Le président russe Vladimir Poutine a invité ses homologues du Kirghizstan, du Tadjikistan, du Turkménistan, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan à assister aux célébrations annuelles du Jour de la victoire à Moscou le 9 mai. C’est la première fois que les présidents d’Asie centrale rencontrent le président russe depuis son inculpation par la Cour pénale internationale.
Le 25 avril dernier, le bureau du président kirghiz a émis un communiqué de presse indiquant que le président kirghiz Sadyr Japarov assisterait au défilé militaire annuel sur la place Rouge le 9 mai en tant « qu’invité d’honneur ». Quelques jours plus tard, le 5 mai, Vladimir Poutine a aussi invité le président tadjik Emomali Rahmon à Moscou.
Un jour avant la parade, le 8 mai, des invitations de dernière minute sont envoyées aux présidents du Turkménistan, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, qui s’envolent tous vers la Russie. C’est la première fois depuis des années que les cinq présidents d’Asie centrale participent aux célébrations du Jour de la victoire.
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Pourtant, c’est la première fois que les dirigeants d’Asie centrale partagent la scène avec le président russe depuis son accusation pour crimes de guerre.
Un mandat d’arrêt international
La Cour pénale internationale (CPI) a émis le 17 mars dernier un mandat d’arrêt à l’encontre du président russe, accusé de déporter illégalement des enfants ukrainiens depuis les zones occupées vers la Russie.
Début mai, les autorités sud-africaines ont averti que Vladimir Poutine risquait d’être arrêté pendant le prochain sommet des BRICS en août, qui se tiendra sur le sol sud-africain, si le président russe décidait de s’y rendre. L’Afrique du Sud a ratifié le traité fondateur de la CPI et est donc tenue d’agir si Vladimir Poutine pose un pied dans le pays.
En Asie centrale, le Tadjikistan, qui est le seul Etat de la région à avoir signé le traité est, en théorie, tenu de coopérer avec la Cour pénale internationale. Le Kirghizstan et l’Ouzbékistan ont tous les deux signé le traité il y a une vingtaine d’années mais ne l’ont pas encore ratifié. En revanche, le Kazakhstan et le Turkménistan sont des Etats non-signataires. Par conséquent, si le président russe décide de se rendre dans la région, comme il l’a fait si souvent l’année dernière, les chances que les autorités d’Asie centrale refusent l’arrivée de Vladimir Poutine à cause de son mandat d’arrêt sont minces.
Une offre qui ne se refuse pas
A bien des égards, l’Asie centrale reste très fortement dépendante de la Russie. Selon l’analyste politique Arkady Doubnov, interviewé par le média kirghiz Kloop sur l’invitation du Kremlin adressée à Sadyr Japarov, Bichkek n’avait d’autre choix que d’accepter.
Le Kirghizstan continue d’avoir des liens économiques profonds avec la Russie. Bien que la Chine fasse des percées significatives en Asie centrale dans le cadre de son initiative des Nouvelles routes de la Soie, la Russie reste incroyablement importante en termes de commerce et de transferts de fonds.
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Les données les plus récentes de la Banque mondiale montrent que plus de 30 % du produit intérieur brut (PIB) kirghiz est constitué de transferts de fonds. 97 % de ces transferts sont effectués par des migrants kirghiz travaillant en Russie. Les liens économiques avec la Russie sont fortement asymétriques et Moscou en est bien conscient.
Dans le cas du Tadjikistan, la dépendance économique à la Russie est tout aussi importante. Comme le média tadjik Asia-Plus l’a rapporté l’année dernière, les transferts de fonds depuis la Russie ont atteint un niveau record. Les autorités russes ont également enregistré un pic post-pandémique dans l’afflux de migrants. En 2022, près d’un million de Tadjiks se sont rendus en Russie pour y travailler.
L’Asie centrale comme échappatoire aux sanctions
La guerre en Ukraine a cependant quelque peu fait pencher la balance en faveur des économies d’Asie centrale. Les pays comme le Kazakhstan ou le Kirghizstan sont devenus d’importantes plaques tournantes pour la réexportation de biens vers la Russie.
Radio Azattyk, le service kirghiz du média américain Radio Free Europe, qui a récemment été forcé de fermer, a interrogé Temir Chabdanaliyev, chef d’un lobby kirghiz, sur cette tendance. Il explique que « si les marchandises en provenance d’Europe étaient auparavant envoyées en Russie, elles sont désormais enregistrées comme des livraisons au Kirghizstan et au Kazakhstan. Mais dès qu’elles sont déchargées ici, elles sont immédiatement acheminées en Russie. »
Ainsi, le commerce à destination et en provenance d’Asie centrale a connu un véritable essor depuis le début des sanctions occidentales. Au Kirghizstan, le commerce de shampoing, de cure-dent, de savon et de pièces détachées de voitures a connu un essor remarquable, selon Radio Free Europe.
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Les autorités compétentes au Tadjikistan ont aussi signalé une augmentation des échanges commerciaux avec la Russie. L’année dernière, les autorités tadjikes ont même été accusées de fournir à Moscou des drones iraniens pour sa guerre en Ukraine. Ces accusations sont basées sur un accord récent que Douchanbé a signé avec Téhéran pour produire des drones sous licence au Tadjikistan. Cependant, le média américain The Diplomat rapporte qu’il n’a trouvé aucune preuve visuelle pour étayer les affirmations selon lesquelles des drones fabriqués au Tadjikistan parcourraient le ciel ukrainien.
Des affaires à risque
Il y a cependant un certain risque à réexporter des biens en Russie. L’Union européenne a prévenu les républiques d’Asie centrale qu’elle pourrait imposer des sanctions secondaires aux entreprises aidant la Russie à contourner les sanctions.
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Pour les pays comme le Kirghizstan et le Tadjikistan, la marge de manœuvre est faible. La dépendance économique à l’égard de la Russie l’emporte souvent sur les pressions occidentales. Cependant, l’invasion de l’Ukraine a mis en garde de nombreux pays d’Asie centrale contre l’existence de rapports de force néocoloniaux.
Le média américain Eurasianet a rapporté mi-avril dernier une interdiction russe d’importer des produits laitiers kirghiz après que Bichkek a adopté une loi visant à promouvoir la langue kirghize. Le Kremlin voit dans cette mesure une tentative de limiter son influence culturelle en Asie centrale.
Le patronage de Vladimir Poutine
Le 9 mai est un autre rappel important basé sur le passé colonial de la région. C’est pourquoi, au cours de ces dernières décennies, la plupart des pays d’Asie centrale ont progressivement fait leurs adieux au Jour de la victoire hérité de l’Union soviétique.
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Au Kazakhstan, les défilés militaires ont été supprimés « pour maintenir le niveau requis de préparation au combat », rapporte l’agence de presse Kazinform. Au Turkménistan, le 9 mai n’est plus un jour férié depuis 2018. Le Jour de la victoire a été transformé en Ouzbékistan en Jour du souvenir et de l’honneur, mettant l’accent sur les commémorations plutôt que sur l’apparat militaire.
Bien que le Jour de la victoire au Kirghizstan et au Tadjikistan reste encore très semblable à ce qui avait lieu à l’ère soviétique, les temps changent là aussi. Dans de nombreux endroits, les célébrations sont réduites ou reportées aux jours d’indépendance respectifs des deux pays. En raison de l’invasion russe en Ukraine, le processus devrait probablement s’accélérer.
Pourtant, la construction de la nation et le symbolisme restent soumis à des contraintes réelles. Aussi longtemps que la dépendance économique continuera, les dirigeants centrasiatiques n’auront pas d’autre option que d’accepter le patronage de la Russie de Vladimir Poutine.
Julian Postulart
Rédacteur pour Novastan
Traduit de l’anglais par Naïs Chaudagne
Édité par Lucas Morvan
Relu par la rédaction
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