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Au Kazakhstan, un activiste tchétchène poursuivi par le régime de Ramzan Kadyrov

Mansour Movlaïev, opposant tchétchène qui a fui au Kazakhstan, est menacé d'extradition dans son pays natal. Il y risque certainement la prison et la torture, alertent ces avocats, et estiment que le militant est déjà en danger en Asie centrale.

Photo de Mansour Movlaïev, citoyens Tchétchène poursuivi au Kazakhstan. Crédit : Instagram de l'avocat Rena Kerimova.
Photo de Mansour Movlaïev, citoyens Tchétchène poursuivi au Kazakhstan. Crédit : Instagram de l'avocat Rena Kerimova.

Mansour Movlaïev, opposant tchétchène qui a fui au Kazakhstan, est menacé d’extradition dans son pays natal. Il y risque certainement la prison et la torture, alertent ces avocats, et estiment que le militant est déjà en danger en Asie centrale.

Cela faisait un an et demi que Mansour Movlaïev vivait au Kazakhstan. Le sportif de 29 ans, originaire du village de Starye Atagui, en Tchétchénie, menait une vie discrète, sous un faux nom, à Almaty. Coach sportif et vendeur de produits alimentaires pour le sport, il essayait le moins possible d’attirer l’attention. Seulement, ce 13 mai 2025, son passé et ses liens avec l’opposition au régime de Ramzan Kadyrov l’ont finalement rattrapés.

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Il d’abord été arrêté par la police locale d’Almaty, et placé en détention temporaire pour 40 jours, pour être entré illégalement sur le territoire du Kazakhstan. Si le cas de Mansour Movlaïev a soudainement attiré l’attention de la police, c’est en partie à cause de son statut de personne recherchée par les autorités tchétchènes et russes, dans le cadre d’une affaire d’extrémisme. Accusé de délit d’extorsion, Grozny demande son extradition.

« Un hachoir à viande »

Le Kazakhstan, comme la plupart des pays d’Asie centrale et ex-pays soviétiques, ont signé des accords d’assistance juridique mutuelle en matière de détention avec la Russie. Ainsi, si un individu est placé sur une liste de personnes recherchées, les pays tiers se doivent de l’arrêter et d’organiser son extradition.

Mansour Movlaïev est représenté gratuitement au Kazakhstan par les avocats Mourat Adam, Rena Kerimova, et Elena Jigalenok. Ces derniers ont organisé une conférence de presse à Almaty le 22 mai pour alerter de la gravité du sort de leur client. En effet, si Astana autorise son extradition, il sera immédiatement torturé, emprisonné et tué. « C’est un hachoir à viande qui l’attend là-bas« , a même avancé l’avocate Rena Kerimova, face aux caméras. Le trio d’avocats n’a pas contesté son arrestation de 40 jours : ils estiment même leur client « plus en sécurité » en prison.

Conférence de presse organisée par les avocats de Mansour Movlaïev. De gauche à droite : Rean Kerimova, Mourat Adam, Elena Jigalenok. Le 22 mai, à Almaty. Crédit : Emma Collet
Les avocats de Mansour Movlaïev lors de la conférence de presse du 22 mai à Almaty. De gauche à droite : Rena Kerimova, Mourat Adam, Elena Jigalenok. Crédit : Emma Collet

Evadé d’une prison illégale en Tchétchénie

Si Mansour Movlaïev est considéré comme un ennemi en Tchétchénie, c’est qu’il a parlé ouvertement de la corruption qui gangrène cette république de Russie. Il a également participé au mouvement d’opposition tchétchène « Adat » lorsqu’il était étudiant. « Mais surtout, il a dit que des gens disparaissaient en Tchétchénie, souligne l’avocate Rena Kerimova. Un jour, quelqu’un a exprimé son opinion contre la politique des autorités tchétchènes, puis les hommes de Kadyrov sont arrivés et ces personnes ont disparu. Après cela, Movlaïev a commencé à être persécuté« .

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En 2020, Mansour Movlaïev est arrêté pour « trafic de drogue », une condamnation totalement fabriquée selon ses avocats. « Ils lui ont demande de choisir entre trafic de drogues et trafic d’armes », assure son avocat Rena Kerimova. Condamné à un an et demi de prison, Mansour Movlaïev a été libéré sur parole et placé sous surveillance probatoire. Il décide de partir pour Moscou, où il se sent plus en sécurité. Mais au mois d’août 2020, « les forces de sécurité tchétchènes ont fait irruption à son domicile, l’ont battu, enlevé et placé dans une prison secrète illégale« , a déclaré Rena Kerimova. Dans une sorte de caserne abandonnée, les autorités détiennent des dizaines de personnes illégalement, confisquant leur passeport.

Fugitif au Kirghizstan

Movlaïev parvient à s’enfuir de cette prison secrète et se rend à Rostov-sur-le-Don, puis à Orenbourg. Il a ensuite pu s’échapper illégalement de Russie sans papiers, et se rendre au Kirghizstan via le Kazakhstan. Mais recherché par la Russie, il est arrêté pour « franchissement illégal des frontières du Kirghizstan » en août 2023.

En octobre de la même année, un tribunal de Bichkek condamne Mansour Movlaïev à six mois de prison, suivis d’une expulsion du pays pour avoir franchi illégalement la frontière kirghize. Le 20 novembre 2023, il est libéré après avoir purgé sa peine et devait être expulsé immédiatement après.

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Seulement, à sa sortie du tribunal, « il a senti que quelque chose clochait, raconte Rena Kerimova, qui a pu discuter avec son client au centre de détention d’Almaty quelques jours avant la conférence de presse. Il n’a pas été remis aux forces de sécurité nationales, mais à ses avocats. Voyant une voiture teintée en noire qui l’attendait, il a immédiatement compris que c’était des hommes du régime de Kadyrov qui étaient venus le chercher. Il a alors sauté du véhicule, et s’est enfui, cette fois-ci vers le Kazakhstan« .

« Des Tchétchènes peuvent être en ce moment à Almaty »

Selon Movlaïev, plusieurs employés de police du Kirghizstan avaient été approchés par des Tchétchènes qui le traquaient pendant six mois. « Qui nous dit que ces mêmes Tchétchènes ne sont pas en ce moment à Almaty, à la recherche de Mansour? » s’inquiète alors Rena Kerimova. Cette dernière montre lors de la conférence un ordre de mission des autorités tchétchènes adressé au Kazakhstan daté du 13 mai : il y est écrit que l’activiste « avait de fortes chances de se trouver à Almaty« , sans attacher aucune preuve.

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Ces dernières années, en particulier depuis la guerre en Ukraine, plusieurs citoyens originaires de Russie, déserteurs de l’armée russe ou accusés « d’extrêmisme » pour des activités en lien avec l’opposition, ont été arrêtés au Kazakhstan sur demande de Moscou. L’année dernière, des employés du FSB russe ont enlevé sur le sol kazakhatanais un citoyen russe, Kamil Kassimov, contractuel de l’armée russe âgé de 23 ans, qui avait fui vers la capitale kazakhe Astana en juin 2023.

Le Kazakhstan « ferme les yeux »

Si cet enlèvement s’est avéré illégal, les autorités du Kazahkstan n’ont pas protesté. « En effet, le pays ferme les yeux sur les ingérences de la Russie« , selon Denis Djivaga, directeur du Bureau International des droits de l’homme du Kazakhstan. D’après lui, quelques dizaines de Russes au Kazakhstan sont sur la liste des personnes recherchées. L’ONG se charge alors de les défendre gratuitement et fait des demandes de statut de réfugiés pour eux. « Cependant, Astana refuse systématiquement les demandes d’asile politique des Russes« , explique l’avocat, en raison de liens de dépendance du Kazakhstan auprès de la Russie.

« Nous sommes déjà soulagés qu’ils donnent au moins la possibilité de faire la demande de statut de réfugié. Cela met alors en pause tout processus d’extradition. A plusieurs reprises, le Kazakhstan a pu autoriser des citoyens russes de quitter le territoire, les évitant ainsi de finir en Russie « , tempère Denis Djivaga.

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Les avocats de Mansour Movlaïev affirme qu’il a reçu le statut de demandeur d’asile au Kazakhstan. Mais ils n’excluent pas de solliciter l’aide de pays étrangers, comme celle des pays européens, pour que le militant puisse obtenir l’asile autre part.

Par Emma Collet
Rédactrice en chef de Novastan

Relu par Léna Marin

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