Les Kazakhs ont validé, par référendum, la construction de la première centrale nucléaire du pays. Alors que le gouvernement se félicite de cette étape historique, de nombreux citoyens restent préoccupés par les zones d’ombre du projet tandis que les observateurs internationaux remettent en question le caractère démocratique de son adoption.
Le 6 octobre dernier, 7,8 millions de Kazakhs se sont rendus aux urnes pour s’exprimer sur le projet de construction de la première centrale nucléaire dans le pays. En attendant les résultats officiels, qui seront publiés dans les jours à venir, la Commission électorale centrale du Kazakhstan a donné les résultats préliminaires. Selon elle, le 7 octobre dernier, 71 % des votants approuvaient le projet, des chiffres rapportés par l’agence de presse nationale Kazinform.
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Une campagne référendaire active
71 % d’adhésion, c’est plus que ce qu’annonçait l’Institut kazakh des études stratégiques au mois d’août, dont l’enquête menée auprès de l’électorat, rapportée par Astana Times, tablait plutôt autour des 53 % d’adhésion.
Pour renforcer la popularité du projet auprès d’une population réticente, encore marquée par les essais nucléaires soviétiques dans la région de Semipalatinsk, le chef d’État Kassym-Jomart Tokaïev et son administration ont mené une campagne référendaire de plus de 400 jours. Cette campagne, la plus longue de l’histoire du pays selon le conseiller d’État kazakh Erlan Karin, relayé par Kazinform, devait convaincre la population de la nécessité d’exploiter les réserves d’uranium pour faire face à la pénurie mondiale croissante d’énergie.
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Un argument de taille dans un pays où la consommation en électricité excède de près de 2,3 milliards de kilowattheure (kWh) la production. En janvier 2024, le ministère de l’Énergie avait assombri le tableau avec ses prédictions d’aggravation du déficit énergétique pour l’année 2025, selon le média Eurasianet. De quoi convertir les Kazakhs les plus réticents à l’atome et les inciter à aller voter.
Un moment historique pour le pays
Avec un taux de participation de 63,9 %, selon les résultats préliminaires communiqués par la Commission électorale centrale, la question énergétique a suscité l’intérêt des électeurs.
De quoi réjouir le chef d’État kazakh, qui espérait que ce référendum serait la « manifestation d’un vaste dialogue national et un exemple frappant de la mise en œuvre du concept d’État à l’écoute », des propos tenus à l’annonce du référendum le 2 septembre 2023 et relayés par Radio Azattyq, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe.
Je fais un don à NovastanLe référendum a tout de même moins mobilisé les électeurs que celui sur la réforme constitutionnelle tenu en 2022, pour lequel le taux de participation était de 68 %. Ce léger écart n’a pas empêché le Président de qualifier la journée d’« historique », comme l’a rapporté l’agence de presse Trend à l’issue d’une brève conférence de presse organisée dans la matinée du 6 octobre. A cette occasion, le chef d’État a qualifié le référendum de « mécanisme essentiel de la démocratie directe ».
Depuis la réforme constitutionnelle de 2022, le gouvernement multiplie les démonstrations témoignant de sa bonne volonté dans la mise en place de ce qu’Erlan Karin a qualifié de « nouvelle culture politique », lors d’une courte interview publiée par Kazinform.
Un « oui » écrasant dans les régions vulnérables
La question énergétique a particulièrement mobilisé le Sud du pays, région relativement défavorisée où les infrastructures vieillissantes entraînent régulièrement des coupures de courant.
Selon la Commission électorale centrale, les régions de Turkestan et de Kyzylorda ont enregistré les plus forts taux de participation, respectivement 75,3 % et 82,5 %.
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Les électeurs d’Oulken, premiers concernés par la construction d’une centrale dans leur village, n’ont pas non plus manqué à l’appel : 70 % d’entre eux s’étaient déjà exprimés à 14h, selon l’agence de presse Kazinform. Lors d’une consultation publique organisée par le gouvernement en août 2023, le maire du petit village de pêcheurs s’enthousiasmait déjà du projet qui « attirera du travail et de nouveaux investissements », selon ses propos rapportés par l’agence de presse bne IntelliNews.
Au total, 956 des 1 096 électeurs d’Oulken ont exprimé leur soutien à la construction de la centrale nucléaire, contre 79 opposés au projet, selon des données de Kazinform.
Désintérêt dans les grandes villes
A l’inverse, des villes comme Almaty et Astana ont affiché un taux de participation historiquement bas, de 25,4 % et 50,8 % respectivement, toujours selon la Commission. Un manque d’engouement révélateur des préoccupations environnementales de la population urbaine. Almaty, en particulier, est le théâtre de mouvements sociaux et d’oppositions au projet depuis son annonce.
Pour cette partie de l’électorat inquiète de la gestion des déchets toxiques et des émissions générées par une telle centrale, le pays n’a pas besoin du nucléaire pour assurer sa sécurité énergétique. Pour cela, il peut compter sur le développement des énergies renouvelables trop peu exploitées dans le mix énergétique actuel, selon l’analyse d’Aset Naouryzbaïev, ancien président de la Kazakhstan Electricity Grid Operating Company (KEGOS), parue dans News.Az.
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Les activistes, qui étaient déjà arrêtés par les autorités kazakhes avant le référendum, ont été surveillés de près toute la journée. Elvira Bekzadina, brandissant une pancarte « Stop NPP », a été arrêtée par la police à Astana lors d’une manifestation contre la centrale nucléaire, tandis qu’Aset Abichev a été interpellé à Almaty alors qu’il se rendait dans un bureau, rapporte Radio Azattyq.
Des arrestations qui ternissent l’image de « démocratie directe » que le gouvernement kazakh espérait promouvoir sur la scène internationale.
Des observateurs internationaux malmenés
Répartis dans les plus de 10 000 bureaux de vote, 177 observateurs de 30 pays ont été mobilisés pour surveiller le déroulement du scrutin. Invités par le gouvernement kazakh pour assurer la crédibilité du processus électoral aux yeux de la communauté internationale, leur présence devait garantir la transparence, l’intégrité et le respect des procédures démocratiques pendant le vote.
Les premières irrégularités n’ont pourtant pas mis longtemps à être rapportées, la Fondation Erkindik Kanaty signalant dès dix heures le retrait d’un de ses observateurs du site d’Astana, après qu’il a tenté de dénoncer l’ajout manuel d’une électrice sur la liste électorale par la commission, selon le média indépendant Vlast.
Plus tard dans la journée, la Ligue des Jeunes Électeurs a recensé 23 infractions dans les cinq villes où elle était présente, signalant notamment l’absence de protocole d’ouverture dans certains bureaux, l’installation de caméras au-dessus des isoloirs et l’obligation pour un observateur de s’asseoir à un endroit imposé par le président de la commission, comme l’a rapporté Vlast.
D’autres infractions telles que le bourrage d’urnes, des arrestations d’opposants au projet et l’expulsion d’observateurs, relayés par Radio Azattyq, ont accentué les tensions dans plusieurs bureaux. A tel point que certains observateurs ont choisi de se retirer, comme la Fondation HAQ, qui a annoncé aux journalistes de Vlast qu’elle renonçait à déployer les 300 observateurs initialement prévus pour surveiller les bureaux de vote dans les régions de Kostanaï, Atyraou, Chymkent, Turkestan, Oural et Almaty.
Des questions sans réponse
Les déclarations du corps politique kazakh ont été sporadiques lors du référendum, le Premier ministre Oljas Bektenov ayant refusé de s’adresser aux journalistes présents dans son bureau de vote, et l’ancien chef d’État, Noursoultan Nazarbaïev, souhaitant sobrement « tout le bonheur » au peuple kazakh, selon Vlast.
Ainsi, des zones d’ombre subsistent autour du projet nucléaire. Interrogé sur l’entreprise qui allait construire et exploiter la centrale lors de la conférence de presse qui a suivi son vote, l’actuel président a déclaré qu’un « consortium international composé d’entreprises mondiales possédant les technologies les plus avancées » était la meilleure option selon lui. Une manière habile de contourner la question que tous les Kazakhs se posent depuis l’annonce du projet.
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La candidature de Rosatom avait été annoncée en août 2023 par Almassadam Satkaliyev, le ministre kazakh de l’Énergie, en même temps que celle des trois autres entreprises pressenties : l’entreprise française EDF, la China National Nuclear Corporation (CNNC) et la Korea Hydro & Nuclear Power.
À l’issue de ce référendum, les Kazakhs devront encore attendre un peu avant de connaître les détails précis de la construction, dont la date de démarrage n’a toujours pas été confirmée.
Manon Madec
Rédactrice pour Novastan
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Vincent Gélinas, 2024-10-12
Enfin une bonne nouvelle pour l’énergie en Asie centrale.
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