Au Kazakhstan, alors que les nouvelles règles d’accréditations des médias menacent la liberté d’expression, des journalistes ont intenté une action en justice contre le ministère de la Culture et de l’Information. Une réclamation rejetée par le tribunal d’Astana.
En août dernier, le ministère de la Culture et de l’Information a approuvé une ordonnance sur les règles de l’accréditation des journalistes, détaille le média kazakh Zakon.kz. Les normes mises à jour interdisent aux journalistes de diffuser des informations provenant des organismes d’État avec des médias autres que ceux qui les ont accrédités. En cas de violation, les journalistes risquent d’être privés de l’accréditation pour une durée de six mois ou plus.
Une fondation kazakhe qui lutte contre la corruption et pour la liberté d’expression, Adil Soz, a déclaré que les dispositions de cette nouvelle ordonnance violaient « gravement » les droits constitutionnels de la liberté d’expression et de la diffusion de l’information.
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Le média kazakh Vlast a rapporté le 11 novembre dernier que le tribunal d’Astana avait refusé de poursuivre en justice le ministère de la Culture et de l’Information et rejeté les revendications des journalistes. Le juge a affirmé que l’ordonnance « ne violait en aucun cas les droits, les libertés et les intérêts légitimes des journalistes ».
Les méthodes d’accréditation pour les journalistes mises à jour
L’ordonnance déposée le 20 août par le ministère de la Culture et de l’Information de la République du Kazakhstan régit les types d’accréditation des journalistes. Selon les nouvelles règles en vigueur, la procédure de nomination d’un journaliste et de reconnaissance de ses pouvoirs passe par la validation d’un organisme ou d’une organisation étatique.
Une fois accrédité, le journaliste doit s’engager à diffuser les informations qui proviennent des organismes de l’État uniquement par le biais des médias pour lesquels l’accréditation a été délivrée. Cela signifie que le journaliste ne peut pas utiliser son accréditation pour travailler à titre personnel ou pour un autre média sans l’accord préalable de l’organisation concernée.
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En cas de violation, à deux reprises ou plus, des conditions stipulées par l’ordonnance, l’accréditation est retirée au journaliste pour une période de six mois. L’acte juridique est déclaré conforme au paragraphe 1 de l’article 28 de la loi de la République du Kazakhstan « sur les médias de masse ».
Des revendications pour le droit à l’information
Dans un communiqué de presse, Adil Soz a expliqué les contestations des neuf journalistes qui ont intenté le procès. Selon les plaignants, les règles qui sont entrées en vigueur le 20 août « violent gravement leurs droits constitutionnels à la liberté d’expression et à la diffusion de l’information ». Ils exigent que certaines clauses de l’ordonnance soient reconnues comme « contraires à la loi » et requièrent leur annulation.
La fondation Adil Soz, qui fournit le soutien juridique aux journalistes devant le tribunal, a souligné dans son communiqué que l’obligation de publier des informations uniquement dans les médias à partir desquels l’accréditation est soumise peut « limiter » la liberté de l’activité journalistique et « violer le principe de l’égalité d’accès à l’information ».
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Selon Tamara Val, journaliste pour Vlast et participante au recours collectif, « l’État ne devrait pas limiter les canaux de diffusion de l’information, mais nous demander de faire passer les informations au plus grand nombre possible ». Elle a souligné qu’à « l’apogée des chaînes anonymes, il est stupide de restreindre le contenu rédactionnel des journalistes professionnels. »
Une atteinte à la liberté d’expression ?
D’après les neuf journalistes engagés dans le procès, la nouvelle ordonnance entre en contradiction avec les articles 20 et 39 de la Constitution de la République du Kazakhstan et l’article 28 de la loi « sur les médias de masse ».
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L’article 20 de la Constitution garantit le droit à la liberté d’expression, y compris le droit de recevoir et de diffuser librement l’information. L’article 28 de la loi « sur les médias de masse » affirme que l’accréditation est un droit, et non une obligation.
Une absence de consultation
Les plaignants estiment que la règle interdisant leur diffusion dans d’autres médias que ceux qui les ont accrédités représente une restriction « trop large » et enfreint la loi constitutionnelle qui accorde aux journalistes « le droit de diffuser des informations ».
Ils affirment que le principe pousse les journalistes à obtenir des accréditations avec l’ensemble des médias avec lesquels ils collaborent et que sans accréditation, le journaliste se voit restreint dans sa capacité à diffuser des informations. Les plaignants déclarent que cette règle réduit « indûment » les droits des journalistes.
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Ils déclarent également que les règles de l’ordonnance n’ont pas été suffisamment débattues avec la communauté des médias, ce qui relève, d’après les plaignants, d’une absence de consultation.
Des contestations jugées illégitimes
Alors que Tamara Val avait affirmé, au début du procès, sa certitude concernant l’obtention d’un procès équitable et la suppression des règles « absurdes » qui composent l’ordonnance, le tribunal a rejeté la réclamation des plaignants.
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Le juge Rasoul Karagaïev a « refusé la satisfaction de la réclamation (…) dans son intégralité ». Selon le juge, la règle concernant les accréditations ne limite pas les droits des journalistes à diffuser des informations dans d’autres médias mais « règlemente seulement la nécessité d’obtenir une accréditation auprès de chaque média dans lequel l’information est censée être affichée ».
Une décision que la ministre de la Culture et de l’Information, Aïda Balaïeva, a déclarée « légitime ». Selon elle, « le ministère n’interfère pas avec les accréditations et la politique éditoriale des médias ». Elle ajoute que les règles ne représentent pas une violation des droits des journalistes mais « qu’il peut y avoir des restrictions ».
Marianne Bultel
Rédactrice pour Novastan
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