de transports ?
Kachagan n’est pas un nouveau projet, il est de longue date. De nouveaux itinéraires ne seront nécessaires que lorsque de nouveaux volumes importants apparaitront.
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La situation pour chaque pays est complètement différente. Le Kazakhstan a encore du potentiel pétrolier, en particulier dans le cas d’une extension réussie du contrat pour Kachagan. La production de pétrole en Azerbaïdjan diminue déjà et ce pays devra de plus en plus compter sur les revenus du gaz. Le Turkménistan peut augmenter le volume de gaz s’il mène avec succès le développement de Galkynysh lui-même ou invite au développement d’investissements étrangers. Toutefois les économies de ces projets se détériorent, car les prix du pétrole et du gaz restent relativement faibles.
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Avec le lancement de Kachagan, la production de pétrole au Kazakhstan a légèrement augmenté. Le pays espère-t-il conserver le statut de pétrolier sérieux sur le marché de l’énergie?
Ce n’est pas un lancement, mais un redémarrage de Kachagan après des problèmes techniques survenus après le premier lancement. La réalisation du plein potentiel de Kachagan dépend maintenant de l’extension du contrat, ce qui fera l’objet de négociations très difficiles entre le gouvernement et les investisseurs pétroliers. L’accord de partage de production pour Kachagan a été signé en 1997 pour une durée de 40 ans. Aujourd’hui en 2017, ça fait déjà 20ans que le contrat est engagé et la production vient seulement de commencer. Pour justifier des investissements supplémentaires nécessaires à l’expansion du projet, les investisseurs ont besoin d’une extension du contrat.
Est-il possible que les pays de la Caspienne puissent enfin s’entendre sur le statut de la mer ? Cela peut-il accélérer le développement des projets énergétiques de la Caspienne?
On en parle depuis 20 ans. La Russie ou l’Iran n’incitent pas beaucoup à la coopération avec d’autres pays sur cette question. Par conséquent, je ne suis pas optimiste quant à la conclusion imminente d’un accord à cinq volets. Les pays coopéreront très probablement sur la base d’un certain nombre d’accords bilatéraux pour un développement conjoint, tels que le protocole d’accord déjà signé entre le Kazakhstan et la Russie, sur le développement conjoint du fond de la partie nord de la mer Caspienne. Le plus problématique est l’accord entre le Turkménistan et l’Azerbaïdjan concernant le très controversé champ de pétrole et de gaz de la Caspienne Kapaz / Serdar. Aucun développement de projet pétrolier et gazier à grande échelle n’est possible s’il existe un conflit territorial.
Que pensez-vous des perspectives du TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde) ?
C’est un projet très complexe. À l’heure actuelle, il s’agit d’un projet politique qui n’a aucune justification économique. Les prix du pétrole et du gaz devraient être beaucoup plus élevés, afin que le projet soit commercialement attractif. Le président du Turkménistan ne semble pas comprendre l’entièreté des problématiques, ni voir que les progrès réalisés dans la mise en œuvre du projet ont cessé.
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Qu’est-ce qui est nécessaire pour la mise en œuvre de ce projet?
L’une des façons de lancer le projet serait d’impliquer une grande entreprise pétrolière internationale dans le développement du gisement du gaz Galkynysh, qui pourrait mener le projet de pipeline. Cependant dans les conditions actuelles, au regard du faible prix de l’essence et de la disponibilité de grandes quantités de gaz naturel liquéfié, il est peu probable que le projet aboutisse.
La stabilité actuelle des prix du pétrole est due à l’accord sur la réduction de la production d’huile de l’OPEP, à laquelle la Russie s’est jointe. On s’attend à ce que cet accord soit prolongé. Est-ce que ce sera suffisant pour maintenir les prix du pétrole aux niveaux actuels?
Peut-être aux niveaux actuels, soit 50 dollars le baril, mais pas à 60 dollars le baril ou plus, et c’est ce qu’ont signé les pays membres de l’OPEP et non membres de l’OPEP dans l’accord. En fait, plus un pays adhère à l’accord pour réduire la production, plus il sera difficile de maintenir le cap de cette réduction.
Quand viendra la fin du pétrole selon vous ?
La fin du monde pétrolier, si cela se produit, aura lieu au moins dans deux à trois décennies.
Interview réalisée par Elvira Aïdaranova
Traduit du russe par la rédaction
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