Deux ans après son accession au pouvoir, le président kirghiz Sadyr Japarov a considérablement changé l’ordre des choses dans le pays pour consolider son pouvoir. Les médias kirghiz dressent un bilan inquiet de la situation.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 30 décembre 2022 par le média kirghiz Kloop.
Cet article publié dans la section « Edito » du journal Kloop relève de l’opinion personnelle de son auteur et non de celui de la rédaction. Le 28 décembre dernier, le président kirghiz Sadyr Japarov présentait ses vœux à des écoliers et se montrait optimiste quant à l’avenir. Dans la philharmonie, où a lieu l’évènement, quasiment tous les enfants sont tombés sous son charme. Pourtant, en seulement deux ans, cet homme au costume luxueux a construit sur les restes de la République les bases d’une autocratie où même les enfants les plus intelligents venant de milieux populaires ne pourront se forger une place.
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En 2020, alors que le peuple se soulevait dans le pays, Sadyr Japarov et Kamtchybek Tachiev se sont littéralement accaparé le pouvoir. Le premier est devenu président de facto en déplaçant le parlement du Conseil suprême à la résidence présidentielle d’Ala-Artcha, au sud de Bichkek, et en contraignant les députés à lui céder les fonctions présidentielles de jure.
Un président qui s’octroie de plus en plus de pouvoirs
La même année, il entreprend une réforme de la Constitution kirghize et en mai 2021, la république parlementaire est transformée en république présidentielle. A la tête du gouvernement, Sadyr Japarov obtient le droit de nommer lui-même les dirigeants des administrations locales ainsi que la moitié des membres de la Commission électorale centrale, l’organe chargé de préparer et de superviser la tenue des élections. Il devient donc plus difficile de destituer le président.
Le pouvoir du Parlement est considérablement diminué. Les députés sont moins nombreux, ne peuvent plus se tenir en opposition avec le gouvernement et sont contraints d’en approuver les initiatives. Au contraire, les motifs de destitution sont de plus en plus nombreux. Le Parlement ne peut plus dénoncer le rapport sur le budget de l’Etat sans la signature du président.
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Le Parlement et le Conseil des juges consentent à donner au président le droit de nommer le représentant de la Cour suprême ainsi que du Conseil constitutionnel. Il devient alors de plus en plus difficile de traduire les juges en justice.
Des modifications apportées au Code pénal
Un nouvel organe du pouvoir est apparu, le kurultai, un conseil chargé de suppléer dans ses fonctions le Parlement déjà affaibli.
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Le président obtient le droit d’interdire tout évènement allant à l’encontre des « valeurs morales, des mœurs et de la conscience collective du peuple ». Cette mesure a des conséquences que la nouvelle Constitution se garde d’expliciter. En novembre 2021, Sadyr Japarov modifie le Code pénal afin que le Procureur général et le Comité d’Etat pour la sécurité nationale (GKNB), aux mains de ses amis, obtiennent plus de pouvoir.
La modification de la procédure pénale implique qu’une enquête n’est pas systématiquement ouverte à la suite d’un rapport de crime. Par ailleurs, les juges obtiennent le droit de prolonger toute procédure.
Des députés qui ne peuvent apporter aucune résistance
Au Kirghizstan, le rôle des structures du pouvoir s’élargit, et particulièrement celui du GKNB, à la tête duquel Kamtchybek Tachiev devient de facto le deuxième homme du pays. Les collaborateurs des services spéciaux bénéficient de plus de privilèges : partout dans le pays sont construits pour eux de nouvelles installations, bureaux et bases de loisirs. A l’encontre des lois, le gouvernement soudoie des hommes d’affaires et les bénéfices retombent directement dans la poche du GKNB.
En 2022, la pression sur les parlementaires s’accroit. Les quelques députés qui osaient encore critiquer les mesures du président se voient privés de leurs fonctions et de leur titre, ils sont expulsés de leurs cabinets de parlementaires et subissent des contrôles fiscaux.
Un népotisme ouvert
Le président s’est accaparé le pays et en a fait sa propriété privée. Les citoyens et les députés ont appris, après les faits, que 19 tonnes d’or avaient été vendues à l’étranger, que Sadyr Japarov et Kamtchybek Tachiev avaient cédé à l’Ouzbékistan, sans référendum ni débats publics, le réservoir de Kempir-Abad, et qu’ainsi les frontières du pays avaient été changées.
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Depuis le début de son mandat, le népotisme de Sadyr Japarov n’est pas un secret : il n’a cessé de placer ses proches aux postes d’influence. En 2020, il a nommé Tourousbek Toumonbaïev, de son cercle familial, à la tête de l’entreprise d’Etat Ounaa. De même, le beau-père d’un de ses enfants, Tachtanbek Kaïsmazarov, a été nommé à la tête du Service national des migrations. En 2021, des journalistes ont découvert que des proches du président avaient été nommés chez Vostokelektro. En 2022, un membre de sa belle-famille, Almazbek Akmatov, a été nommé à la direction de la Cour des comptes.
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Le président affiche son goût pour le luxe, loin de la pauvreté qui touche la plupart de ses concitoyens : des vêtements à plusieurs milliers de dollars ainsi que des avions privés. Sadyr Japarov ne fournit pas d’explications convaincantes quant à l’origine des pièces de sa garde-robe, affirmant que ce sont des cadeaux. Pourtant, de pareils « cadeaux » à un homme d’Etat sont considérés, dans nombre de pays, comme de la corruption.
Un bilan de 2022 qui laisse pessimiste pour 2023
Sadyr Japarov a récupéré chez un de ses prédécesseurs, Almazbek Atambaïev, la manie de répondre personnellement aux critiques qui lui sont adressées. S’il écrivait auparavant des posts sur Facebook, il communique à présent par communiqués de presse que l’agence nationale d’information Kabar relaie. Ce faisant, le président menace et injurie ouvertement ceux qu’il perçoit comme des opposants.
Au Kirghizstan, 2022 aura été l’année de la fin de la liberté d’expression et du droit à la manifestation. Les lois répressives et injustes à l’égard des médias ainsi que le projet de loi sur les ONG sont quasiment des copier-coller des lois poutiniennes. Toute manifestation publique est alors interdite. Le premier prétexte était l’épidémie de Covid-19, puis le changement de Constitution et, à présent, les citoyens n’ont tout simplement plus le droit de se rassembler.
L’importation des pires méthodes russes se poursuit : les forces de sécurités n’hésitent plus à placer de la drogue dans les affaires des journalistes, à priver les citoyens kirghiz « indésirables » de leur nationalité et à les expulser du pays. Alors que s’ouvre une nouvelle année, l’usurpation du pouvoir, la répression, la fraude politique et économique ainsi que l’atteinte aux libertés des citoyens risquent fortement d’être encore d’actualité au Kirghizstan. Les proches du président seront toujours plus présents dans les segments les plus rentables de l’économie, et les entreprises continueront d’être monopolisées. Finalement, les Kirghiz qui ne sont pas des proches du pouvoir seront toujours contraints de trouver un salaire et un meilleur avenir en dehors du pays.
Viktor Moukhine Journaliste pour Kloop
Traduit du russe par Thibaut Bacquaert
Edité par Judith Robert
Relu par la rédaction
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