La fin de la guerre en Afghanistan passe par la construction et l’amélioration des infrastructures qui permettent le développement économique du pays. Les Etats centrasiatiques sont largement impliqués dans ce processus.
Novastan traduit ici un article initialement publié par le média tadjik Asia-Plus.
Tous les États d’Asie centrale souhaitent un retour à la stabilité en Afghanistan. Et cela se traduit dans les faits. Il y a 30 ans, l’Union soviétique a retiré ses troupes du pays, au sud de l’Asie centrale. À l’époque, beaucoup ont vu dans cet acte le début d’une période de paix sur cette terre peu épargnée. Pourtant, la guerre demeure. Et demeurera encore longtemps, si le pays ne développe pas son économie.
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Pour tenter de faire le point, le média tadjik Asia-Plus a recensé les contributions passées et futures des États d’Asie centrale dans ce développement.
« Investissements » militaires
En Afghanistan, la plupart des infrastructures nécessaires au développement ont été établies par l’URSS, qui n’a pas seulement combattu mais également beaucoup bâti. Le soutien de l’Union soviétique a permis la construction de grandes installations industrielles, métallurgiques et énergétiques : une usine d’engrais azotés à Mazâr-e Charîf ; deux usines d’extraction de gaz dans les provinces septentrionales ; l’atelier automobile de Djangalak à Kaboul, capitale du pays ; des centrales hydroélectriques à Naglu, Pol-e-Khomri et Darunta ; des systèmes d’irrigation à Jalalabad et à Ghazni ; un combinat de construction d’habitations à Kaboul. Plus de la moitié des voies de circulation actuelles – y compris le tunnel de Salang, l’aéroport international de Kaboul, les ports fluviaux, etc. – ont également été construites par des experts soviétiques, notamment tadjiks.
Dans les années 1960 et 1970, des géologues tadjiks ont découvert d’énormes gisements de gaz naturel, de pétrole, d’or, de cuivre, de fer et d’autres ressources naturelles en Afghanistan. L’un des plus grands gisements d’argent, Koni Aynak, a ainsi été découvert par le géologue tadjik Zour Yorov. Avant l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, les spécialistes tadjiks et afghans ont travaillé en étroite collaboration dans le secteur de l’énergie. Ils ont à l’époque imaginé des plans d’exploitation conjointe du potentiel énergétique des cours d’eau frontaliers. En 1964, un accord a été signé, visant l’élaboration d’un projet de construction de plusieurs centrales hydroélectriques sur la rivière Piandj–Amou-Daria.
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En 1970, la section centrasiatique du projet hydroélectrique Sergueï Jouk a mis sur pied un « schéma d’utilisation intégrée du Piandj et de l’Amou-Daria à la frontière entre l’URSS et l’Afghanistan ». Bien qu’approuvé en Union soviétique, le projet, qui prévoyait la construction de 13 établissements hydrauliques d’une puissance totale de 17 720 MW, et la production totale de 81,9 milliards de kilowatts/heure (kWh), n’a pas vu le jour en raison de tensions entre les deux pays. La plus grande infrastructure prévue par ce projet est la centrale hydroélectrique de Dashti-Djoum, d’une puissance de 4 000 mégawatts (MW). La société américaine AES Corporation a déclaré il y a une douzaine d’années qu’elle se chargerait de la construction, avant toutefois de se rétracter.
Des projets de notre temps
La stabilité de l’Afghanistan sert les intérêts de tous les États asiatiques, y compris ceux d’Asie centrale, du sud et du sud-est. En effet, certaines régions jouissant d’une forte croissance industrielle ont un besoin urgent en hydrocarbures, d’autres désirent accroître leurs exportations. Les pays d’Asie centrale qui n’ont aucun accès à la mer ne sont pas en mesure d’exporter du pétrole et du gaz vers l’Asie du Sud-Est par eux-mêmes. Le Turkménistan, par exemple, a longtemps exporté son gaz vers la Chine à un prix très bas. L’Afghanistan représente la meilleure alternative pour les exportations d’énergie des pays centrasiatiques sans accès à la mer, bien que les combats n’y ont pas cessé depuis plus de 40 ans.
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Par ailleurs, le gouvernement afghan sait que, contrairement aux grandes puissances mondiales et régionales, les jeunes États d’Asie centrale ne représentent ni une menace politique ni une menace économique. Ainsi, une coopération avec le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan peut servir les intérêts de tous. Les conditions favorables à une coopération économique entre ces partenaires sont apparues après le renversement du pouvoir des Talibans en novembre 2003. C’est à ce moment que l’Ouzbékistan et le Turkménistan ont commencé à approvisionner Kaboul en électricité.
Les pays de la région et les institutions financières internationales ont mis sur pied plusieurs projets de lignes électriques à haute tension depuis le Tadjikistan vers l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. Il s’agit de la ligne de 500 kW Rogoun – Sangtuda – Kondoz – Pol-e-Khomri – Kaboul – Peshawar (Pakistan), d’une capacité annuelle de 8,6 milliards de kWh ; la ligne de 765 kW Rogoun – Khorog – corridor du Wakhan (Afghanistan) – Peshawar (Pakistan), d’une capacité annuelle de 8,6 milliards de kWh ; la ligne de 500 kW Rogoun – Kondoz – Mazâr-e Charîf – Hérat – Mechhed, d’une capacité de 1000 MW ; et la ligne de 110 kW Emam Saheb – Faizabad (Afghanistan). En outre, des négociations ont été entamées à propos de la construction d’une ligne à haute tension de 500 kW reliant le Tadjikistan, l’Afghanistan et le Turkménistan.
L’électricité et le gaz
Après l’inauguration des centrales hydroélectriques Sangtuda 1 et Sangtuda 2, la construction de la ligne électrique Lolazor (Tadjikistan) – Pol-e-Khomri (Afghanistan) s’est achevée. L’année dernière, le Tadjikistan a pu fournir près de 1,5 milliard de kWh à l’Afghanistan, au prix de 4,1 pennys (3,6 centimes d’euros). En juin 2019, après la mise en service du second module de la centrale hydroélectrique de Rogoun, le Tadjikistan va sans doute pouvoir s’affirmer comme le premier fournisseur en électricité de l’Afghanistan, devant ses voisins et l’Iran.
Le projet le plus important reste le projet CASA-1000, d’un coût total de plus de 1 milliard de dollars (889,2 millions d’euros). Il permettra d’exporter de l’électricité depuis le Tadjikistan et le Kirghizistan, en quantité égale, vers le Pakistan et peut-être l’Inde. Ce projet, qui doit être finalisé en 2020, implique la construction de plusieurs stations dans les quatre États.
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Le Tadjikistan souhaite se fournir en gaz afghan. Durant la période soviétique, le pays a importé près d’un tiers du gaz produit dans la région afghane de Chéberghân. En 1993, les présidents Emomalii Rahmon et Burhanuddin Rabbani ont convenu de reprendre les approvisionnements, mais le général Abdul Rachid Dostom, qui contrôlait Chéberghân, s’y est opposé.
À l’été 2013, le ministre tadjik de l’Énergie Goul Cherali et le ministre afghan des Finances Omar Zahilval ont abordé la question de la construction d’un gazoduc Chéberghân – Hairatan – Chaartuz – Sarband (actuelle Levakant). Des négociations ont également eu lieu concernant la construction d’un gazoduc reliant le Turkménistan, l’Afghanistan et le Tadjikistan. En décembre 2015, un autre projet, plus vaste, a toutefois été lancé. La première pierre d’un gazoduc entre le Turkménistan et l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde a été posée. Le 23 février 2018, la partie afghane du projet a été inaugurée.
La Route de la soie
Récemment, l’Ouzbékistan s’est mis à coopérer activement avec l’Afghanistan. Tachkent a finalisé il y a peu la construction d’une ligne ferroviaire de 85 kilomètres jusque Mazâr-e Charîf. Cette ligne sera probablement prolongée jusqu’à Herat.
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Pour sa part, l’Iran va bientôt mettre en service une ligne de chemin de fer de 200 kilomètres reliant Haouf à Herat. Cela permettra à l’Afghanistan ainsi qu’à tous les pays d’Asie centrale d’acheminer leurs marchandises vers les ports iraniens de Chabahar et Bandar Abbas.
L’Ouzbékistan souhaite par ailleurs construire la ligne ferroviaire Mazâr-e Charîf – Kaboul – Peshawar. Conformément à la feuille de route adoptée en 2017, le pays entend porter le volume des échanges bilatéraux avec l’Afghanistan à 1,5 milliard de dollars au cours des prochaines années. Il n’est donc pas rare à l’heure actuelle de voir sur les marchés afghans des produits ouzbeks, notamment des voitures, électroménagers, produits pharmaceutiques, médicaments, etc.
Fin 2018, une nouvelle route alternative de transit, baptisée « corridor du lapis-lazuli », a été mise en service à Herat. Cette route passe par le Turkménistan, la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie avant de rejoindre l’Europe. Le « corridor du lapis-lazuli » permettra de relier le « cœur de l’Asie », comme les Afghans surnomment leur pays, à l’Europe, s’inspirant de l’antique Route de la Soie.
Nourali Davlat
Journaliste pour Asia-Plus.
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Edité par Magomed Beltouev
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