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Ecrire au Kazakhstan : les défis des écrivaines

Être écrivain au Kazakhstan est un métier difficile, et ce d’autant plus pour une femme. Surtout en 2025, à l’heure où les maisons d’éditions prêtes à publier des jeunes autrices se font rares dans le pays.

Rédigé par :

La rédaction 

Traduit par : Lena Marin

The Village

Alima Souleimenova autrice Kazakhstan
L'autrice Alima Souleïmenova. Photo : The Village.

Être écrivain au Kazakhstan est un métier difficile, et ce d’autant plus pour une femme. Surtout en 2025, à l’heure où les maisons d’éditions prêtes à publier des jeunes autrices se font rares dans le pays.

Les écrivaines souffrent d’un stéréotype qui amène beaucoup de gens à percevoir leur travail non pas comme une activité professionnelle à part entière, mais comme un simple passe-temps. Il faut ajouter à cela la nécessité de trouver un équilibre entre la création, le travail et la vie personnelle, et il est possible de mieux se représenter combien d’efforts se cachent derrière chaque œuvre publiée.

Le média kazakh The Village est parti à la rencontre de deux autrices du Kazakhstan : Madina Bostambaïeva, autrice du livre Souvenirs d’habitants d’Almaty, fondatrice de la maison d’édition Estelikter, et Alima Souleïmenova, fondatrice d’Aïna, le premier journal en ligne pour les autrices d’Asie centrale.

Leurs témoignages sont précieux, éclairant les lecteurs sur la place des femmes dans la littérature kazakhe, le féminisme dans la prose et les projets inspirants destinés aux femmes écrivaines.

Des idées au livre

Madina Bostambaïeva : A 15 ans, une idée m’est venue : demander à des personnes de différents coins du monde de partager leurs souvenirs et en faire un livre. En 2021, je suis entrée à l’université à Almaty et j’ai commencé à découvrir peu à peu la ville et ses habitants. Rapidement, j’ai recueilli plusieurs histoires pour constituer un livre. Mais au-delà des souvenirs des autres, il contient aussi beaucoup de mes propres expériences.

Alima Souleïmenova : J’ai travaillé pendant longtemps dans l’édition de la littérature jeunesse. Nous traduisions les best-sellers mondiaux pour enfants en kazakh. À l’époque, en 2014, je ne pensais pas encore qu’il était possible, et nécessaire, de développer notre marché intérieur.

Les années ont passé et, des livres pour enfants, je suis passée à la littérature pour adultes. Pendant cette période, j’ai commencé à écrire et petit à petit est venue l’idée de créer le projet Aïna. Je me suis demandé ce qui resterait après nous. Qui conserverait nos histoires, reflet de notre époque ? Nous avons l’habitude de lire des œuvres étrangères, mais alors comment transmettre nos valeurs et notre code culturel ?

La situation des autrices contemporaines

Madina Bostambaïeva : Selon moi, la situation des autrices au Kazakhstan s’est nettement améliorée ces dernières années. Les femmes prennent de plus en plus de place dans la vie littéraire et leurs voix sont de plus en plus audibles.

Il existe toutefois des difficultés, notamment le manque de soutien des maisons d’édition. Malgré cela, de plus en plus d’autrices réussissent, non seulement en littérature, mais aussi dans d’autres formes d’art. Je pense que ce n’est que le début.

Madina Bostambaieva Autrice Kazakhstan
Madina Bostambaïeva. Photo : The Village.

Alima Souleïmenova : En ce moment même, je ressens un véritable essor. Des maisons d’éditions et des journaux voient le jour, le goût de la lecture se développe, des clubs de lecture sont créés et des écoles d’écriture s’ouvrent. Le plus important est de permettre à ces voix de se faire entendre et que les éditeurs n’aient pas peur d’investir dans de nouvelles autrices encore inconnues.

Le féminisme dans la littérature kazakhe

Madina Bostambaïeva : Je suis heureuse que la société kazakhe lève le voile sur des problèmes majeurs tels que le féminicide et la misogynie. Le fait d’entendre des histoires qui évoquent ouvertement ce qui est tabou est essentiel. Par exemple, le livre Elliot de Maya Sarah ou encore Décollement d’Altynaï Soultan sont des proses honnêtes issus d’expériences traumatisantes vécues par de nombreuses femmes.

Alima Souleïmenova : Le féminisme a sans aucun doute une influence sur la littérature kazakhe. Les autrices explorent et repensent le rôle des femmes dans la société, abordent les droits et déconstruisent les stéréotypes. Cela permet non seulement d’élargir les horizons de la création littéraire mais aussi de discuter de thèmes longtemps passés sous silence.

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Il existe aujourd’hui de nombreux noms marquants, et je connais presque chacune de ces autrices. Leur parcours m’inspire. Ce qui me motive, c’est de recevoir des textes à caractère expérimental emprunts de sensibilité, souvent écrits par de nouvelles autrices qui débutent et de les faire connaître.

Les attentes de la société et les autrices

Madina Bostambaïeva : L’un des stéréotypes qui colle le plus aux écrivaines est celui de leur affiliation à des thèmes traditionnellement considérés comme féminins : l’amour, les relations familiales, les souffrances personnelles. Ces biais entravent leur créativité et empêchent d’élargir les horizons. En même temps, il y a une opinion toujours répandue selon laquelle les femmes ont des difficultés à écrire sur des thèmes plus importants, soi-disant réservés aux hommes comme la politique, la philosophie et la guerre.

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La douceur et la délicatesse sont d’autres injonctions auxquelles font face les autrices, tandis qu’une littérature plus « dure » s’associerait au caractère masculin. Ces schémas de pensée peuvent se révéler significatifs dans la manière où les femmes s’autocensurent. Cependant, je pense que les temps changent et que tous ces stéréotypes perdent peu à peu leur sens. Les femmes d’aujourd’hui peuvent écrire sur tous les sujets, avec toutes les formes et approches possibles. L’essentiel est que leur création ne soit pas limitée par des attentes extérieures.

Alima Souleïmenova : Il faut trouver un équilibre entre les attentes personnelles du monde intérieur et les attentes sociales de la société. D’abord, savoir s’exprimer librement dans le cadre des normes traditionnelles existantes. Ensuite, intégrer l’activité littéraire dans la vie quotidienne, où la plupart des écrivaines ont un travail, une famille et d’autres responsabilités.

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Cela dit, la littérature permet aux femmes de repenser les rôles traditionnels et de se raconter des histoires longtemps restées invisibles. L’équilibre se construit grâce à la conscience de sa propre force, au soutien de personnes partageant les mêmes idées et à la création d’espaces où les femmes peuvent être entendues sans crainte du jugement.

L’expérience des femmes sous-évaluée en littérature

Madina Bostambaïeva : Ce déséquilibre a été observé aussi bien à l’étranger qu’au Kazakhstan. Cependant, la situation change quelque peu. De plus en plus de femmes veulent écrire sur des évènements mondiaux et leur expérience est de plus en plus considérée et valorisée.

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Alima Souleïmenova : Les autrices peuvent être confrontées au fait que leur production ne soit pas prise comme un travail sérieux mais plutôt comme un loisir. Des biais persistent : leurs travaux sont considérés, à tort, comme plus simplistes ou exclusivement centrés sur « la littérature féminine », tout comme l’idée que la littérature intime serait forcément scandaleuse. Pourtant, d’après mes observations, la majorité des écrivains contemporains sont des femmes.

Créer ses propres projets

Madina Bostambaïeva : Le principal problème que j’identifie est celui de l’absence d’éditeurs. C’est pourquoi j’ai décidé de créer ma propre maison d’édition. Je l’ai appelée Estelikter. Cela signifie souvenir en kazakh. Pendant six mois, je n’arrivais pas à trouver de sponsors, tout le monde refusait. Alors j’ai décidé d’automatiser le système et de travailler par précommandes. Les débuts ont été difficiles : problèmes de trésorerie, arnaques, nuits blanches. Mais cette expérience a été extrêmement précieuse, j’ai fêté mon 18ème anniversaire au bureau des impôts en enregistrant ma maison d’édition.

Alima Souleïmenova : J’ai remarqué que tout le monde écrivait de manière isolée, partageant ses textes dans de petits cercles sur Telegram ou Facebook, ou les envoyant à des éditeurs sans jamais recevoir de réponse. J’ai donc voulu créer une plateforme centralisée permettant de faire connaître de nouvelles autrices. C’est ainsi qu’est née Aïna, par nécessité de rassembler la création littéraire féminine.

Changements dans la littérature kazakhe et soutien aux autrices

Madina Bostambaïeva : Chaque année, de plus en plus de jeunes autrices et auteurs apparaissent. Ils cherchent non seulement à préserver les traditions littéraires, mais aussi à les repenser. Bientôt, nous serons témoins d’un intérêt croissant pour la prose et la poésie.

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J’espère aussi que la littérature kazakhe s’ouvrira davantage à des genres autrefois considérés comme marginaux, comme la science-fiction, l’horreur ou la fantasy, et qu’elle expérimentera davantage les formes et les styles. Il serait important d’avoir plus de subventions pour l’édition de livres, ainsi qu’une baisse des coûts d’impression, afin de rendre la littérature plus accessible. Le soutien à la promotion est également essentiel pour aider les livres à trouver leur lectorat et les auteurs, leur public.

Alima Souleïmenova : A mon sens, la littérature kazakhe pourrait s’améliorer en trois points majeurs : des financements pour l’industrie du livre, des espaces gratuits dédiés aux lectures publiques, un soutien médiatique pour les autrices, des concours et des prix littéraires dotés de récompenses financières pour des autrices de tout âge.

Zere Amangueldinova
Journaliste pour The Village

Traduit du russe par Lena Marin

Édité par Emma Fages

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