Depuis le début de la guerre en Ukraine, une campagne massive de désinformation a lieu au Kazakhstan. Des médias et des chaînes Telegram russes véhiculent notamment l’idée d’une société kazakhe russophobe.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 20 août 2022 par le média russe spécialisé sur l’Asie centrale Fergana News.
Le Kazakhstan est au cœur d’une guerre de l’information. Après le début de la guerre en Ukraine, le Kazakhstan, où un contingent russe de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) a aidé à réprimer les troubles début janvier 2022, aurait pu rendre la pareille à la Russie en soutenant l’opération, ce qu’il n’a pas fait.
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Officiellement, Astana a pris ses distances avec le conflit. Mais l’État n’a pas empêché des volontaires d’envoyer de l’aide humanitaire en Ukraine. Les remarques indignées de la Russie à ce sujet ont fini par se transformer en une campagne d’information ciblée à laquelle ont participé des journalistes.
Des ambulances kazakhes livrées en Ukraine
En août dernier, trois ambulances kazakhes sont arrivées en Ukraine. La chaîne Telegram Ateo Breaking a rapporté que les autorités de la république d’Asie centrale avaient envoyé ces véhicules, décidant d’aider le pays. Cependant, Astana n’a rien à voir avec cette action. Les voitures ont été achetées avec des fonds fournis par des hommes d’affaires kazakhs, comme l’a indiqué le ministère ukrainien de la Santé et l’ambassade d’Ukraine au Kazakhstan.
L’Ukrainian American House, l’Initiative E+ et la Fondation Victor Pintchoukont aidé à faire passer les véhicules en Ukraine. Dès le début de l’opération spéciale, les autorités kazakhes ont pris leurs distances avec les participants au conflit. Le vice-ministre de la défense, Soultan Kamaletdinov, a été très clair à ce sujet : « Nous ne soutenons aucun des deux camps. Il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. »
Des points de collecte bénévoles
Cependant, tous les Kazakhs ne partagent pas ce point de vue. Depuis le début de l’opération militaire, des centaines de bénévoles ont envoyé de l’aide humanitaire et collecté de l’argent pour les victimes par l’intermédiaire de l’ambassade d’Ukraine au Kazakhstan. Il est important de souligner qu’il s’agit d’une initiative citoyenne et non d’un ordre des autorités. Des points de collecte fonctionnent dans onze régions du Kazakhstan : Karaganda, Oural, Semeï, Oust-Kamenogorsk, Aktaou, Atyraou, Ekibastouz, Aktioubé, Almaty et Astana.
Début juin, les Kazakhs avaient déjà envoyé plusieurs avions et onze convois d’aide humanitaire en Ukraine, pour un poids total de plus de 200 tonnes. Il s’agit d’articles d’hygiène personnelle, de nourriture, de médicaments et divers autres. Dans la république, des concerts en soutien à l’Ukraine sont organisés, rendant les autorités locales nerveuses. Divers événements ont lieu, comme par exemple une course de charité en vychyvankas, dont l’argent collecté est destiné à la reconstruction des écoles de la région de Tchernihiv.
Une neutralité difficile à conserver
Officiellement, Astana n’interfère pas particulièrement dans ces activités. Les autorités elles-mêmes ont envoyé trois vols spéciaux de fournitures médicales, de nourriture et de literie en Ukraine au printemps dernier. Au quotidien, les dirigeants de la république tentent de maintenir un équilibre délicat : d’un côté, ils interdisent les rassemblements en soutien à l’Ukraine, tandis que de l’autre, les personnes affichant les lettres Z et V, symboles utilisés par les partisans de l’opération spéciale, sont passibles de poursuite. Cependant, plus la guerre dure, plus la neutralité devient compliqué à conserver.
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Au printemps, des personnalités médiatiques célèbres ont été utilisées pour pousser le Kazakhstan à soutenir la Russie, accusant Astana de politique russophobe et de trahison. Des dizaines de chaînes Telegram ont rejoint la campagne de désinformation, publiant presque quotidiennement des fakes news ou des nouvelles non confirmées tirées des médias russes.
Des fakes news largement partagées
Le média d’État Gazeta.ru a par exemple parlé dans son fil Twitter des ambulances envoyées par les hommes d’affaires kazakhs. Selon le site, les ambulances ont été envoyées par les autorités kazakhes et étaient destinées aux forces armées ukrainiennes. Une autre information curieuse du même genre est apparue sur les réseaux : le Kazakhstan vendrait des armes au Royaume-Uni, et celles-ci seraient ensuite livrées à l’Ukraine. Les documents en question ont été publiés début août par le groupe de pirates informatiques pro-russe Beregini. L’accord aurait été négocié par Technoexport.
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Dans un premier temps, la nouvelle s’est activement répandue sur les chaînes Telegram russes, avant d’attirer l’attention des médias. Le ministère de l’Industrie et du Développement des infrastructures du Kazakhstan a rapidement démenti l’information, déclarant que les autorités n’avaient pas délivré, ni à Technoexport ni à aucune autre société, de licence pour exporter des armes vers le Royaume-Uni.
Le ministère n’a pas non plus délivré le permis nécessaire, dans un tel cas, à la réexportation d’armes. La chaîne Telegram Rybar, spécialisée notamment dans la couverture de la guerre, a cependant qualifié la déclaration du ministre d’ « infondée » et a indiqué que la documentation de Technoexport comprenait bel et bien les licences et permis nécessaires.
Des chaînes Telegram très suivies
« Ainsi, quoi que les représentants officiels du gouvernement kazakh puissent dire en prétextant qu’ils ne peuvent pas exporter d’armes soviétiques sans l’autorisation du fabricant, c’est-à-dire la Russie, ils le font à huis clos », ont conclu les auteurs de la chaîne devant un public de plus d’un demi-million de personnes.
En d’autres termes, ce ne sont pas les forces de l’ordre russes, ni la présidence ou les structures spécialisées, ni même le comité de rédaction d’un quelconque média, mais une chaîne Telegram anonyme qui a directement accusé l’État kazakh de mentir, sachant que, ce faisant, elle ne risquait rien.
Des faits divers repris et déformés
Une histoire de maltraitance d’enfants – un sujet très sensible au Kazakhstan – a suivi un schéma similaire fin août. Un groupe d’adolescents d’Almaty a abusé de deux frères, âgés de quatre et neuf ans, en essayant de les forcer à se faire des fellations. La mère des garçons a lancé un appel à l’aide auprès de la fondation publique Nemoltchi.kz et de journalistes. Elle s’est également adressée à la police.
Cependant, une vidéo d’elle est apparue plus tard sur la chaîne Telegram Mnogonatsional, sous le titre : « Au Kazakhstan, des musulmans sans foi ni loi ont forcé deux petits enfants russes, des frères, à pratiquer le sexe oral sur une aire de jeu et ont tout filmé. » Tsargrad, une chaîne russe, a repris l’histoire et a rapporté« un autre cas de russophobie explicite au Kazakhstan. »
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« Cette fois, ceux qui détestent la Russie se sont abaissés aux actes les plus ignobles : ce sont des enfants russes qui en ont souffert », a déclaré la chaîne dans son reportage, qui a été ensuite cité par d’autres médias russes.
Une polémique qui continue malgré un démenti
La mère des victimes a ensuite publié une réfutation. La femme a qualifié les publications de provocation. « Tous les enfants impliqués dans l’incident sont ethniquement européens, et il ne faut pas donner aux faits une tournure interethnique. Je vis au Kazakhstan depuis ma naissance et j’ai de nombreux amis d’autres minorités ethniques. Nous vivons tous en paix », a-t-elle souligné.
Simultanément, la police d’Almaty a ouvert une procédure pénale pour incitation à la haine ethnique. La question est de savoir qui sera tenu pour responsable de cette provocation. La chaîne Telegram Mnogonatsional, qui a été la première à parler de « musulmans sans foi ni loi », est également anonyme. De plus, même après la réfutation, les auteurs de la chaîne, croyant en leur impunité, ont affirmé que la mère avait été contrainte d’enregistrer sa déclaration par la force. Ils n’ont, bien sûr, fourni aucune preuve de cette affirmation.
La question linguistique
Il y a une autre question que les réseaux sociaux russes pro-gouvernementaux n’ont pas laissée échapper dans les relations entre les deux pays : la question linguistique. Dans un premier temps, l’information selon laquelle les cours de langue russe disparaîtraient dans les six ou sept prochaines années a commencé à circuler activement sur les réseaux sociaux.
Les médias Glas.ru et Tsargrad.tv. notamment ont rapporté cette information. Il s’est avéré qu’ils faisaient référence à un reportage diffusé deux ans auparavant sur la chaîne 31 du Kazakhstan, tout en déformant les faits. Le ministère kazakh de l’Éducation a démenti, mais quelques jours plus tard, la question de la langue russe a refait surface.
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Le 16 août dernier, après la déclaration du ministre de l’Éducation, Askhat Aïmagambetov, une rumeur a commencé à circuler sur les réseaux sociaux : les écoliers de première année (l’équivalent du CP) n’apprendraient plus la langue russe au Kazakhstan, et ce dès la rentrée 2022. Seule la langue kazakhe resterait obligatoire pour les élèves de première année. En réalité, le ministre ne parlait que des écoles où l’enseignement est dispensé dans la langue d’État, le kazakh, ce qu’un certain nombre de publications a délibérément omis de mentionner.
L’omission d’informations
Les agences fédérales, notamment TASS, et les principaux médias russes, ont cependant donné une version correcte des faits. Au début du mois de juin dernier, le ministre Askhat Aïmagambetov, dans une interview accordée à nur.kz, a par exemple déclaré qu’il était difficile pour les enfants d’avoir une éducation trilingue dès la première année, et qu’il avait donc été décidé d’introduire les langues pour les classes primaires par étapes.
« Nous avons pris une décision sur cette question. Nous travaillons déjà pour que dans les écoles où l’enseignement est dispensé en kazakh, l’enfant n’apprenne qu’une seule langue en première année : le kazakh, c’est-à-dire qu’il apprenne d’abord à lire et à écrire dans sa langue maternelle. En deuxième année, le russe est ajouté dans le programme et en troisième année, l’anglais », avait-il déclaré. Les médias russes ne se sont pas intéressés à cette déclaration.
Un post rapidement supprimé de Dmitri Medvedev
Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Le post supprimé sur Vkontakte de l’ancien président Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, a aussi eu une résonance particulière. Selon lui, le Kazakhstan est un « État artificiel » où les autorités mènent une politique de « génocide des Russes. » Le poste a été supprimé dix minutes après sa publication.
Dmitri Medvedev lui-même a justifié cette publication par un piratage. En outre, un grand nombre de faux ont commencé à circuler via les chaînes Telegram et les réseaux, comme le fait que des enfants kazakhs auraient tué un garçon russe à Astana. L’information était justifiée par la vidéo d’un combat de l’année précédente, au cours duquel personne n’avait été tué.
Une campagne planifiée
Le nombre de cas similaires a tellement augmenté qu’il s’agit sans aucun doute d’une campagne de désinformation planifiée.
Les officiels russes nient avec véhémence. Le président russe Vladimir Poutine a qualifié à plusieurs reprises le Kazakhstan de partenaire stratégique, tandis que son porte-parole l’a décrit comme un État ami. Le 19 août 2022, le dirigeant kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, est arrivé à Sotchi pour rencontrer Vladimir Poutine.
Kassym-Jomart Tokaïev a ensuite déclaré être satisfait de l’évolution de la coopération entre les deux pays. « Nous sommes unis par une frontière commune, la plus longue frontière terrestre du monde, qui est entièrement délimitée. Il n’y a certainement aucune raison de faire des prédictions pessimistes sur l’avenir de notre coopération ! Personnellement, en tant que président de la République du Kazakhstan, je suis déterminé à donner un nouvel élan à notre coopération bilatérale dans tous les domaines », a déclaré Kassym-Jomart Tokaïev.
La rédaction de Fergana News
Traduit du russe par Alexei Vasselin
Édité par Judith Robert
Relu par Élise Piedfort*
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