Nourlan Duichobekov est un graphiste et illustrateur kirghiz. Étudiant en graphisme à l‘École des hautes études en sciences économiques à Moscou, ses œuvres ont été exposées à Almaty, Londres, New York ainsi qu‘à Los Angeles, lors d’un festival sur le thème du café. Portrait.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 12 janvier 2021 par notre version allemande.
Le dimanche matin, une agréable odeur de café et croissants chauds accompagnée d’une musique lounge se répand aux alentours d’un café de Bichkek, la capitale du Kirghizstan. Nourlan Duichobekov affiche un léger sourire plein de chaleur et de tranquillité. C’est un jeune garçon aux yeux couleur café, qui passe inaperçu au premier regard. Pourtant, le feu ardent de l’art brûle en lui.
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Il boit lentement une gorgée de café et raconte son quotidien d’une voix posée. « Le matin, je me lève et je vais travailler, le soir, j’étudie en ligne. Dit comme ça, ça semble ennuyeux, mais ça me plaît », explique-t-il à Novastan.
« Mon père est mon modèle »
Nourlan Duichobekov n’a pas étudié la peinture, mais son père, Duichobek Kapassovitch Alaïev, a enseigné de 1992 à 2006 à l’Académie des arts de la République kirghize. En 2001, il y est nommé professeur associé. Il était aussi artiste ; il peignait des paysages dans son atelier.
« Enfant, j’ai grandi dans une atmosphère créative, j’étais en contact avec les étudiants et j’avais l’habitude de voir les couleurs sur leurs toiles et leurs mains dans les couloirs spacieux de l’Académie. Mon père était ma plus grande inspiration », raconte Nourlan Duichobekov, nostalgique, tandis que la neige tombe doucement contre la fenêtre.
En 2006, Nourlan Duichobekov perd son père et arrête de peindre. Quatre ans plus tard, il commence des études à l’Université kirghize d’économie. Au cours d’un stage en fiscalité, il se rend compte qu’il n’a plus envie de suivre cette voie. « À l’époque, les gens de mon âge étudiaient la finance ou l’économie, tout le reste était considéré comme illégitime. Aujourd’hui, les jeunes réfléchissent davantage avant de choisir un métier, mais je ne regrette pas mes études. D’une certaine manière, ça a été une expérience utile », décrit le jeune homme.
De l’économie à l’art
Comme la plupart des jeunes de la capitale kirghize, Nourlan Duichobekov a commencé à travailler à temps partiel pendant ses études. Employé à la chaîne de cafés Sierra Coffee, il s’est intéressé pour la première fois au latte art. Dans cette atmosphère chaleureuse et confortable, avec chaque jour de nouveaux visages, il a une idée assez inhabituelle et farfelue : utiliser le café comme une couleur. Pendant son temps libre, il commence à peindre sur papier avec du café. « J’ai d’abord essayé avec du café expresso, puis avec d’autres sortes. Finalement, c’est le café instantané bon marché qui m’a convenu le mieux », se rappelle-t-il.
Pris dans sa routine, le jeune artiste n’a montré ses œuvres à personne pendant longtemps. La peinture n’était qu’un loisir ; il peignait pour lui, car c’était quelque chose qui lui apportait du calme et de la joie. Jusqu’au jour où un collègue remarque son travail et y voit un immense potentiel.
« Lorsque mon chef a appris ma passion, il m’a gentiment proposé de faire une exposition dans le café, ce que j’ai catégoriquement refusé. Il a continué à m’en parler, jusqu’à ce que je cède. L’exposition a été une première expérience. J’étais nerveux, mais au fur et à mesure que les gens venaient me dire qu’ils trouvaient mes peintures très belles, une joie incommensurable grandissait en moi », décrit l’artiste en herbe.
Nourlan Duichobekov est ensuite devenu de plus en plus actif dans le monde de l’art. Par une chaude journée de mai 2018, il participe à la « Nuit des musées », un grand évènement socioculturel, et découvre que d’autres personnes utilisent le café pour peindre.
« J’aime peindre avec le café, c’est un produit qui véhicule chaleur et réconfort. Aujourd’hui, il n’existe aucune frontière, censure, interdiction ou exigence. L’aquarelle et la gouache ne sont plus les seules options ; les gens utilisent des moyens moins conventionnels, comme la cannelle, le sucre, la résine, etc. », raconte « l’artiste au café » de sa voix calme caractéristique, tandis que ses tableaux, posés sur la table, reflètent ses pensées. Sur l’un d’eux, son grand-père est assis sur un banc, l’air particulièrement pensif.
Un succès international
Plus tard, le jeune artiste participe à un concours d’art international sur le thème du café et ses tableaux sont d’abord exposés à New York et Los Angeles, puis à Londres.
À mesure que le numérique se développe, Nourlan Duichobekov s’intéresse aussi à l’infographie et au design. Il a notamment créé des affiches, des brochures, et d’autres supports publicitaires pour un café de Bichkek.
L’artiste a obtenu un diplôme de graphisme à Bichkek et prépare maintenant son Master en graphisme à l’École des hautes études en sciences économiques. « Le programme de mon cursus universitaire a radicalement changé depuis le début de mes études. L’infographie est une orientation assez nouvelle au Kirghizstan », commente Nourlan Duichobekov. D’après lui, c’est un domaine qui intéresse bien plus à Moscou qu’au Kirghizstan.
Nourlan Duichobekov intervient aussi occasionnellement en tant qu’artiste sur différents projets. Il a eu l’occasion de participer à un projet de l’UNICEF sur la protection des droits des enfants migrants, pour lequel il a illustré une série de livres.
« Les histoires de ces jeunes sont si intenses, leur douleur est celle d’un adulte », raconte l’artiste, le regard plein de tristesse, en terminant son café. Nourlan Duichobekov s’est également chargé de l’illustration d’un livre sur la vie de Mouratbek Begalijev, un grand compositeur et fondateur du Conservatoire national kirghiz.
« J’étais plus proche de ma mère »
En 2018, la mère de Nourlan Duichobekov disparaît à son tour, c’est un autre tournant dans la vie de l’artiste. « J’étais plus proche de ma mère, c’est elle qui m’a principalement élevé. Elle ne m’a jamais empêché de faire quoi que ce soit et a encouragé mes aspirations artistiques. Après la mort de mon père, c’est la seule qui s’est occupée de moi », explique-t-il. « C’est grâce à elle que je vis de l’art aujourd’hui », décrit Nourlan Duichobekov. Après le décès sa mère, le jeune dessinateur a fait une pause dans ses créations, et n’a repris que récemment.
« Ce que je préfère, c’est peindre des portraits de personnes âgées. C’est dans leurs regards qu’on voit la vraie vie. Nos grands-parents ont traversé tellement d’épreuves, et pourtant ils arrivent à garder le sourire et à savourer les plaisirs simples », décrit Nourlan Duichobekov. Il est d’ailleurs tout à fait possible que le peintre fasse un jour le portrait de ses propres parents.
Nourlan Duichobekov voulait partir travailler en République tchèque, mais la pandémie s’est mise en travers de son projet. Il a donc accepté un emploi chez Light Creative Studio, ce qu’il ne regrette absolument pas. « Mon salaire n’est pas très élevé, mais j’adore ce que je fais, et je suis très épanoui dans mon travail », décrit-il.
« La peinture me calme »
« La peinture est mon activité favorite, je peux peindre à genoux, émotionnellement loin de tout. La peinture me calme », explique-t-il. Avec ses tableaux, il veut montrer le vrai Kirghizstan. Il se sert ainsi de thèmes et éléments traditionnels de la culture kirghize, notamment de films, vidéos et paysages.
Mais on retrouve aussi des figures historiques dans les tableaux du jeune artiste, comme la danseuse Boubousara Beychenalieva, l’écrivain Tchinguiz Aïtmatov ou l’actrice Tattybübü Toursounbayeva. Il peint aussi les héros de ses films et livres préférés, comme Duyshon, personnage de l’œuvre Le Premier Maître de Tchinguiz Aïmatov.
Outre les travaux de son père, Nourlan Duichobekov adore aussi les œuvres de l’acteur et artiste kirghiz Souïmenkoul Tchokmorov. « J’aime les tableaux de Tchokmorov. Il peint des gens, des éléments de paysage et il transmet des valeurs familiales ainsi que les émotions des gens », décrit le jeune artiste.
Dans les tableaux de Nourlan Duichobekov, les thèmes de l’amitié sincère, de la maternité, de l’enfance insouciante, de l’éducation paternelle et du véritable amour sont également présents. Les tableaux de café ont une surface brillante inhabituelle et un parfum agréable, séduisant.
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« Si je devais choisir une seule chose à changer dans mon pays, ce serait la conscientisation de mes compatriotes. Le monde entier traverse une période difficile, mais si nous vivions dans une société plus humaine, tout pourrait être mieux. J’ai vu des adultes, des personnes indépendantes, vendre leurs voix pour 2 000 soms [environ 20 euros, ndlr] lors du vote. Ça m’a déchiré le cœur » dit-il, faisant référence à l’achat de voix massif lors des élections législatives d’octobre 2020.
Malgré tout, l’artiste reste optimiste et constate un changement d’attitude des Kirghiz envers l’art. Au cours des trois dernières années, les artistes sont mieux appréciés dans la société. « Avant, les gens pensaient que l’art devait être gratuit, mais ils comprennent de plus en plus le travail et le temps que cela représente », explique Nourlan Duichobekov.
Les artistes sont également plus en dialogue avec la société. « La plupart des artistes sont introvertis. Je pense qu’ils doivent s’ouvrir au monde, indépendamment de comment la société les accepte eux et leur travail. Je souhaite rester vivre dans mon pays, développer mon art et participer à l’évolution positive de notre société », conclut Nourlan Duichobekov
Sezim Arynova
Rédactrice pour Novastan à Bichkek
Traduit de l’allemand par Anne-Claire Nourian
Édité par Anne Pouzargues
Relu par Anne Marvau
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